Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Bordeaux qui vient apporter un éclaircissement dans l’hypothèse d’un changement de juge commissaire en matière de contestation de créance.
Il est vrai que le cas est atypique.
Ceci d’autant plus que le Tribunal de commerce de Bordeaux, et sa présidente, juge commissaire, ont fait l’objet d’une actualité dérangeante ces dernières semaines notamment en droit de l’entreprise en difficulté.
Dans cette affaire et par ordonnance en date du 14 mars 2018, le juge commissaire du Tribunal de Commerce de Bordeaux, juge commissaire désigné en charge de la liquidation judiciaire de la société M, avait admis au passif l'intégralité d'une créance déclarée par une banque pour la somme de 6 329,57 euros à titre chirographaire à échoir, outre les intérêts de retard au taux de 7,35 %.
Par déclaration du 20 avril 2018, la société M a interjeté appel de cette décision du juge commissaire.
La société M faisait notamment valoir que le créancier ne justifiait par de ses calculs antérieurs et qu'il appartenait à l'établissement bancaire de justifier du bien-fondé du TEG.
Que tout laissait à penser que les intérêts avaient été calculés sur une base annuelle de 360 jours, ce qui est condamné de longue date par la jurisprudence, que le taux d'intérêt, tout comme le taux de TEG du prêt était erroné et que l'indication d'un taux erroné entraînait nécessairement l'indication d'un coût total erroné.
De telle sorte que seul l'intérêt légal resterait dû et que le débiteur était tout aussi fondé à contester les intérêts postérieurs.
Enfin et surtout, la société M, en liquidation judiciaire, et son dirigeant, soutenait que la décision était entachée de nullité comme ne pouvant être signée par un juge commissaire plus de trois mois après la fin de son mandat, alors que par jugement en date du 16 janvier 2018 le Tribunal de commerce avait procédé à la désignation d'un autre juge commissaire,
La question se posait de savoir dans quelles conditions une décision du juge commissaire pouvait être rendue par le nouveau juge commissaire, alors que le débat, dans le cadre d’une procédure orale, avait été développé devant le précédant juge commissaire ?
Se posait également la question de savoir à quel moment, dans le cadre de son délibéré, le juge commissaire devait signer sa décision ? A tout moment dans le cadre de son délibéré ou lors de la mise à disposition de la décision, délai de délibéré expiré ?
Dans le cadre de ce débat à hauteur de Cour, le mandataire liquidateur de la société M, quant à lui, parfaitement apte a soutenir le tribunal de commerce qui le désigne, faisait notamment valoir qu’il considérait l’ordonnance valide et qu'il convenait de distinguer le délibéré, la signature de la décision et sa mise à disposition.
Sans pour autant préciser la portée de cette distinction, ni ses conséquences.
Or, seul le magistrat qui avait assisté aux débats pouvait délibérer,
Cela peut d’autant plus sembler logique qu’en droit de l’entreprise en difficulté la procédure est orale,
Dans cette affaire, les parties avaient été convoquées à l'audience du 7 décembre 2017 et l'affaire avait été mise en délibéré au 10 janvier 2018.
L’ordonnance avait été signée le 14 février 2018 par le juge commissaire et mise à disposition le 14 mars 2018.
Cependant, à la date d’audience, soit le 7 décembre 2017, Monsieur C, était alors le juge commissaire en charge de l’audience, et il était encore en fonction au jour du délibéré le 10 janvier 2018,
L'ordonnance avait été signée par ce dernier qui avait assisté aux débats et au délibéré, alors que la date de signature de l’ordonnance ne correspondait pas à la date d’audience et de plaidoirie mais à la date de mise à disposition de la décision du juge commissaire.
Pour autant, à la date de mise à disposition, le juge commissaire avait changé.
Cela sous tendait nécessairement que l’ancien juge commissaire n’avait plus de compétence, et ne pouvait donc plus signer une décision.
Le mandataire judiciaire, apte à soutenir son tribunal de commerce, considérait que la date du 14 mars 2018 était celle de mise à disposition de la décision au greffe de telle sorte qu’elle ne remettait pas en cause la date de signature du juge commissaire précédent, qui avait signé ladite décision alors qu’il était encore désigné pour ce faire et que la décision était donc parfaitement valable.
Le mandataire liquidateur concluait qu'en tout état de cause l'effet dévolutif de l'appel autorisait la Cour à statuer de nouveau et sollicitait l’admission de la créance.
A bien y comprendre, qu’importe la compétence ou l’incompétence du juge commissaire, il fallait surtout que la créance soit admise.
Ce qui pour le débiteur, méritait quand même débat.
La banque quant à elle, venait soutenir que sa créance était justifiée, que le contrat stipulait une période annuelle de 365 jours pour le calcul du TEG et que l'argumentation adverse était donc infondée
Sur la compétence du Juge Commissaire, la banque soutenait que l'affaire avait été mise en délibéré au 10 janvier 2018, date à laquelle Monsieur C exerçait ses fonctions et que la circonstance que l'ordonnance ait été mise à disposition le 14 mars 2018 était sans conséquence sur sa légalité.
Fort heureusement, la Cour d'Appel ne partage ni l’avis du mandataire judiciaire ni l’avis de l’établissement bancaire.
La Cour d’appel souligne que la société M demande d'abord à la Cour de réformer l'ordonnance du Juge Commissaire avant de lui demander plus loin de la « dire nulle et non avenue ».
Il est vrai que de la demande de nullité de l’ordonnance au motif pris que le Juge Commissaire n’est plus en fonction est quand même spécifique.
La Cour d'Appel rappelle que la société débitrice se prévaut d'une décision de la Présidente du Tribunal de Commerce de Bordeaux du 16 janvier 2018 qui a désigné un autre Juge du Tribunal de Commerce en qualité de juge commissaire à la procédure collective, motif pris que Monsieur C, l’ancien juge commissaire, mettait fin à son mandat.
Or, l'ordonnance litigieuse a été rendue le 14 mars 2018 et la Cour estime que les considérations des intimés, mandataire judiciaire et établissement bancaire, sur la distinction entre date de délibéré, de signature, et de mise à disposition sont inopérantes.
En effet aux termes des dispositions de l'article 450 du Code de Procédure Civile, le jugement qui ne peut être prononcé sur-le-champ, est renvoyé, pour plus ample délibéré, à une date que le président indique, et il peut toutefois aviser les parties que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la juridiction à la date indiquée.
Aux termes de l'article 453 du Code de Procédure Civile, la date du jugement est celle à laquelle il est prononcé, et de ceux de l'article 456 du même Code, le jugement est signé par le président et par le greffier.
Les dispositions particulières au Tribunal de Commerce tel qu’il en découle des articles 853 et suivants du Code de Procédure Civile ne dérogent pas à celles ci-dessus.
Il en résulte notamment que les termes de « date de délibéré » et de « date de mise à disposition au greffe » ne sauraient viser des dates différentes, et désignent en réalité la date du prononcé de la décision, que le prononcé ait lieu à une audience ou par mise à disposition au greffe.
Il en résulte aussi que l'ordonnance litigieuse a été prononcée à l'audience du 14 mars 2018, selon les indications qu'elle comporte, et qui font foi jusqu'à inscription de faux.
Or, il est établi qu'à cette date, Monsieur C, son signataire, n'était plus le juge commissaire en charge de la procédure collective de la société M comme ayant été remplacé le 16 janvier 2018 par Monsieur X et qu'il ne pouvait en conséquence prononcer de décisions dans cette procédure collective.
La Cour considère que cette atteinte à une formalité substantielle entraîne nécessairement la nullité de l'ordonnance.
Cela est heureux.
Pour autant, la Cour considère que l'irrégularité ayant entraîné la nullité de la décision n'affecte pas l'acte introductif d'instance, et en application des dispositions de l'article 562 du Code de Procédure Civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement.
Il y a donc lieu à évoquer la déclaration au passif contestée.
Cette décision est extrêmement intéressante car elle vient préciser que lorsque le Juge Commissaire met sa décision en délibéré, il n’y a pas lieu de distinguer date de délibéré, de signature et de mise à disposition.
Quant à la déclaration contestée, la Cour est moins sensible aux arguments du débiteur.
Cela est à mon sens parfaitement regrettable, car si la banque se plaint de l’inversion de la charge de la preuve, il n’en demeure pas moins que celle-ci, en tant que créancier déclarant, est quand même tenu d’apporter un certain nombre de précisions.
La Cour d'Appel a considéré qu’outre des considérations générales sur le contenu du TEG et sur la sanction encourue en cas de taux erroné, la société M omettait totalement d'expliciter en quoi le TEG serait en l'espèce erroné.
Malheureusement, il convient de rappeler que la seule argumentation juridique ne saurait suffire dans ce contentieux particulièrement technique et doit s’accompagner d’une analyse actuarielle poussée et coûteuse.
En tout état de cause, le Juge Commissaire et la Cour d'Appel se refusent à quelque demande incidente avant dire droit aux fins d’expertise quant à l’analyse exacte du TEG, étant rappelé que cela n’est pas de la compétence du Juge Commissaire.
Des lors, il est regrettable que la Cour considère que la banque peut utilement et suffisamment opposer qu'au contraire, le contrat stipule une période annuelle de 365 jours pour le calcul du TEG, dont il fournit également tous les éléments alors que pour autant rien ne précise si les intérêts conventionnels sont calculés sur une base de 360 ou 365 jours.
La Cour d'Appel considère que les allusions de la société M relatives au TEG du prêt ne sont donc nullement pertinentes et souligne que s'agissant des intérêts au taux conventionnel ou taux nominal, la société M ne démontre pas davantage qu'ils seraient calculés sur une année de 360 jours.
La Cour rappelle que le prêt accordé à la société est un prêt professionnel consenti à une société commerciale et qu’en matière de crédit accordé aux professionnels, il est possible de prévoir contractuellement un calcul du taux nominal du crédit sur une année de 360 jours si le TEG est bien calculé sur une année de 365 jours.
Cela est regrettable car cette argumentation juridique enlève au débiteur et au juge commissaire le droit de vérifier avec exactitude le bien fondé des prétentions de la banque.
Le débiteur est pourtant en droit de contester les intérêts du prêt et le juge commissaire doit procéder à un minimum de vérifications afin de savoir s’il y a matière à valider, ou non, les contestations émises par le chef d’entreprise.
Cela est d’autant plus curieux que la contestation du TEG est un contentieux qui échappe au juge commissaire car cela est de la compétence du Juge du fond, le juge commissaire étant seulement le juge de l’admission de la créance.
La nuisance est subtile.
Elle est d’importance.
Quand le débiteur soulève des contestations, il est en droit de les évoquer sur le fond devant le Tribunal de Grande Instance.
Or la Cour d'Appel croit bon considérer qu’en l'absence de contestation sérieuse, le juge commissaire, et donc la Cour d’Appel à sa suite, a compétence pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.
Cette jurisprudence est intéressante car elle met en avant la problématique liée à la rédaction et la signature des ordonnances du Juge Commissaire dans le cadre de son délibéré et c’est fort heureusement que la Cour d'Appel a annulé l’ordonnance du 14 mars 2018.
Elle éclaire le lecteur sur des pratiques d’intimité d’audience parfois contraires aux règles de procédure civile.
Elle amène aussi le lecteur attentif sur les axes classiques de contestation de créances bancaires et du triste sort qui leur est parfois réservé.
La contestation demeure.
Fort heureusement.
Et le chef d’entreprise en liquidation judiciaire est tout sauf démuni.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,