Il convient de nous intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en janvier dernier et qui vient aborder la question de la portée de l’autorité de la chose jugée des décisions de l’admission de créance à l’égard des associés d’une SCI lorsque cette SCI est sous le coup d’une procédure collective.
En effet, il n’est pas rare de voir une Société Civile Immobilière mise en difficulté se retrouver sous le coup d’une procédure de sauvegarde ou de redressement en liquidation judiciaire et pour lequel, par la suite les associés, par ailleurs bien souvent caution, se retrouvent également exposés par l’établissement bancaire qui, en cas d’insuffisance d’actif, vient se retourner contre eux, tantôt en leur qualité de caution, tantôt en leur qualité d’associés solidairement tenus à proportion de leurs apports.
La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure les associés peuvent contester la créance de la banque alors même que ladite créance a été déclaré par ladite banque au sein de la procédure collective et la créance a été admise.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, la banque avait consenti deux prêts à une SCI X. en mars et avril 2007.
Par un arrêt en date du 24 mars 2011, devenu irrévocable, la Cour d’Appel de BOURGES avait condamné la SCI X. à payer à la banque diverses sommes dues au titre de ces deux prêts, la SCI X avait alors été placée sous le coût d’un redressement judiciaire en février 2014 puis placée en liquidation judiciaire le 9 février 2015 et les créances déclarées par la banque, sur le fondement de l’arrêt du 24 mars 2011, avaient été alors admises par une ordonnance du Juge Commissaire le 2 février 2015.
Cependant, par la suite, assignée en paiement par la banque en leur qualité d’associés de la SCI, tenus en tant que tels des dettes de celle-ci à proportion de leur part dans le capital social, les Consorts J. ont alors formé tierce opposition à l’arrêt du 24 mars 2011 et demandé l’annulation des deux contrats de prêts ainsi que le rejet de la demande en paiement formé par la banque contre la SCI.
La contestation de la créance par les associés de la SCI
Dans cette affaire, c’est la banque qui s’est finalement pourvue en cassation et qui venait faire grief à l’arrêt de la Cour d’Appel d’avoir déclarée recevable la tierce opposition formée par les consorts J. contre l’arrêt de la Cour d’Appel de BOURGES, de réformer à leur égard le jugement du Tribunal de Grande Instance de CHATEAUROUX et par la même, de dire que les contrats de prêts souscrits par la SCI X auprès d’elle en mars et avril 2007 étaient nuls pour non-conformité à l’objet social et de rejeter en conséquence les demandes en paiement fondées sur ces deux contrats de prêts.
La décision d’admission de la créance
Pour la banque, l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif de la procédure de liquidation judiciaire d’une Société Civile Immobilière a pour conséquence que cette créance est définitivement consacrée dans son existence et dans son montant à l’égard des associés de la Société Civile Immobilière, de telle sorte que cette dernière était donc forcément opposable aux associés.
Il en résulte que l’associé d’une Société Civile Immobilière qui n’a donc pas présenté, à l’encontre de la décision d’admission d’une créance au passif de la procédure de liquidation judiciaire de cette Société Civile Immobilière, la réclamation prévue par les dispositions de l’article R.624-8 du Code du Commerce est irrecevable à former tierce opposition à l’encontre de la décision ayant consacré cette créance à l’égard de cette même Société Civile Immobilière.
Rappelons que l’article R624-8 du Code du commerce précise :
« Les décisions prononcées par le juge-commissaire sont portées par le greffier sur la liste des créances mentionnée au premier alinéa de l'article R. 624-2. Cette liste ainsi complétée et les relevés des créances résultant du contrat de travail constituent l'état des créances.
Cet état est déposé au greffe du tribunal, où toute personne peut en prendre connaissance.
Le greffier fait publier au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales une insertion indiquant ce dépôt et le délai pour présenter une réclamation.
Tout intéressé peut présenter une réclamation devant le juge-commissaire dans le délai d'un mois à compter de la publication. Les personnes mentionnées au second alinéa de l'article L. 624-3-1 ne peuvent se voir opposer l'état des créances en l'absence de signification de la décision d'admission prévue à l'article L. 624-2. A leur égard, le délai d'un mois prévu pour présenter une réclamation court à compter cette signification.
En cas d'appel, les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie qui n'ont pas été appelées dans la cause peuvent former tierce-opposition.
Conformément au I de l'article 51 du décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021, ces dispositions entrent en vigueur le 1er octobre 2021. Elles ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur ».
La banque reprochait notamment encore à la Cour d’Appel d’avoir finalement déclarés nuls les prêts souscrits par la SCI X. au motif pris que ces derniers n’étaient pas conformes à l’intérêt social de ladite SCI, ce qui amenait la Cour d’Appel à débouter la banque de toutes ses demandes en paiement fondées sur ces deux contrats de prêts.
Une argumentation des associés permettant la nullité des prêts
Or, pour l’établissement bancaire, à défaut pour les consorts J. en qualité d’associés de la SCI X. placée sous le coup d’une liquidation judiciaire d’avoir exercé un recours à l’encontre de l’état des créances de la procédure de ladite liquidation judiciaire de la SCI X. dans le délai d’un mois à compter de sa publication au BODAC en février 2015, les créances en litige avaient donc acquis l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous de manière erga omnes.
De telle sorte que les consorts J. étaient immanquablement irrecevables à former toute nouvelle contestation portant sur l’existence de la nature ou le quantum de créances ainsi admises définitivement.
Une admission définitive incontestable par les associés
Dans les faits pour la banque, l’admission définitive des créances de la banque dans le cadre et pour les besoins de la liquidation judiciaire de la SCI X. n’interdisait nullement aux associés, qui n’étaient ni plus ni moins parties à cette procédure collective, qu’à l’instance précédente devant la Cour d’Appel de BOURGES d’exercer devant un Juge le recours effectif reconnu pourtant par l’article 6.1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales.
Au demeurant, l’examen du bordereau de déclaration de créances montrait que la banque n’avait pas déclaré d’autres créances que celles résultant précisément de la décision de la Cour d’Appel de BOURGES de mars 2011 qui était déjà définitive à la suite du rejet du pourvoi de cassation formé contre cet arrêt en juin 2012.
A cela s’ajoutait l’autorité de la chose jugée qui était irrévocablement attachée à l’ordonnance du Juge Commissaire rendue en février 2015, par laquelle ledit Juge Commissaire de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI X. avait admis les créances de la banque résultant des deux prêts en question de mars et d’avril 2007.
L’admission de ces créances découlait de l’autorité de la chose jugée des décisions qui avaient été rendues en juin 2010 et qui avaient été rendues notamment par l’arrêt de la Cour d’Appel de BOURGES de mars 2011, de telle sorte que cette admission au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI X. avait pour conséquence que ces créances étaient dès lors définitivement consacrées dans leur existence et dans leur montant, de telle sorte que la tierce opposition formée par les associés était immanquablement irrecevable.
La recevabilité, l’échappatoire facile de la banque
Telle était donc l’argumentation évoquée par la banque et l’on reconnait bien d’ailleurs l’attitude de l’établissement bancaire qui préfère aborder des problématiques d’irrecevabilité des moyens soulevés par les associés en contestation des prêts en question plutôt que de répondre sur la question même de ces prêts en question car force est de constater, à la lecture de la jurisprudence en question, que sur le fond du droit il y avait donc bel et bien matière à obtenir la nullité de ces contrats de prêts octroyés aux SCI dans la mesure où ces contrats de prêts étaient clairement contraires à l’intérêt et à l’objet social de la SCI en question.
Pour autant, force est de constater, qu’une fois de plus, l’argument de la banque qui vise à écarter les prétentions des cautions et associés au motif pris d’une problématique d’irrecevabilité a tout son sens et finalement convainc la Cour de cassation.
En effet, dans cette jurisprudence, la Cour de cassation rappelle au visa des articles 1351 devenu 1355 du Code Civil et 583 du Code de Procédure Civile et R.624-8 du Code du Commerce que l’autorité de la chose jugée et qui s’attache à la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif de la liquidation d’une Société Civile s’impose à ses associés,Â
L’autorité de la chose jugée de l’admission de créance par le juge commissaire
De telle sorte que s’il n’a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l’article R.624-8 du Code du Commerce dans le délai fixé par ce texte, l’associé d’une Société Civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce opposition à la décision antérieure condamnant la société au paiement de ladite créance et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise.
Ainsi, pour déclarer recevable la tierce opposition formée par les consorts J., l’arrêt de la Cour d’Appel retient que c’est en vain que la banque prétend qu’à défaut pour ceux-ci d’avoir exercé un recours contre l’état des créances dans le délai d’un mois à compter de sa publication au BODAC le 28 février 2015, la créance en litige a acquis l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous de sorte qu’ils seraient irrecevable à former toute nouvelle contestation portant sur l’existence, la nature ou le quantum de la créance ainsi admise définitivement,
Dès lors que l’admission définitive de la créance de la banque, dans le cadre et pour le besoin de la liquidation judiciaire de la SCI, n’interdisait nullement aux associés qui n’étaient ni plus, ni moins parties à cette procédure collective qu’à l’instance précédente devant cette Cour d’exercer devant un Juge le recours effectif reconnu par le texte précité.
Au demeurant l’examen du bordereau de déclaration de créances montre que la banque n’a pas déclaré d’autres créances que celles résultant précisément de l’arrêt du 24 mars 2011 qui était déjà définitif suite au rejet le 28 juin 2012 du pourvoi formé contre cet arrêt et qu’ainsi les consorts J., qui ont un intérêt manifeste d’avoir rétracté le jugement dès lors qu’ils sont poursuivis en paiement par la banque pour répondre des dettes sociales de la SCI à proportion de leur part dans le capital social, doivent être déclarés recevables en leur tierce opposition.
Pour autant, pour la Cour de Cassation, en statuant ainsi, alors que les consorts J. ne contestaient pas ne pas avoir en tant qu’intéressés au sens de l’article R.624-8 alinéa 4 du Code du Commerce présentaient contre l’état des créances, dans le délai d’un mois à compter de sa publication au BODAC, la réclamation prévue par ce texte, lequel leur ouvrait un accès effectif au Juge au sens de l’article 6-1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales de sorte que, faute d’intérêt, leur tierce opposition à l’arrêt condamnant la SCI n’était pas recevable.
La Cour d’Appel a violé les textes susvisés.
Ainsi, la Haute Juridiction rappelle en tant que de besoin que les associés de la SCI doivent, dès le début de la procédure, prendre l’initiative de toute forme de réclamation et de contestation sans attendre que la SCI soit condamnée soit sous le coup d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, mais sans attendre surtout que la créance de la banque à l’encontre de ladite SCI soit admise au sein de la procédure collective.
Des associés nécessairement actifs dans la procédure de liquidation judiciaire
Car, par la suite, et tant bien même les associés auraient des moyens de contestation pertinents, tant en leur qualité d’associés que de cautions, pour obtenir la nullité de l’acte de prêt dans la mesure où la banque a obtenu déjà une condamnation définitive à l’encontre de la SCI en question et/ou a également obtenu une décision d’admission de la créance devant le Juge Commissaire au sein même de la liquidation judiciaire, ceux-ci ne peuvent plus le faire au visa de cette jurisprudence.
L’associé doit anticiper les difficultés de la SCI
Dès lors, il est extrêmement important d’anticiper toute forme de contentieux et dès les premières difficultés financières d’immédiatement réfléchir à une stratégie de défense, voire d’attaque à l’encontre de l’établissement bancaire (car comme à chacun sait la meilleure défense demeure toujours l’attaque, encore plus en contentieux bancaire contre l’établissement bancaire) et dès lors, cette réflexion doit être globale tant à l’encontre de la SCI mais également à l’encontre des associés qui doivent être parties prenantes dès le début à la procédure.
Dès lors, cette jurisprudence apporte comme essentielle information le fait que dans la mesure où il y une véritable portée de l’autorité de la chose jugée des décisions d’émission de la créance d’une SCI en liquidation judiciaire avec un des associés, ces derniers doivent impérativement anticiper cette difficulté et être des véritables acteurs des contestations de créances qui peuvent être faites à l’encontre de la banque sans attendre que la liquidation judiciaire de la SCI sans attendre que la créance soit admise au sein de la procédure collective de la SCI car par la suite ces derniers ne peuvent plus contester cette créance bancaire.
A bon entendeur.
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Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,Â
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