L’État d’urgence sanitaire a généré pléthore de textes venant réglementer cet État d’urgence sur tous les pans de notre vie juridique, judiciaire, économique et sociale,
Il convient de s’intéresser plus spécialement aux textes visant les locaux professionnels et commerciaux,
Deux nouveaux décrets sont sortis afin de réglementer cette période de confinement.
Il convient de s’intéresser à l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19.
L’article 1 précise « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance no 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée.
Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure ».
Il convient cependant de s’intéresser aux critères d’éligibilité prévus dans ladite ordonnance qui précise dans son article 2 :
« A compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, ne peuvent procéder à la suspension, à l’interruption ou à la réduction, y compris par résiliation de contrat, de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau aux personnes mentionnées à l’article 1er pour non-paiement par ces dernières de leurs factures :
Ø Les fournisseurs d’électricité titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 333-1 du code de l’énergie ;
Ø Les fournisseurs de gaz titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 443-1 du même code ;
Ø Les fournisseurs et services distribuant l’eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales
En outre, les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder au cours de la même période à une réduction de la puissance distribuée aux personnes concernées. »
Cette même ordonnance permet aux entreprises qui le sollicitent de demander un report d’échéances qui doit être obligatoire accordé par les organismes susvisés et ce pour les factures exigibles entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 non encore acquittées.
Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes précitées.
Il importe de préciser que le texte indique que le paiement des échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois.
Lorsqu’elles demandent à leur fournisseur le rééchelonnement du paiement des factures, les entreprises doivent attester qu’elles remplissent les conditions pour bénéficier de ces dispositions.
Cependant, tout laisse à penser que rien n’oblige le créancier, passé le délai susvisé, à octroyer un délai supérieur de telle sorte qu’en pratique, il est fort à parier que la créance devra être immanquablement étalée sur seulement 6 mois.
Cela promet malgré tout une reprise d’activité difficile car si l’État risque fort d’être soucieux de mettre fin rapidement à l’état d’urgence sanitaire, il n’en demeure pas moins que la reprise de l’activité économique ne va pas être immédiate.
Concernant le sort des locaux commerciaux et professionnels les textes sortis viennent également définir des possibilités de suspension et de report sans risquer une résiliation du bail,
En effet, concernant les baux professionnels et les baux commerciaux, le texte précise que les entreprises ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Ce texte s’applique pour les loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.
Ces dispositions sont plus intéressantes puisqu’il est prévu un délai supplémentaire de 2 mois pour permettre aux entreprises de faire face à leurs loyers commerciaux et professionnels.
Cependant ces dispositions sont soumises à critères.
En effet ces textes favorables sont réservés aux petites entreprises, micro-entrepreneurs et professions libérales ayant un chiffre d’affaires inférieur à 1 000 000 euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros.
Il convient de rappeler que ce barème est malgré tout réducteur et ce double critère chiffre d’affaires et bénéfice annuel imposable n’est pas forcément en adéquation.
Ce double critère est à mon sens délicat car il va fermer les portes à bon nombre d’entreprises et le texte laissant à penser que les autres entreprises ont vocation à avoir une trésorerie suffisante pour faire face à la période litigieuse en question.
Il appartiendra à l’entreprise de réfléchir à l’opportunité de suspendre telle créance pour ne pas être mise par la suite en difficulté.
Par ailleurs, concernant les loyers commerciaux et les loyers professionnels, ce texte ne précise pas dans quelles mesures les loyers devront être réglés.
Si pour les autres factures, le texte prévoit que l’échéancier peut se faire sur 6 mois maximum, il aurait été judicieux que cette approche soit également envisagée pour les loyers.
Si beaucoup de décrets sont sortis concernant les problématiques européennes, il n’en demeure pas moins que la question des entreprises n’a pas fait l’objet de beaucoup d’aide sur la problématique des échéances bancaires.
Il est vrai qu’une ordonnance du 25 mars 2020 portant sur la création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a été promulguée.
Ce fond est institué pour une durée de trois mois un fonds de solidarité et pour objet le versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation.
Tout laisse à penser que s’agissant des échéances bancaires, cela est laissé à l’appréciation des établissements bancaires.
En effet, cette question du sort des échéances bancaires demeure,
Il est actuellement question de prêts possibles sans intérêts et reportable sur une année,
Les établissements bancaires réclament d’ores et déjà plusieurs documents, notamment :
- Le chiffre d’affaires annuel HT en KE avec soit le bilan 2019 soit une attestation du comptable
- Le besoin de financement de trésorerie : reprenant l’estimation des charges à venir,
- Une explication sur la nature des difficultés rencontrée suite au COVID 19
- Les mesures prises par l’entreprise (chômage partiel …) ou que l’entreprise bénéficierait par l’Etat (URSSAF, DSIG…)
La banque instruit alors le dossier, et en cas de pré-accord, il appartient au chef d’entreprise, ou au professionnel libéral de la solliciter la BPI qui se portera alors caution et viendra garantir ledit prêt.
Les conditions de ce financement sont normalement avantageuses, savoir un prêt à taux de 0% sans frais de dossier et sans pénalité en cas de remboursement par anticipation ;
Il est soumis à une prise de garantie à 90% par BPI (commission de garantie du prêt In Fine de 0,25% à 0,50% en fonction du chiffre d’affaire).
Cependant, il importe de faire attention, la durée d’amortissement est de 12 mois avec 1 échéance unique au bout des 12 mois.
Il s’agit d’un crédit in fine,
Au terme de ces 12 mois, si l’entreprise le souhaite elle peut alors bénéficier d’une transformation dudit prêt in fine en un prêt amortissable, et ce, sur une durée maximum de 60 mois à un taux fixe ou variable.
Dans pareil cas, les intérêts conventionnels seront alors donc clairement prévus.
Ils sont pour l’heure inconnus, ce qui n’est pas forcément rassurant,
D’autant plus qu’il est fort à parier que ce prêt in fine d’un an sera difficilement remboursé au bout d’un an car il risque fort d’être sérieusement grignoté par le chef d’entreprise qui devra d’un coté régler ses charges courantes et de l’autre coté recréer une trésorerie pour rembourser in fine le prêt à 0% dans l’année sous peine de s’assujettir à un prêt amortissable avec intérêts,
Le tout en relançant son activité et en recréant un chiffre d’affaires…
Sujet délicat, car si d’aucuns ne savent dans combien de temps l’État d’urgence sanitaire va se finir, il sera tout aussi difficile de prévoir dans quelles conditions la reprise de l’activité économique va se dérouler, au niveau local, régional, national et international,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,