Il convient de s’intéresser à diverses décisions rendues au mois d’octobre 2017 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux qui viennent mettre en exergue les interrogations relatives à la problématique spécifique de la déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier,
En effet, l’article L622-24 alinéa 3 du Code de Commerce prévoit que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ».
Il convient de rappeler que la déclaration de créance est une étape importante de la procédure collective puisque elle permet aux organes de la procédure de déterminer l’étendue du passif et donc de déterminer les perspectives réelles de sauvegarde ou de redressement d’entreprises sans quoi celles-ci seraient dirigées vers une liquidation judiciaire.
Afin de ne pas enliser l’entreprise en difficulté dans le cadre d’une phase de vérification des créances trop longues et importantes, le législateur a prévu depuis toujours (1965,1985, 1994, 2005, 2012) un délai court de déclarations de créance.
La déclaration de créances doit se faire entre les mains du mandataire judiciaire dans les deux mois de la publication au Bodacc du jugement d’ouverture de la procédure collective,
Par la suite, le chef d’entreprise en difficulté autrement appelé débiteur, procède à la vérification des créances en l’étude du mandataire,
Le chef d’entreprise en difficulté a alors la faculté d’accepter ou de contester les déclarations de créance qui sont déclarées,
En cas de contestation, il appartient au chef d’entreprise de motiver et de contester au mieux sa contestation,
Il appartient ensuite au mandataire judiciaire de notifier par courrier RAR l’avis de contestation au créancier qui a trente jours pour répondre à cette contestation,
A défaut, le créancier risque de se voir interdire tout droit à réponse ultérieur du motif de contestation invoqué par le débiteur, le juge commissaire étant alors en mesure de rejeter la créance en son entier ou de l’admettre sur la base de la seule proposition du mandataire judiciaire,
Réforme faisant, l’ordonnance n°326 du 12 mars 2014 vient apporter une modification d’importance, puisque si jusqu’alors le débiteur avait juste l’obligation de remettre une liste des créanciers au mandataire judicaire à l’ouverture de la procédure collective, celui-ci est désormais tenu d’y procéder afin de prédéterminer le passif de la procédure, le chef d’entreprise en difficulté devenant le mandataire des créanciers qu’il vise dans sa liste,
L’approche de cette réforme est radicalement différente,
Avant 2014, la liste des créanciers établie par le chef d’entreprise servait à offrir une double visibilité,
En premier lieu de permettre aux organes de la procédure d’estimer le passif,
En deuxième lieu, de vérifier si le dirigeant avait une réelle visibilité de son activité, sans quoi il pourrait être assujetti à une interdiction de gérer,
Désormais, le chef d’entreprise participe activement à l’élaboration du passif de sa propre procédure collective,
Cette réforme devait réduire le contentieux de manière considérable afin de mettre d’accord les créanciers et le débiteur et donc réduire tout moyen de contestation devant le Juge Commissaire.
Pour autant il n’en est rien,
Le contentieux s’est déplacé sur de nouveaux axes de contestations et de nouvelles pratiques.
Effectivement, le fait que le débiteur déclare une créance n’enlève rien au fait que le créancier a l’obligation de la ratifier.
Dans la première affaire, le mandataire judiciaire avait soulevé la forclusion du créancier au motif que ce dernier n’avait pas procédé à la déclaration de créances.
Pour autant, le Tribunal n’y fait pas droit et considère que dans la mesure où le débiteur a porté à la connaissance du mandataire judiciaire sa créance et donc était présumé avoir agi pour le compte du créancier, la créance a été déclarée dans les délais de telle sorte que celle-ci ne peut être forclose.
En effet, le débiteur en ayant établi dans la liste des créanciers, la créance litigieuse avec son montant, le créancier ne pouvait être valablement forclos même si ce dernier ne procédait pas à une déclaration de créances par lettre recommandée avec accusé de réception dans le délai de mois à compter de la publication au BODACC.
Dès lors, dans la mesure où le débiteur a visé la créance dans son listing, celle-ci est inscrite au passif et par là même le créancier n’a plus à faire sa déclaration de créances ni à la justifier si celle-ci n’est pas contestée.
Pour autant, la question se pose,
Le débiteur peut-il contester la créance qu’il a lui même visé dans la liste des créanciers ?
A mon sens oui,
Comme à chacun sait, il n’est jamais trop tard pour bien faire,
Cependant, le chef d’entreprise pourrait se heurter à un mandataire judiciaire qui refuserait l’idée même d’une contestation dans la mesure ou la créance a été visée par le débiteur,
En effet, le mandataire pourrait considérer que dans la mesure où le débiteur a visé la créance dans son listing avec un montant précis, il n’est plus fondé à remettre en question cette créance dans le cadre de la vérification des créances qui se ferait par la suite.
Pour autant, dans l’hypothèse où le créancier ne fournit aucun justificatif à l’appui de sa créance, rien n’empêche le débiteur de contester la créance in fine.
Dans la deuxième affaire, le créancier, dans le doute, avait préféré se faire relever de forclusion,
Là encore, le juge commissaire rejette sa demande au motif que la cause était sans objet dans la mesure où la créance était visée dans la liste du passif.
En conséquence, la question qui se pose est de savoir si le débiteur a intérêt à une parfaite transparence sur des créances qu’il aurait vocation à contester.
Non pas tant sur leur existence, mais plutôt sur leur montant ou quantum,
En effet, il convient de rappeler l’esprit de la procédure collective,
Car plus le passif sera réduit et plus les chances de présenter un plan de sauvegarde ou de redressement seront importantes.
Dès lors, la vraie question qui se pose, en pratique, est de savoir si le débiteur est vraiment tenu de viser l’ensemble de tous les créanciers et de noter le bon montant ?
Il serait plutôt judicieux pour lui de viser un montant bien inférieur dans l’hypothèse où le créancier ne déclarerait pas sa créance dans le délai de deux mois.
Il serait donc forclos sur le surplus sauf à se faire relever de forclusion.
Cela n’est à mon sens pas incompatible avec les dispositions de l’article R 622-5 du Code de Commerce qui prévoit que :
« la liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Elle comporte l'objet des principaux contrats en cours.
Dans les huit jours qui suivent le jugement d'ouverture, le débiteur remet la liste à l'administrateur et au mandataire judiciaire. Celui-ci la dépose au greffe ».
Le mandataire en charge de la vérification des créances devient alors le « garde fou » de la liste des créanciers puisqu’il peut les contester au motif qu’elles ne seraient pas justifiées.
Le chef d’entreprise ne doit surtout pas être en reste,
Il se doit de contester au mieux les créances,
Par la suite, le contentieux sera porté devant le Juge Commissaire sur le fondement des dispositions de l’article R 622-23 du Code de Commerce qui prévoit que la déclaration de créance contient les éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre.
Le mandataire judiciaire tout comme le débiteur ont vocation à contester les créances afin d’amener le créancier à justifier du bien fondé de sa créance et surtout de l’exposer à un rejet de la créance en cas de non réponse.
Le vœu pieu de l’ordonnance de 2014 visant à remettre en question et réduire autant que faire se peut le contentieux de la vérification des créances est loin d’être acquis,
Au contraire la pratique démontre bien qu’il y a de nouvelles perspectives.
Ce contentieux offre de belles perspectives de réduction du passif et ce dans l’intérêt du débiteur car plus le passif sera réduit et plus le chef d’entreprise en difficulté sera en mesure d’y faire face et les risques de responsabilité de ce dernier seront réduites comme peau de chagrin.
Il est bien évident que le nerf de la guerre en droit économique est la fixation du passif qui va déterminer l’ensemble des tenants et aboutissants du bon déroulement de la procédure collective jusqu’à la clôture.