Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour de cassation, le 20 octobre dernier, et qui vient aborder la problématique de l’indivision entre deux concubins pour déterminer avec exactitude quelle créance payée par un des concubins a vocation à être impactée et imputée au passif de l’indivision des deux concubins.
Quels sont les faits ?
Il ressort des circonstances de la cause que dans cette affaire, Monsieur V. et Madame Y., qui vivaient alors en concubinage, ont acquis un immeuble en indivision chacun pour moitié à 50/50, au moyen de deux emprunts souscrits solidairement pour lesquels ils ont adhérés à une assurance garantissant en cas d’invalidité le remboursement de la totalité du prêt restant dû.
Après la séparation du couple et la vente du bien, des difficultés se sont élevées à l’occasion de la liquidation de l’indivision.
En effet, aux termes de son pourvoi Monsieur V. énonçait deux moyens de contestation concernant les désaccords existant entre Madame Y et lui-même, alors concubins, sur le sort des dettes pouvant être prises en charge dans le passif de l’indivision.
En effet, ce dernier considérait, à hauteur de Cour de cassation, que l’assurance habitation qui concernait la protection de l’immeuble incombe à l’indivision en dépit de l’occupation privative par un des indivisaires.
Prise en charge par les concubins de l’assurance habitation
Selon lui, il n’y a pas à distinguer selon les risques couverts par celle-ci, et Monsieur V contestait le fait que la totalité des échéances de l’assurance habitation réglées par ce dernier devaient être prise en compte par l’indivision sans forcément distinguer la part du contrat qui garantit l’immeuble en cas de sinistre et participe ainsi à sa conservation de la part qui couvre personnellement leur titulaire occupant des lieux de vol et responsabilité civile pour amener la haute juridiction à fixer au passif de l’indivision les échéances d’assurance habitation.
Monsieur V. soulignait également que plusieurs mensualités du prêt immobilier avaient été acquittées par la compagnie d’assurances.
La prise en charge des échéances du prêt immobilier par l’un seul des concubins
En effet, ce dernier soutenait que lorsque le souscripteur à l’emprunt destiné à l’acquisition d’un bien indivis a adhéré à une assurance garantissant le remboursement du prêt, la mise en œuvre de l’assurance à la suite de la survenance d’un sinistre a pour effet, dans les rapports entre les acquéreurs indivis et donc entre les concubins, d’éteindre la concurrence du montant de la prestation de l’assureur et la dette de contribution incombant à l’assuré concerné.
De telle sorte que l’autre concubin devait rembourser le profit tiré de la situation.
En effet, l’assureur de Monsieur V avait été amené à prendre en charge la totalité des mensualités de remboursement d’emprunt à la suite d’un accident dont celui-ci avait été victime.
De même suite, Madame Y. n’avait pas eu à s’acquitter desdites mensualités.
Cette situation de fait devait-elle créer, au bénéfice de Monsieur V., dont le patrimoine ne s’est pas forcément appauvri, aucune créance sur l’indivision, quand dans ses rapports avec Madame Y., acquéreur indivis, la mise en œuvre de son assurance avait éteint à concurrence de la prestation de celui-ci, la dette de contribution lui incombant, sans que Madame Y, de son côté, se soit acquittée de sa part contributive ?
Dans le cadre de son pourvoi, Monsieur V. venait notamment faire grief à l’arrêt de la Cour d’Appel d’ANGERS d’avoir dit que la masse passive de l’indivision devait être fixée sans que soit pris en considération les échéances de contrat d’assurances habitation que celui-ci avait réglées.
Une assurance habitation tendant à la conservation de l’immeuble indivis
Monsieur V soutenait que l’assurance habitation, qui tend à la conservation de l’immeuble, incombe à l’indivision en dépit de l’occupation privative par un indivisaire,
De telle sorte qu’il n’y a pas lieu à distinguer selon les risques couverts par celle-ci et que, dès lors, la Cour d’appel s’était trompée en retenant en l’espèce que la totalité des échéances d’assurance habitation réglées par Monsieur V. ne devaient pas être prise en charge par l’indivision et qu’il convenait, dès lors, de distinguer la part de ces contrats qui garantissent l’immeuble en cas de sinistre et participent ainsi à la conservation du bien de ce qui couvre personnellement leur titulaire sur les clauses relatives au vol et responsabilité civile.
Pour autant, sur cette question d’assurance habitation, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et rappelle, en tant que de besoin, au visa de l’article 815.13 du Code Civil, que lorsqu’un indivisaire a avancé sur ces deniers personnels les sommes nécessaires à la conservation d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée autant du partage.
Pour autant, après avoir relevé que Monsieur V. avait souscrit une assurance habitation dont il avait seul réglé les cotisations, la Cour d’Appel a retenu à bon droit, pour la haute juridiction, que les sommes ainsi payées et qui participaient à la conservation de l’immeuble devait être imputées au passif de l’indivision, après déduction de la fraction correspondant aux garanties couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat et sa responsabilité civile.
La conservation de l’immeuble, frais inscrits au passif de l’indivision ?
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle rappelle que l’assurance habitation, en dehors de la part couvrant les dommages subis personnellement par le titulaire du contrat vol et responsabilité civile, demeure une créance d’indivision qui a vocation à être pris en compte dans le passif de l’indivision entre les deux concubins.
La prise en charge des mensualités du crédit immobilier en cas de sinistre
La deuxième question traitée par cette jurisprudence aborde le sort de de la prise en charge des mensualités de remboursement d’emprunt par la compagnie d’assurances,
En effet, dans l’hypothèse où l’un des deux coindivisaires fait jouer son assurance au motif pris que celui-ci a été blessé ou est en invalidité, et qu’il fait, par la même, économiser au coindivisaire, soit l’autre concubin, sa quotepart d’échéance qu’il n’a pas vocation à régler, la question se pose de savoir si celui-ci est en droit de solliciter le remboursement de cet avantage par le coindivisaire qui, lui, n’a pas été assujetti à quelle qu’invalidité ou quel qu’arrêt maladie que ce soit ?
Une assurance de prêt enclenchée au bénéfice de l’un est-il profitable aux deux ?
En effet, Monsieur V. sollicitait, dans la mesure où l’assureur de celui-ci avait été amené à prendre en charge les mensualités de remboursement d’emprunt, l’inscription au passif de l’indivision d’une somme de 8 280 € correspondant aux échéances prises en charge par la compagnie d’assurances et pour laquelle, selon lui, la moitié devait prise en charge à hauteur 4 140 € par Madame Y.
Pour autant, cette prétention avait été écartée par le Juge aux Affaires Familiales qui considérait que dès lors que la prise en charge temporaire du remboursement d’un emprunt par l’assurance de Monsieur V. en sus de la réalisation d’un risque dans la couverture constituait la prestation caractéristique du contrat d’assurances et en exécution des stipulations contractuelles, dont il a lui-même tiré profit en ne supportant aucun débours dans sa période d’incapacité, n’a pu créer au bénéfice de l’appelant dont le patrimoine ne s’est en rien appauvrit aucune créance à l’encontre de l’indivision.
Or, du fait de la prise en charge par la compagnie d’assurance des mensualités du prêt immobilier, entre décembre 2008 à décembre 2009, Madame Y. n’avait pas versé sa quotepart du prêt immobilier contracté aujourd’hui soldé et qu’elle s’était contentée de régler sa propre assurance précisant qu’il avait personnellement bénéficier d’indemnité journalière couvrant l’intégralité des prêts en suite d’un accident dont il avait été victime.
Il est ainsi constant que Madame Y. n’a pas eu à s’acquitter desdites mensualités dès lors qu’elles ont été prises en charge pour la totalité par la compagnie d’assurances couvrant le prêt.
Pour autant, pour pouvoir prétendre à une créance à l’encontre de son coindivisaire, Monsieur V. doit établir que son patrimoine personnel s’est appauvri au bénéficie de celui de cette dernière, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
De telle sorte que les règlements effectués par la compagnie d’assurance ont été réalisés en exécution du contrat souscrit par Monsieur V. et ne peuvent juridiquement être assimilés à des paiements qu’auraient réalisé personnellement ce dernier, de telle sorte qu’il ne peut solliciter d’inscription au passif de l’indivision de la moitié des échéances qui auraient dû finalement être payées par Madame Y. si celui-ci n’avait pas été inapte ou en incapacité.
La Cour de cassation retient cette analyse et rappelle encore au visa de l’article 815-13 du Code Civil que lorsqu’un indivisaire à avancer de ses deniers les sommes nécessaires à la conservation d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité et eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée autant du partage.
La Cour de cassation souligne qu’après avoir relevé qu’à la suite de l’invalidité de Monsieur V. l’assureur avait réglé de décembre 2008 à décembre 2009 l’intégralité des mensualités de remboursement des deux emprunts, la Cour d’Appel a retenu à bon droit que celui-ci, qui n’avait exposé aucune dépense au moyen de ses deniers personnels pendant cette période n’était pas fondé à obtenir de l’indivision une indemnité correspondant aux sommes ainsi versées sur son compte.
Une indemnité versée par l’assureur profitable aux deux concubins, sans droit à récompense,
La Cour de cassation rappelant qu’en effet, l’établissement prêteur ayant par l’effet de la stipulation ainsi faite à son profit directement recueilli l’indemnité versée par l’assureur s’était substitué à l’assuré pour le remboursement du solde des prêts garantis, cette indemnité n’était jamais versée dans le patrimoine de Monsieur V.
Le sort des travaux réalisés par l’un des concubins coindivisaires
Se posait enfin la question des travaux qui avaient été réalisés par un des coindivisaire, professionnel du bâtiment, sur le bien pour savoir si, oui ou non, cela avait généré une valorisation d’actif et si, oui ou non, cela devait être pris en charge en tout ou en partie dans le passif d’indivision à faire supporter par le coindivisaire.
En effet, Monsieur V. sollicitait la rémunération de son industrie au passif de l’indivision entre les deux concubins.
Pour autant, ce dernier a en fait considéré que l’activité personnelle déployée par l’indivisaire ayant contribué à améliorer un bien indivis certes, ne peut être assimilé à une dépense d’amélioration dont le remboursement donnerait lieu à application de l’article 815-13.
Il n’en demeure pas moins que l’indivisaire peut prétendre à la rémunération de son activité sur le fondement de l’article 815-12 du même Code.
En effet, Monsieur V. rapportait la preuve qu’il a fourni son industrie personnelle dans le cadre des travaux de réhabilitation de la maison et que plusieurs témoins en attestent, invoquant une restauration effectuée par Monsieur V.
Cette jurisprudence est intéressante à plus d’un titre puisqu’elle vient aborder trois problématiques qui demeurent malgré tout récurrentes dans le cas d’une séparation entre concubins lorsque ces derniers se sont portés acquéreur de manière indivise d’un bien immobilier car, si l’un des deux reste à l’intérieur et supporte un certain nombre de charges (échéances de prêt, assurance habitation ou même encore des travaux pour entretenir, si ce n’est améliorer le bien), cela génère forcément des dettes ou des créances qui ont vocation à être intégrées au passif de l’indivision entre les deux concubins.
Quels sont les droits des concubins sur leur patrimoine commun ?
Cette jurisprudence rappelle que sur le terrain patrimonial la séparation de deux personnes vivant en concubinage et qui sont propriétaires coindivisaires du bien génèrent forcément des dettes qui doivent être inscrites au passif amenant l’un des concubins à solliciter le remboursement de l’autre de ses droits à récompense sur le passif de l’indivision.
Cette jurisprudence illustrant premièrement le sort de la prise en charge de l’assurance habitation qui participe immanquablement à l’entretien du bien.
Cette jurisprudence vient également aborder la question de savoir si, oui ou non, en cas de prise en charge des échéances du prêt par la compagnie d’assurances en cas d’invalidité de l’un des concubins est-ce que le deuxième concubin, qui en tire immanquablement profit puisqu’il n’a pas vocation à régler ses propres échéances, a-t-il vocation à rembourser ou non sa quotepart à l’emprunteur qui s’est retrouvé en difficulté et en invalidité.
Enfin, cette jurisprudence rappelle encore que dans l’hypothèse où l’un des concubins apporte son industrie, ses compétences techniques notamment en matière de BTP dans l’entretien et l’amélioration du bien, la question se pose de savoir si, oui ou non, il a vocation également à solliciter la prise en charge de cette amélioration et de ces travaux, fussent-ils au travers des apports en industrie par le passif de l’indivision.
Les réponses sont dans l’ensemble favorables, sous réserve effectivement de quelques applications pratiques où chaque cas, même particulier, mérite une analyse spécifique.
Cependant, et en tout état de cause, il est bien évident que dans l’hypothèse d’un bien qui est en indivision entre deux concubins qui viennent de se séparer le compte doit être fait entre les parties.
Il est également bien évident de le concubin qui paye les dettes des charges communes au profit des deux a vocation tout naturellement à en réclamer remboursement, ainsi que l’inscription de ces créances payées par lui seul pour les deux au passif de l’indivision et dès lors de demander un droit à récompense à l’autre coindivisaire et ex concubin pour que celui-ci fasse face à ses obligations que ce soit, soit en payant des droits à récompense qu’il doit, soit en permettant la déduction sur sa quotepart du prix de la vente du bien des sommes qui reviennent immanquablement au concubin, coindivisaire qui a réglé l’ensemble des charges pour les deux.
A bon entendeur….
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,