Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en octobre 2020 et qui vient aborder le sort particulier du créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble est inopposable dans la mesure où celui-ci, nonobstant l’ouverture de la procédure collective, bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble.
Pour autant, est-il assujetti au principe d’ordre public de l'arrêt des poursuites individuelles ou encore aux principes de l’interdiction de recevoir paiement des créances antérieures au jugement d’ouverture ?
Quels sont les faits ?
Une banque avait consenti un prêt à Madame P, entrepreneur individuel, le 03 janvier 2016.
Cette dernière avait fait publier une déclaration d'insaisissabilité de sa résidence principale le 03 mai 1010, et avait été malheureusement placée en liquidation judiciaire, par la suite, et par jugement en date du 07 octobre 2014.
La procédure ayant été par ailleurs clôturée le 03 novembre 2015.
Tout laisse à penser d’ailleurs que le créancier avait déclaré sa créance au sein de la procédure collective.
Or, à peine la clôture pour insuffisance d’actif prononcée, la banque avait, sur autorisation du juge de l'exécution fait inscrire le 09 novembre 2015 une hypothèque provisoire sur l'immeuble.
Le 16 novembre 2015 suivant la banque a alors assignée Madame P au paiement de sa créance.
La déclaration d’insaisissabilité
Cette dernière a opposé l’irrecevabilité de la demande et solliciter la levée de l’hypothèque au motif pris de ce que sa déclaration d’insaisissabilité avait été publiée bien avant le jugement de liquidation judiciaire
En effet, la déclaration d’insaisissabilité de Madame P avait été publié le 03 mai 2010.
Or, le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire avait été rendu quant à lui le 07 octobre 2014, soit plus de 4 ans plus tard.
Dès lors, la déclaration d’insaisissabilité était par conséquent opposée à la liquidation judiciaire de Madame P de telle sorte que sa résidence principale ne constituait pas un élément d’actif à réaliser au sein de ladite procédure collective.
Le droit de reprise des poursuites du créancier
Cette déclaration d’insaisissabilité était-elle cependant opposable au créancier inscrit qui décide de reprendre ses poursuites post-clôture ?
Pour autant, à bien y comprendre, et c’est ce que soutenait la banque, la déclaration d’insaisissabilité lui était inopposable puisque, non seulement, les droits de la créance bancaire sont nées antérieurement à ladite déclaration d’insaisissabilité, mais bien plus encore, l'immeuble objet de la déclaration devait être considéré comme un actif étant hors procédure collective.
Dès lors, pour la banque, dans la mesure ou les opérations de liquidation et de réalisation des actifs n’avait pas permis de désintéresser sa créance, celle-ci pouvait retrouver l’exercice d’un droit de poursuite individuel à l’encontre de la résidence personnelle du débiteur, à la condition que la créance puisse être rattachée à la personne du créancier et qu’elle ne fasse pas partie du passif professionnel du débiteur.
Madame P ne partageait pas cette analyse.
En effet, elle faisait valoir qu’elle avait pris soin d’organiser la protection de son patrimoine personnel et elle prenait soin de rappeler que l’immeuble lui appartenant avait fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité publiée bien avant l’ouverture de la procédure collective de la liquidation judiciaire, de telle sorte que ladite à la banque comme la créance est née antérieurement à la publication de la déclaration.
Bien plus, Madame P faisait valoir que la demande en paiement formée par la banque était irrecevable pour avoir été introduite postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire sans que le créancier justifie qu’il se trouve dans l'un des cas prévus à l’article L643-11-1 du Code du commerce, lui faisant recouvrer l'exercice individuel de son action.
Il convient de reprendre de besoin l’article L643-11-1 du Code du commerce et qu’elle précise :
« I.- Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. Il est fait exception à cette règle :
1° Pour les actions portant sur des biens acquis au titre d'une succession ouverte pendant la procédure de liquidation judiciaire ;
2° Lorsque la créance trouve son origine dans une infraction pour laquelle la culpabilité du débiteur a été établie ou lorsqu'elle porte sur des droits attachés à la personne du créancier ;
3° Lorsque la créance a pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale mentionnés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale. L'origine frauduleuse de la créance est établie soit par une décision de justice, soit par une sanction prononcée par un organisme de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L. 114-17 et L. 114-17-1 du même code.
II.- Les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s'ils ont payé à la place de celui-ci.
III.- Les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle dans les cas suivants :
1° La faillite personnelle du débiteur a été prononcée ;
2° Le débiteur a été reconnu coupable de banqueroute ;
3° Le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ou une personne morale dont il a été le dirigeant a été soumis à une procédure de liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif moins de cinq ans avant l'ouverture de celle à laquelle il est soumis ainsi que le débiteur qui, au cours des cinq années précédant cette date, a bénéficié des dispositions de l'article L. 645-11 ;
4° La procédure a été ouverte en tant que procédure territoriale au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ou au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité.
IV.- En outre, en cas de fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, le tribunal autorise la reprise des actions individuelles de tout créancier à l'encontre du débiteur. Le tribunal statue lors de la clôture de la procédure après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, le liquidateur et les contrôleurs. Il peut statuer postérieurement à celle-ci, à la demande de tout intéressé, dans les mêmes conditions.
V.- Les créanciers qui recouvrent leur droit de poursuite individuelle et dont les créances ont été admises ne peuvent exercer ce droit sans avoir obtenu un titre exécutoire ou, lorsqu'ils disposent déjà d'un tel titre, sans avoir fait constater qu'ils remplissent les conditions prévues au présent article. Le président du tribunal, saisi à cette fin, statue par ordonnance.
Les créanciers qui recouvrent l'exercice individuel de leurs actions et dont les créances n'ont pas été vérifiées peuvent le mettre en œuvre dans les conditions du droit commun.
VI.- Lorsque la clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif est prononcée à l'issue d'une procédure ouverte à raison de l'activité d'un débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal, en cas de fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, autorise les actions individuelles de tout créancier sur les biens compris dans le patrimoine non affecté de cet entrepreneur. Il statue dans les conditions prévues au IV. Les créanciers exercent les droits qui leur sont conférés par les présentes dispositions dans les conditions prévues au V.
VII.- Lorsque la clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif est prononcée à l'issue d'une procédure ouverte à raison de l'activité d'un débiteur, personne physique, à laquelle un patrimoine n'avait pas été affecté, le tribunal peut imposer des délais uniformes de paiement des créances mentionnées au I de l'article L. 641-13 à l'exception de celles des administrations financières, des organismes de sécurité sociale, des institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 5422-1 et suivants du code du travail et des institutions régies par le livre IX du code de la sécurité sociale. Ces délais ne peuvent excéder deux ans ».
La lecture de cet article est riche d’enseignement.
A bien y comprendre, pour Madame P, la banque ne pouvait se soustraire aux effets du jugement de clôture au motif pris que sa demande ne rentrait pas dans les seules exceptions énoncées à l’article précité autorisant la reprise d’une poursuite individuelle.
Madame P rappelait par ailleurs que la banque avait pris soin de déclarer sa créance au passif de la procédure collective, que cette créance avait été mise au passif, de telle sorte que le créancier devait s'assujettir aux règles d’ordre public notamment d'arrêt des poursuites individuelles.
L’action de la banque contrevenait également aux effets de « purge » du passif attaché au jugement de clôture pour insuffisance d’actif.
Madame P contestait le droit pour le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable d’agir en cours de procédure en ce qu’il est directement lié au périmètre de la procédure, ceci d’autant plus que le bien objet de la poursuite n’était pas inclus dans la procédure collective et devait demeurer protégé même après la clôture de la liquidation judiciaire.
Cela peut se comprendre car cela revient quand même à exposer le débiteur à des poursuites sans fin, privilégiant d’ailleurs certains créanciers au détriment des autres.
Surtout lorsque ce créancier privilégié est une fois de plus la banque !
Malheureusement, une fois de plus la Haute juridiction choisit de privilégier le créancier bancaire.
En effet, la Cour de cassation ne suit pas la Cour d’appel d’Aix en Provence et considère que le créancier, dont la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable, peut exercer son droit de poursuite individuelle sur l’immeuble, indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble.
Ainsi, à bien y comprendre,
Dès lors, à bien y comprendre, rien n’interdirait à la banque, tant que sa créance n’est pas prescrite, de faire inscrire une hypothèque provisoire sur ce bien dans les conditions de droit commun.
Cependant, la Cour de cassation rappelle que si le créancier peut être en mesure d'exercer le droit qu’il détient sur l’immeuble en obtenant un titre exécutoire constatant l’existence et le bien-fondé de la créance tant en son principe que dans son montant, préalable obligatoire à l’action aux fins de réalisation de l’actif du débiteur.
Cela peut sembler malgré tout rassurant, car cela signifie qu’il appartient au créancier de justifier d’un titre exécutoire, le créancier ne pouvant retrouver un droit de poursuite individuelle sans cela.
Il appartient donc au débiteur de contester la créance tant dans son principe que dans son montant, sachant que plusieurs techniques juridiques et judiciaires se prêtent parfaitement à cet exercice.
A bon entendeur.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,