Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendu par le Tribunal d’Instance de Montpellier en ce début d’année 2019 qui vient sanctionner les pratiques commerciales parfaitement illicites des cuisinistes plus particulièrement dans les salons.
Dans cette affaire, Monsieur L s’était rendu à la foire de B en mai 2017et avait signé un bon de commande auprès de la société B pour l'achat et l'installation d'une cuisine moyennant un prix de 15 000 euros.
Un acompte de 6 000 euros avait été versé par chèque.
Par la suite, Monsieur L a considéré avoir signé sur la base d’une approche commerciale agressive et a adressé le 28 mai 2017 une correspondance en RAR afin d’obtenir la nullité de cette vente.
En effet, ce dernier souhaitait avoir simplement quelques renseignements et que ce n’est que parce que le commercial a fortement insisté qu’il a signé le bon de commande notamment au motif pris de remises commerciales importantes.
Le cuisiniste s’est bien gardé de répondre et de procéder à un quelconque remboursement que ce soit.
Monsieur L a donc engagé une action aux fins d’obtenir la nullité de la vente.
Il a donc saisi le Tribunal d'Instance en soutenant qu’il a fait valoir qu'il avait subi un démarchage agressif au sens des articles L122-11 à L.122-15 du Code de la Consommation,
Il soutient des lors que l'objet de la vente n'est pas déterminé dans la mesure où il n'y a eu aucun métrage, aucun relevé de côtes, que le consentement des demandeurs a été donné par erreur en raison du plan effectué par le cuisiniste totalement inadapté.
Il convient de rappeler que l'article L121-6 du Code de la Consommation dispose : « Une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent :
1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;
2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;
3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur. »
Le Tribunal d'Instance considère qu’au visa de l'article 9 du Code de Procédure Civile il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il considère que Monsieur L ne produit aucun document pour démontrer les éléments constitutifs d'une pratique commerciale agressive : aucun témoignage, aucun élément sur les circonstances de la vente telles que la durée de la négociation, le bruit, l'existence de fausses remises commerciales, l'emplacement du stand sur la foire, la participation de plusieurs vendeurs.
Cependant, il est bien évident que le Tribunal d'Instance pèche par une simplicité d’analyse alors que dans le cadre de son assignation Monsieur L explique bien les circonstances de la vente, lesquelles peuvent aisément caractériser une vente agressive.
La position du Tribunal est d’autant plus regrettable qu’il est bien évident que lorsque Monsieur L s’est rendu à la foire, il ne pensait être victime d’une pratique commerciale agressive.
Monsieur L vient également soulever l’absence d’objet de la cession par application de l’ancien article 1129 alinéa 1er du Code Civil qui énonce qu’il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. »
Une jurisprudence répétée en la matière rappelle que le contrat doit être suffisamment déterminé.
En l’occurrence, l’existence d’un devis de cuisine doit reposer sur un croquis précis avec relevés de côtes et métrage.
Dans cette affaire, Monsieur L s’est présenté sans aucun plan et pour cause puisqu’il ne s’agissait que d’un projet immobilier et qu’il était avec sa compagne à la recherche d’un terrain constructible.
Aucun relevé de côtes, ni aucun métrage n’avait été fait.
Dès lors l’objet de la vente n’était pas déterminé et le bon de commande se retrouvait caduc.
Le Tribunal d'Instance rappelle qu’au visa de l’article 1163 du Code Civil dispose « L'obligation a pour objet une prestation présente ou future.
Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable.
La prestation est déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
En l'espèce les parties s'opposaient sur le point de savoir si Monsieur L s’était rendu à la foire de B muni d’un plan de son projet immobilier.
Le cuisiniste prétendait que c'est sur la base de ce plan immobilier qu'il aurait établi le projet de cuisine et produit son projet de cuisine sans pour autant fournir le plan initial
Le Tribunal d'Instance souligne que ce plan ne mentionne pas la longueur de chaque mur, l'emplacement des portes, des fenêtres, il n'y pas de côtes des angles, pas indication sur la présence d'une VMC, d'une hotte, pas d'indication sur l'emplacement des arrivées d'eau et d'électricité, pas de plan des murs en vue de face pour noter les espaces entre chaque élément.
De telle sorte que l'objet de la vente d'une cuisine par une société spécialisée ne peut pas se résumer à vendre des meubles laissant le client en choisir la couleur et la forme des poignées.
La prestation d'un cuisiniste, pour un montant de 15 000 euros en l'espèce, consiste à s'adapter aux choix de son client tout en assurant la fonctionnalité de la cuisine.
Or une telle vente ne peut être réalisée que si le vendeur dispose d'un minimum d'informations sur le lieu d'implantation de la cuisine.
Il s'agit de s'assurer de la faisabilité matérielle du projet, de l'adaptation du projet à la réalité de l'immeuble et de la fonctionnalité de la cuisine vendue.
Le Tribunal considère que l'objet de la vente effectuée par le cuisiniste à Monsieur L n'est pas suffisamment déterminé, de prononcer la caducité de la vente et d'ordonner la restitution de la somme versée par ce dernier.
Il convient de rappeler que la jurisprudence a évolué en la matière car il est vrai que dans le cadre de salons, le délai de rétractation n’était pas de droit.
Pour autant, cela était-il suffisant ?
Le consommateur ne devrait-il pas être informé de cette absence de droit de rétractation ?
Une intervention législative pour protéger le consommateur s’imposait.
En effet, l’article L 121- 97 du Code de la Consommation dispose désormais :
« Avant la conclusion de tout contrat entre un consommateur et un professionnel à l'occasion d'une foire, d'un salon ou de toute manifestation commerciale le professionnel informe le consommateur qu'il ne dispose pas d'un délai de rétractation.
Sans préjudice des informations précontractuelles prévues au premier alinéa du présent article, les offres de contrat faites dans les foires et les salons mentionnent l'absence de délai de rétractation, en des termes clairs et lisibles, dans un encadré apparent.
Un arrêté du 2 décembre 2014 relatif aux modalités d'information sur l'absence de délai de rétractation au bénéfice du consommateur dans les foires et salons est venu compléter cet article en prévoyant en son article 2 que :
« Les offres de contrat visées à l'article L. 121-97 mentionnent, dans un encadré apparent, situé en en-tête du contrat et dans une taille de caractère qui ne peut être inférieure à celle du corps 12, la phrase suivante : « Le consommateur ne bénéficie pas d'un droit de rétractation pour un achat effectué dans une foire ou dans un salon. »
Or force est de constater que dans la pratique cette obligation légale n’est pas respectée.
La sanction est alors la nullité de l’engagement
Et le remboursement de l’acompte.
Pour autant, il importe de rassurer le consommateur car les dispositions du Code Civil et du Code de la Consommation permettent de remettre en question cette pratique commerciale agressive, d’obtenir la nullité du contrat ou sa résolution aux torts exclusifs du cuisiniste.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,