Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Amiens, en décembre 2015, juste avant les fêtes, et qui, une fois n’est pas coutume, est annonciateur de bonnes nouvelles, car il a permis d’empêcher la vente d’un bien immobilier.
En effet, dans cette affaire, une Société Civile Immobilière X avait contracté un prêt auprès d’un établissement bancaire du Nord, suivant acte de prêt en la forme authentique en date du 21 juillet 2005 et ce pour une somme de 180 000,00 €.
Or, en l’état d’impayés, après quand même prés de 7 ans de bons et loyaux paiements, la banque avait alors fait signifier un commandement de payer valant saisie le 7 novembre 2013 et ce pour une créance de 157 077,28 €.
A ce stade, sur la base d’un prêt de 180 000,00 € payé pendant plus de 7 ans sur 20 on ne peut qu’être surpris par l’importance de la créance réclamée par la banque qui demeure particulièrement importante,
Il est extrêmement regrettable de constater que malgré sept années de paiement, la créance n’a guère évolué à la baisse,
Par la suite encore, et ce suivant signification en date du 20 janvier 2014, la banque avait alors assigné devant le juge de l’orientation du Tribunal de Grande Instance de Laon ladite S.C.I., qui s’est naturellement défendue.
En premier lieu, celle-ci conteste la qualité à agir de la banque saisissante, nouvelle banque en l’état qu’une fusion avait eu lieu.
Cette fusion était intéressante car l’établissement bancaire prêteur avait fusionné une partie seulement de son portefeuille de Champagne-Ardenne à une autre banque,
Ainsi, sur cette question spécifique, la S.C.I. X rappelle qu’en tout état de cause des cessions d’établissements bancaires ou de portefeuilles en Champagne-Ardenne ne pouvait valablement impacter son propre sort, puisqu’elle avait son siège social en Picardie, tout comme les actifs immobiliers de ladite SCI qui étaient également situé dans ce département, de telle sorte qu’il n’y avait aucune raison que le prêt en question soit octroyé par la branche Champagne-Ardenne de l’établissement bancaire initial.
En outre, la S.C.I. X conteste le bienfondé de la signification du commandement de payer en ce que celui-ci n’aurait pas été clairement effectué par l’huissier de justice, ce qui est pourtant expressément envisagé par la Loi,
Plus précisément, celle-ci considère que l’huissier de justice n’est pas clairement identifié, ce qui peut représenter une cause de nullité de la procédure, qu’importe d’ailleurs à cet égard que la prescription soit acquise ou non,
Bien plus, la S.C.I. X soulève encore une question de prescription puisqu’en l’état des documents fournis relatifs à la saisie immobilière, il ressort que la déchéance du terme évoquée par la Banque date du 26 octobre 2010, alors que le commandement de payer a été signifié en novembre 2013,
A ce stade, la question pouvait légitimement se poser de savoir si, oui ou non, la S.C.I. X pouvait valablement recourir à la prescription biennale.
N’étant pas à court d’argumentation, la S.C.I. X conteste également la validité de la déchéance du terme, en l’état des jurisprudences qui ont d’ailleurs fait grand bruit cet été 2015 et qui viennent très sérieusement remettre en question la validité des clauses de résiliation de plein droit en cas d’impayés,
Enfin, et surtout elle conteste la validité de la clause de stipulation des intérêts du prêt, son TEG et le décompte de créance visé dans le commandement de payer qui serait par là même également erroné,
C’est cette argumentation qui va finalement retenir l’attention de la Cour,
En premier lieu, et alors que l’acte en litige date du 21 juillet 2005, la S.C.I. X se considère nullement prescrite à contester les décomptes et calculs présentés par la banque dans le cadre de la saisie immobilière, ceci en venant notamment solliciter l’annulation de la clause de stipulation des intérêts.
S’il est vrai que la contestation des intérêts du prêt s’intègre dans un délai de 5 ans, il n’en demeure pas moins que la prescription de l’action en nullité de la clause de stipulation des intérêts conventionnels engagée par l’emprunteur en raison d’une erreur affectant le Taux Effectif Global, peut démarrer non pas au jour de la signature de l’acte mais au jour de la révélation de l’erreur, généralement visible dans le décompte repris dans le commandement de payer,
Ainsi, le point de départ de la prescription peut être tantôt la date de l’acte de prêt lui même, lorsque l’examen de cet acte permet de constater l’erreur, ou tantôt la date de révélation de cette erreur à l’emprunteur,
Ceci est clairement confirmé par la jurisprudence, laquelle a expressément rappelé ces principes à travers différents arrêts, en indiquant que le point de départ de la prescription était tantôt la date de la convention ou, tantôt la date de révélation de l’erreur, lorsque l’emprunteur n’était pas en mesure, eu égard à la complexité des calculs du T.E.G. de constater l’erreur de la banque par la simple lecture desdites conventions.
Pour autant, et paradoxalement, s’il est vrai que la jurisprudence sanctionne un Taux Effectif Global erroné ou encore des calculs d’intérêts annuels erronés, il n’en demeure pas moins que cette même jurisprudence fait supporter la charge de la preuve, soit la démonstration de l’erreur de TEG et de calcul des intérêts sur les épaules de l’emprunteur.
Si sur le terrain théorique cela peut sembler « logique », il n’en demeure pas moins que sur un terrain pratique, c’est bel et bien à « la partie faible », l’emprunteur, le débiteur, qui n’a ni les compétences ni les moyens juridiques, financiers, mathématiques et structurels de calculer ou de justifier du T.E.G. et de trouver l’erreur,
Et ce, dans un débat inégalitaire ou de l’autre coté de la barre, l’établissement bancaire se garde bien d’apporter quelque précision que ce soit, trop inquiète de voir sa propre erreur se retourner contre elle, ce qui est un comble,
Il n’est d’ailleurs pas rare de remarquer que lorsque le débiteur fait sommation à la banque d’apporter tout justificatif sur le calcul du T.E.G. ou des intérêts annuels du prêt, cette dernière se mure dans un silence infléchissable.
Pour autant, dans cette affaire, la SCI avait eu la présence d’esprit de solliciter l’intervention d’un analyste actuariel, qui a établi un rapport qui vient consacrer deux éléments importants.
Le premier élément est que le Taux Effectif Global s’avère erroné puisqu’il ne correspond pas au montant exact que ce dernier calcule en reconstituant le prêt en sa globalité.
Le deuxième élément est que les intérêts annuels du prêt ne sont pas calculés sur une base de 365 ou 336 jours mais bel et bien sur une base de 360 jours.
Fort de ce double constat, la S.C.I. X sollicite tout d’abord que les intérêts conventionnels du prêt soient complètement annulés et réintégrés au besoin en les compensant avec le capital restant du,
Surtout, la SCI considère que les décomptes de la banque sont erronés, non pas eu leurs montants, mais en leurs modalités de calcul, ce qui justifie la nullité de la procédure de saisie immobilière.
En première instance, le juge de l’orientation rejette bon nombre des arguments soutenus par la SCI,
Cependant, elle se fonde sur l’analyse actuarielle pour prononcer la nullité de la stipulation des intérêts au travers d’une décision avant dire droit sur l’orientation de la saisie immobilière en ordonnant en outre une réouverture des débats à l’audience à une autre audience pour que le créancier puisse établir un nouveau tableau d’amortissement et un nouveau décompte de créance, tenant compte de l’imputation sur ce nouveau tableau d’amortissement de l’ensemble des paiements et versements effectués depuis la signature de l’acte.
Cette décision avant dire droit amène à elle seule à se poser plusieurs questions,
Tout d’abord faut il la contester d’ores et déjà ou faut il attendre le classique jugement d’orientation qui ne peut intervenir qu’après ?
La décision avant dire vient pourtant trancher un certain nombre de point de droit, sans pour autant ordonner la vente.
Ne pas la contester reviendrait par la suite au créancier d’évoquer l’autorité de la chose jugée de la décision avant dire droit pour obtenir une vente forcée,
C’est pourquoi la S.C.I. X a décidée de frapper d’appel de cette décision,
Elle n’est d’ailleurs pas seule à envisager une voie de recours puisque la banque frappe également d’appel la décision en litige pour contester la décision d’annulation de la clause de stipulation des intérêts,
Devant la Cour, la SCI maintient sa demande de nullité de la procédure découlant de l’erreur dans le calcul du Taux effectif global,
La banque quant à elle tente de soutenir, à l’appui de son appel incident, que, contrairement à ce qu’avait analysé le premier juge, les intérêts et le coût de l’assurance ont, « conformément à ce qui est indiqué au contrat et à la règlementation en vigueur, été calculés sur la base d’une durée de 240 mois et non sur celle d’un nombre de jours par an, tandis que n’avait pas été pris en compte pour la détermination du Taux Effectif Global le coût des deux assurances souscrites par les deux associés de la S.C.I., puisqu’en application de l’article IV-I des conditions générales du prêt, l’octroi de celui-ci était subordonné à la couverture des risques décès, P.T.I.A. et d’incapacité de travail à hauteur de 100% et qu’une seule assurance à 100% était ainsi obligatoire, de sorte que le T.E.G. annuel indiqué serait exact ».
Pour autant la Cour considère que dans ses caractéristiques particulières au titre des garanties, l’offre de prêt acceptée le 24 juin 2005 prévoyait une adhésion à un contrat groupe pour chacun des deux associés de la S.C.I. à hauteur de 100% sur le prêt litigieux, cette offre ayant été présentée sous la condition suspensive de la réalisation des conditions prévues aux caractéristiques du prêt et notamment de l’acceptation sans restriction de la demande d’adhésion du ou des postulant(s) au contrat d’assurance groupe proposé par la banque.
Dès lors, le coût de ces deux assurances, qui étaient donc imposés par les conditions particulières du contrat de prêt, doivent être prises en compte pour la détermination du Taux Effectif Global,
L ‘analyse actuarielle fourni par la SCI démontre justement qu’en tel cas le T.E.G. ne pouvait s’élever qu’à 4,90% et non pas à 4,546%, ce dernier taux n’incluant que la moitié de l’assurance facturée.
La cour consacre l’erreur dans le calcul du TEG et annule la clause de stipulation des intérêts conventionnels du prêt,
Cependant, quelle conséquence en tirer quant à la validité de la procédure de saisie immobilière ?
Ainsi, la Cour d’Appel d’Amiens s’exprime sur la question spécifique des conséquences de l’annulation de la clause de stipulation des intérêts, alors que, comme à chacun sait, en droit de la saisie immobilière erreur ne vaut pas compte,
En effet, la Cour considère que dans ces conditions, la banque ne peut pas établir, l’existence d’une dette exigible au 16 mars 2011,
De même la banque ne peut pas non plus se prévaloir de la déchéance du terme du prêt compte-tenu des règlements effectués jusqu’à cette date par la S.C.I. X et de leur imputation sur les échéances de ce prêt devant être recalculé en fonction du seul taux légal.
Faute d’exigibilité, la procédure de saisie immobilière perd tout fondement,
La Cour en conclut que ces inexactitudes ont nécessairement fait grief à la S.C.I. X en la mettant dans l’incapacité de procéder à la vérification de ce décompte et d’apprécier si elle était ou non débitrice de la banque, de telle sorte que pour l’ensemble de ces motifs, le commandement doit être annulé, de même que la procédure de saisie immobilière qui l’a suivi.
La Cour, par le bais Taux Effectif Global erroné, par le biais d’une absence d’exigibilité qui en découle et de par l’écart existant entre le taux légal des échéances du prêt et le taux conventionnel indûment prélevé considère que dans pareil cas la créance ne peut être exigible,
Faute d’exigibilité, le bien immobilier ne peut être saisi et par conséquent, le débiteur est parfaitement fondé à solliciter la nullité de l’ensemble de la procédure de saisie immobilière, ce qui est extrêmement satisfaisant.
Cette jurisprudence est salutaire,
Elle rappelle au banquier, créancier saisissant, que même si « erreur ne vaut pas compte », la banque ne peut saisir le bien immobilier de son débiteur sans procéder à un minimum d’exigences et de vérifications,
Elle rappelle surtout à l’emprunteur malheureux, devenu débiteur, qu’il doit se défendre et combattre les prétentions de l’établissement bancaire en soulevant l’ensemble des moyens de fait et de droit à sa portée,
Ce n’est qu’à ce prix que le rapport de force peut être rééquilibré entre le banquier et son prétendu « débiteur »,
Dont acte,