Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue le 16 septembre 2020 par la Cour de cassation et qui vient aborder l’office du Juge dans le cadre du contrôle de l’ordre public procédural dans le cadre d’une procédure d’exequatur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, une société Américaine, la société P, ayant pour activité la distribution de logiciels informatique, avait conclu en avril 1996 avec une société Française, société XT, une société de conseil en informatique, un contrat de licence portant sur la commercialisation et la distribution de produits informatique.
À la suite d’un différend portant sur le montant des redevances, la société P avait, en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat, assignée la société XT devant la Cour de District de Californie aux États-Unis d’Amérique en responsabilité et en paiement des diverses sommes par une première ordonnance puis un jugement était rendu le 22 septembre 2014,
La juridiction américaine avait condamné la société XT à payer une somme de 502 391 dollars Américain.
Saisie conservatoire en France sur la base d’une décision de justice américaine
C’est dans ces circonstances qu’après avoir procédé le 16 mars 2016 à une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la société débitrice en France, la société P a assignée la société XT devant le Tribunal de Grande Instance de Pontoise en exequatur des décisions Américaines.
Entre temps, la société XT a quant à elle était placée en liquidation judiciaire, le mandataire liquidateur intervenant au nom et pour le compte de ladite société et venant naturellement s’opposer à la demande d’exequatur faite par la société Américaine.
L’exequatur à l’encontre d’une société en liquidation judiciaire
Il convient de rappeler que l’exequatur est une procédure spécifique qui a vocation à permettre de transposer en droit Français et d’obtenir le caractère exécuteur d’une décision de justice qui a été obtenue dans un pays étranger afin de permettre sa parfaite exécution sur le territoire Français.
Comment fonctionne la procédure d’exequatur ?
Plusieurs questions se sont posées devant la Cour de cassation et ont tournées autour de deux axes.
La première était de savoir si le défendeur en France pouvait reprocher le défaut d’une notification au défendeur de la décision étrangère qui avait été rendue à son encontre alors que celui-ci était défendeur.
La deuxième était de savoir si le défendeur pouvait formaliser des demandes reconventionnelles ?
En effet, la société française considérait avoir été victime d’une procédure abusive qui avait eu pour conséquence son placement en liquidation judiciaire.
De telle sorte qu’elle estimait être en droit de solliciter à titre reconventionnelle des dommages et intérêts au motif pris d’une responsabilité caractérisée par la faute évidente du demandeur en exequatur qui s’était bien gardé de procéder à la notification et qui avait précipité finalement la société vers la liquidation judiciaire.
Une action en exequatur engagée de mauvaise foi ?
En droit de l’exéquatur, il y a lieu de rappeler que le Juge Français n’est pas le Juge de la procédure qui a été rendue dans un pays étranger mais le Juge Français se doit de vérifier, hormis la compétence du Tribunal étranger qui a rendu la décision et l’absence de fraude à la loi, la conformité de la décision étrangère à l’ordre public international.
Ce qui pouvait justement amener à s’interroger quant à la validité de la notification de la signification de la décision rendue aux États-Unis et son opposabilité la possibilité qu’il y avait dès lors, faute de notification d’exécuter et d’envisager une exequatur en France.
La problématique des droits de recours effectif du défendeur de la décision défavorable à l’étranger.
Il convient de rappeler effectivement que l’ordre public international exige que la loi du FOR saisie à l’étranger permet d’exercer un recours contre le jugement rendu, dès lors, le contrôle de la conformité de la décision étrangère à l’ordre public international qu’il soit en ce compris l’ordre public international procédural et du contrôle du Juge de l’exequatur qui doit, à ce moment-là, vérifier si, oui ou non, le défendeur a pu premièrement se défendre, deuxièmement envisager une voie de recours si besoin était.
La société P, société américaine, rappelant, dans le cadre de son pourvoi en cassation, que le droit d’accès à un Tribunal comme étant un des principes fondamentaux de la procédure n’est pas un principe pour autant absolu et se prête à des restrictions qui concernent notamment les conditions de recevabilité des recours.
De telle sorte que la limitation du droit de faire appel n’est dès lors pas en soi, contraire à l’ordre public international.
Des voies de recours strictement encadrées
En effet, le société Américaine considérait que le défendeur avait régulièrement était destinataire de l’assignation qui lui avait été signifiée dans les conditions telles que rappelées par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, relative à la signification des actes judiciaires à l’étranger,
Ainsi, la société Française n’avait pour autant marquée aucun intérêt pour la procédure engagée par la société P devant le Juge Californien que dès lors, alors qu’elle avait bien été touchée et que la procédure lui avait été valablement signifiée.
La société française avait donc fait sciemment le choix d’être défaillant à cette procédure et de ne pas y être ni présent ni représenté.
Comme quoi, une fois de plus, force est de constater que la politique de l’autruche ne saurait payer….
Une signification de procédure lancée opposable au défendeur
La société Française n’ignorant pas la procédure Américaine, cette dernière pouvait tout à fait prendre connaissance de la décision la concernant dans le délai d’un an qui lui était imparti par le droit Californien pour interjeter appel.
Et par là même se défendre….
Conséquence, la société P, Américaine, soutenait que l’application des règles des droits Californien fixant à un an le délai pour interjeter appel à compter du jugement ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’accès au Juge de la société Française, de tel sorte qu’il n’y avait pas eu de violation à l’ordre public international de procédure.
La Cour de cassation rejoint le raisonnement de la société Américaine et rappelle, en tant que de besoin, que pour accorder l’exequatur le Juge Français doit, en l’absence de convention internationale, s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir, la compétence indirecte du Juge étranger fondée sur le rattachement du litige au Juge saisit, la conformité à l’ordre public international de fonds et de procédure ainsi que l’absence de fraude.
L’exéquatur et l’ordre public international de procédure
Dès lors, pour rejeter la demande d’exequatur, la Cour d’Appel avait relevée d’abord que l’ordre public international Français impose que la loi du FOR ouvre les recours indispensables contre le jugement de Première Instance spécialement lorsqu’il a été rendu par défaut.
La Cour constate ensuite que la loi Californienne ouvre un délai de recours d’un an qui court prononcer du jugement sans prévoir l’existence d’un acte de signification, il retient alors enfin que cette voie de recours ne pouvant être exercer par défendeur défaillant que si celui-ci a eu connaissance de la décision par la notification qu’il en a été fait.
Ainsi, l’absence des diligences légales, une notification en bonne et due forme alliée à la circonstance que le délai de recours court dès le prononcé de la décision et de nature à priver le défendeur de tout recours à effectif et que cette absence de garantie procédural pourrait contrevenir au droit à un procès équitable et à un recours effectif garanti par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, semble sans fondement.
Il appartenait surtout à la juridiction saisie de rechercher comme il l’était d’ailleurs demandé par la société P, société Américaine, si la connaissance par la société XT de l’assignation et de l’instance de la juridiction Californienne ne démontrait pas que ces droits au procès équitable et au recours effectif aux articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avait été respectée nonobstant l’absence de notification de la décision rendue.
Ceci d’autant plus que la société française disposait ensuite d’un délai d’un an à compter de la décision pour former un recours.
Ainsi, au regard des circonstances de l’espèce les décisions Américaines pouvaient ne pas révéler d’atteinte à l’ordre public international de procédure, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale et la Cour de cassation casse la décision.
En exéquatur, la demande reconventionnelle est-elle possible ?
Ainsi, la Cour de cassation finit enfin sur la problématique de la demande reconventionnelle des dommages et intérêts qui avaient été formulés par la société Française puisque la société P avait considéré que le Juge de l’exequatur, dont les pouvoirs se limitent en principe à la vérification des conditions de régularité international des décisions étrangères requises pour leurs exequatur, ne peut statuer sur une demande accessoire, ou reconventionnelle sans lien aucun avec l’instance en exequatur et ajouter ainsi à la condamnation prononcée par le Juge étranger,
C’est donc à tort que la Cour d’appel avait fait droit à la demande de dommages et intérêts présentés par la société XT, société Française, à l’appui de laquelle était alléguée une prétendue faute de la société P relative à une saisie conservatoire dénuée de tout lien avec la procédure d’exequatur.
La Cour de cassation rappelle le pouvoir du Juge de l’exequatur.
Elle rappelle que le Juge de l’exequatur dont les pouvoirs se limitent à la vérification des conditions de l’exequatur ne peut connaître une demande reconventionnelle en responsabilité fondée sur une faute qui n’a pas été commise en cours de l’instance dont il est saisie,
La cour d’appel ne pouvait donc pas retenir la responsabilité de la société P en relevant que la signification des décisions de condamnation Américaine après expiration de délai de recours découlait d’une déloyauté procédurale fautive, cette manœuvre ayant permis la saisie conservatoire du compte bancaire de la société Française qui présentait à la date de la saisie un solde créditeur.
Ainsi, l’arrêt de la cour d’appel est cassé puisque la Cour de cassation considère que le Juge se limite à la seule vérification des conditions d’exequatur et ne peut donc connaître d’une demande reconventionnelle en responsabilité.
En conclusion, comment s’opposer à une exequatur en France ?
Cette jurisprudence est intéressante.
Elle rappelle encore les conditions dans lesquelles l’exequatur peut se faire en France d’une décision étrangère et apporte des précisions complémentaires quant au respect de l’ordre public international procédural en rappelant que dans la mesure où le défendeur a été informé de l’existence d’une procédure, il lui appartient, pour justifier pleinement de son droit à un recours effectif, de suivre la procédure et cette politique de l’autruche n’est donc pas payante comme le souligne justement la Cour de cassation,
Enfin, dans l’hypothèse où le défendeur considérerait, comme c’était le cas, que ce dernier était victime d’une atteinte dilatoire et fautive de la part du créancier étranger en engageant des mesures conservatoires, la Cour de cassation rappelle que le Juge de l’exequatur n’a aucun pouvoir et ne peut connaître une demande reconventionnelle en responsabilité pour faute.
Pour autant, il convient de rappeler, en guise de conclusion, que les moyens de défense dans le cadre d’une procédure d’exéquatur demeurent nombreux.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,