Il convient de s’intéresser à une jurisprudence d’avril 2019 qui vient rappeler que l'instance en référé expertise prenant fin avec la désignation de l'expert et l'instance au fond n'étant pas la continuation de l'instance en référé, les diligences accomplies à l'occasion des opérations d'expertise, dès lors qu'elles ne font pas partie de l'instance au fond, ne sont pas susceptibles d'interrompre le délai de péremption.
Ni même de prescription…
Se plaignant de désordres affectant des biens immobiliers acquis en l'état futur d'achèvement, Monsieur et Madame S ont, en 2010, assigné la société I, promoteur-vendeur devant le juge des référés aux fins d’obtenir une expertise judiciaire, puis, devant le Tribunal de Grande Instance, en réparation du préjudice susceptible de résulter de ces désordres.
Les instances ayant été jointes en l’état des deux instances, la société I ayant appelé en garantie l'architecte, la société A, ainsi que son assureur, et l'entreprise générale, la société D.
Après rejet de la demande par le juge des référés, l'expertise a été ordonnée par la Cour d'Appel, l'expert ayant déposé son rapport et Monsieur et Madame S ayant conclu au fond, les sociétés D et I ont soulevé la péremption de l'instance principale et de l'instance en garantie.
La Cour rappelle qu’en application de l'article 386 du Code de Procédure Civile « L‘instance est périmée lorsqu’aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans »,
De telle sorte que les diligences de l'une quelconque des parties, de nature à faire progresser le litige vers sa conclusion, pourrait justifier la péremption,
En effet, tout laissait à penser pour les demandeurs que la péremption était interrompue par les actes intervenus dans une instance différente, fut ce t’il dans le cadre de l’expertise judiciaire, dans la mesure ou il existait entre les deux procédures un lien de dépendance direct et nécessaire.
En l'espèce, la Cour retient qu’il résulte des pièces régulièrement produites et des explications des parties, que par acte du 24 mars 2010, une instance en référé a été introduite à la requête des époux S ayant donné lieu à une ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Marseille du 3 septembre 2010, infirmée par un arrêt rendu par la Cour d'Appel le 28 juillet 2011 ordonnant une expertise au contradictoire des époux S, de la société I, de la société D, du cabinet A et de son assureur la MAF.
Or, la difficulté de cette affaire résulte que les parties se sont essentiellement consacrées aux diligences dans le cadre de l’expertise et ont considéré qu’il y avait un lien suffisamment étroit que la phase d’expertise laisse patienter la péremption d’instance.
Même si un bordereau de communication de pièces dans le cadre de l’action au fond avait été signifié le 7 octobre 2011 par le conseil des époux S ce qui a valablement interrompu la péremption de l’instance principal, il n’en demeure pas moins que la Cour de Cassation considère qu’il n’existe pas en l'espèce un lien de dépendance direct et nécessaire entre l'instance en référé et l'instance au fond introduite par les époux S d’autant plus que l’instance en référé est terminée et que l’expertise est en cours.
Les parties ont oublié que les délais de péremption comme de prescription courent puisque la procédure au fond est soit suspendue soit elle n’est pas engagée et le propriétaire qui a engagée une procédure de référé expertise puis a suivi l’expertise judiciaire afin de faire constater l’existence des désordres subis risque de voir perdre son droit à revendiquer les garanties de parfait achèvement qui ne durent qu’un an.
La Cour de Cassation considère que ne constitue pas une diligence interruptive de péremption la participation active aux réunions d'expertise et rappelle que l’instance en référé prenant fin avec la désignation de l'expert et l'instance au fond n'étant pas la continuation de l'instance en référé, les diligences accomplies à l'occasion des opérations d'expertise, dès lors qu'elles ne font pas partie de l'instance au fond, ne sont pas susceptibles d'interrompre le délai de péremption.
Ainsi, dans cette affaire les consorts S ont subi une péremption d’instance et ne peuvent plus relancer la procédure.
Cette jurisprudence qui peut paraitre sévère au premier abord doit être considérée comme un véritable rappel à l’ordre.
Il ne faut pas oublier qu’en droit de la construction, il y a tout un pan de contentieux lié aux désordres de moindre importance générés et fréquents en matière de VEFA quand le promoteur vendeur livre différents lots et que le propriétaire de lots privatifs, ou bien encore le syndicat des copropriétaire réceptionne les parties communes,
Dans les deux cas, il peux y avoir un certain nombre de réserves émises et de désordres constatés qui ne sont pas forcément assujettis à garantie décennale mais une garantie de parfait achèvement dont le délai de prescription n’est que d’un an.
Lorsque le propriétaire d’un lot évoque des désordres et entend faire jouer une garantie décennale et une garantie de parfait achèvement, il a tout intérêt à engager une action devant le Tribunal de Grande Instance pour bien maintenir les délais et ainsi éviter toute forme de péremption ou de prescription.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,