Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation de septembre 2023, et qui vient aborder la problématique de l’action en extension engagée par le mandataire liquidateur afin d’agir en extension et ce en raison d’un compte courant d’associés débiteur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire et par un jugement en date du 09 mai 2017, la société B, dont Monsieur M était associé et cogérant, a été mise en liquidation judiciaire et un mandataire liquidateur avait été désigné.
Puis, ce mandataire liquidateur a assigné Monsieur M pour lui voir étendre à son encontrela liquidation judiciaire de la société B.
Les fondements de l’action en extension
Il convient de rappeler que l’action en extension, strictement réglementée par le Code du commerce, permet à un mandataire liquidateur qu’il constate des relations financières anormales ou des confusions de patrimoine entre deux entités commerciales et à la possibilité de procéder par voie d’extension afin d’absorber au profit de la liquidation judiciaire la société ou la personne visée par ladite extension et, par la même, faire rentrer son patrimoine personnel pour désintéresser les créanciers de la société initialement en liquidation judiciaire.
La présence de relations financières anormales
Or, dans cette affaire, le mandataire liquidateur a été débouté à hauteur de Cour d’appel et c’est dans ces circonstances que ce dernier s’est pourvu en cassation afin d’obtenir gain de cause sur son action en extension et ce au visa de l’article L 621-2 du Code du commerce.
Le mandataire liquidateur considérait que la procédure collective d’un débiteur pouvait être étendue à une personne en cas de confusion de son patrimoine avec celui du débiteur.
Et que cette confusion de patrimoine peut être caractérisée par l’existence d’une relation financière anormale entre le tiers et ledit débiteur.
Le mandataire liquidateur mettait en exergue que l’accroissement du solde débiteur du compte courant d’associés était un élément à prendre en considération et permettait de déduire l’existence d’une relation financière anormale entre la société débitrice et l’associé en question, caractérisant par la même une confusion de patrimoine et justifiant l’action en extension.
L’accroissement anormal du compte courant associé
Il est vrai que la notion de compte courant associé a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Le mandataire liquidateur considérant que l’inscription en compte courant d’associés de Monsieur M d’une somme prélevée sans justification sur les comptes de la société débitrice faisant croitre le solde négatif de ce compte courant n’était pas de nature à exclure l’anormalité des virements et retraits opérés et que l’existence d’une confusion des patrimoines était caractérisée à la lueur de ses relations financières.
La Cour d’appel avait pourtant rejetée la demande du mandataire liquidateur, car celle-ci avait retenu que les retraits d’espèces et virements bancaires effectués au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016 ne permettait pas d’établir une confusion de patrimoine au motif pris qu’ils avaient été inscrits à son compte courant d’associés pour porter le solde débiteur à la somme de 88 135.51 €.
De sorte que la société B demeurait simplement créancière de l’associés débiteur de son compte courant d’associé….
Le mandataire liquidateur persévère dans le cadre de son pourvoi en cassation et rappelle que si la procédure collective d’un débiteur peut être étendue à une autre personne en cas de confusion de son patrimoine avec celui débiteur, cette confusion de patrimoine peut être caractérisée par l’existence d’une relation financière anormale entre le tiers et le débiteur, notamment lorsque la normalité des relations financières se déduit de l’absence de toute contrepartie.
Une indemnité de gérance injustifiée ?
Ainsi, le mandataire liquidateur critique l’octroi d’une indemnité de gérance non autorisée ou ne correspondant pas à un travail effectif.
De telle sorte que celui-ci constitue un élément susceptible de caractère existant d’une relation financière anormale et justifiant l’action aux fins de confusion des patrimoines.
Pour autant, la Cour d’appel avait rejeté sa demande en se bornant, selon le mandataire liquidateur, à retenir les retraits d’espèces ou virements bancaires effectués au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016, ne permettait pas d’établir une confusion de patrimoine parce qu’ils avaient été inscrits en son compte courant d’associés.
Pour autant, le mandataire liquidateur dans son pourvoi considérait que la Cour d’appel avait commis une analyse tronquée puisqu’elle ne caractérisait pas l’existence d’une contrepartie aux virements et retraits en espèces effectués au profit de Monsieur M.
Cette approche est payante car la Cour de cassation apporte une réponse très claire.
Elle rappelle que, au visa de l’article L 621-2 du Code du commerce, qu’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’égard d’un débiteur peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur.
Ainsi, la Cour de cassation considère que pour rejeter la demande du mandataire liquidateur tendant à l’extension à Monsieur M de la liquidation judiciaire de la société B, la Cour d’appel a retenu que les retraits d’espèces et les virements bancaires réalisés au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016 ont été inscrits à son compte courant d’associés, lequel était débiteur au 26 décembre 2016 à hauteur de 88 135.51 €.
Compte courant d’associé débiteur, infraction pénale ?
Et que, si l’existence d’un compte-courant débiteur est pénalement sanctionné, il n’en demeure pas moins que la société reste créancière de l’associé débiteur et que dès lors, une telle situation ne permet pas d’établir une confusion de patrimoine.
Pour autant, la Cour de cassation précise qu’en se déterminant ainsi alors que l’inscription en compte courant d’associés de Monsieur M des virements et retraits d’espèces qu’il avait opéré à son profit sur le compte de la société n’était, en absence de toute caractérisation d’une contrepartie justifiant, pas de nature à en exclure la normalité.
De telle sorte que la Cour d’appel, qui s’est fondée sur des motifs impropres à établir l’absence de relation financière anormale constitutif d’une confusion de patrimoine, n’a pas donné de base légale à sa décision, de telle sorte que la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint Denis et renvoi les parties devant la même Cour autrement composée.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle doit attirer l’attention toute particulière du chef d’entreprise qui s’apprête à voir sa société placée en liquidation judiciaire, soit à la demande d’un créancier qui l’a assigné, soit dans le cadre d’une déclaration de cessation des paiements, de réfléchir au sort de ce compte courant associés qui est, à bien des égards, et bien souvent oublié par le chef d’entreprise.
Aborder le compte courant associé avant la liquidation judiciaire ?
Or, cette problématique de compte courant associés débiteur est extrêmement importante à aborder avant même de se placer en liquidation judiciaire.
A plus d’un titre.
Premièrement, le compte courant associés débiteur peut être constitutif d’une infraction pénale.
Deuxièmement, dans la mesure où l’associé est débiteur de la société qui demeure créancière, le mandataire liquidateur est parfaitement en droit de poursuivre le chef d’entreprise associé pour récupérer ces fonds et, pour une somme de 88 135.51 €.
Troisièmement, à la lueur de cette jurisprudence, le mandataire liquidateur serait bienfondé à considérer qu’en l’absence totale de contrepartie cet accroissement de solde débiteur ou l’octroi d’une indemnité de gérance non autorisée serait constitutif de relation financière anormale qui permettrait une confusion des patrimoines.
Or, n’oublions pas que la confusion des patrimoines est extrêmement lourde de conséquences puisqu’elle permet de détendre la liquidation judiciaire de la société B, en l’occurrence à Monsieur M qui serait lui-même placé en liquidation judiciaire et, dans l’hypothèse où Monsieur M serait propriétaire d’actifs divers et variés, la liquidation judiciaire toucherait l’intégralité de son patrimoine personnel qui pourrait alors être saisi afin de désintéresser les créanciers de la procédure collective et ce au-delà de la seule somme du compte courant débiteur à 88 135.51 €.
Dès lors, les conséquences sont non-négligeables.
Il est important, pour le chef d’entreprise, qui a consacré sa vie commerciale et professionnelle à ses clients, ses salariés, ses créanciers (URSSAF, Trésor public, Expert-comptable…), a désormais comme principale préoccupation de penser à lui et à lui seul.
Le dirigeant associé doit penser à se protéger avant même la liquidation judiciaire
Il doit s’assurer que, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société dont il était le dirigeant et associé, sa responsabilité personnelle ou que les actes de gestion qu’il a pu commettre avant, et ce, dans les derniers mois avant la liquidation judiciaire de sa société, n’expose pas sa responsabilité aussi bien au titre d’une interdiction de gérer ou de faillite personnelle, qu’aussi bien au titre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée par le mandataire liquidateur et qu’aussi bien, comme le démontre cette jurisprudence, au risque d’une action en extension pour confusion de patrimoine avec celui de la société en liquidation judiciaire.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,