Il convient de s’intéresser à une jurisprudence rendue en octobre 2020 et qui vient aborder le régime spécifique de la sanction du dirigeant.
Quels sont les critères de l’interdiction de gérer ?
En effet, il n’est pas rare, lorsque l’entreprise est en liquidation judiciaire, que le Procureur de la République, intervenant comme garant de l’ordre public économique, vienne chercher le dirigeant en interdiction de gérer au motif pris qu'il aurait réservé, aux biens et actifs de la société, un usage contraire à son intérêt.
Pour autant, la question qui se pose est de savoir si une prétendue utilisation des biens et actifs de la société à des fins distinctes, ou contraires à l'intérêt de ladite société est-elle suffisante à caractériser l'interdiction de gérer force.
Cette jurisprudence laisse à penser que cela n'est pas nécessairement suffisant.
Il faut également déterminer si cet usage, contraire à l’intérêt de la société, serait finalement profitable au dirigeant qui aurait utilisé les biens de la société à des fins personnelles.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, la société les 2C, dont Monsieur E était le gérant, avait été mise en liquidation judiciaire par jugement du 11 juillet 2017.
Maître A avait été désigné mandataire liquidateur et c’est dans ces circonstances que le Procureur de la République, fort inspiré du pré-rapport du mandataire liquidateur, a saisi le Tribunal de commerce aux fins de voir prononcer à l'encontre de Monsieur E, chef d'entreprise, une mesure de faillite personnelle en interdiction de gérer.
Condamné en interdiction de gérer, Monsieur E a frappé d’appel le jugement d’interdiction de gérer.
Monsieur E faisait grief à l'arrêt de la Cour d'appel de Reims qui l’avait condamné d’avoir prononcé contre lui une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de trois ans.
Il convient de rappeler que la sanction d’interdiction de gérer est encourue lorsque le dirigeant a fait du bien ou du crédit de la société un usage contraire dans l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement.
Usage des biens contraires à l’intérêt de la société ?
Or, pour Monsieur E, cette sanction ne pouvait être prononcée qu'à la seule et unique condition d'établir que, tant bien même il y aurait un usage des biens de la société comme étant contraire à l'intérêt de ladite société, il n’en demeurait pas moins qu’il convenait surtout d’établir et de caractériser l’intérêt personnel du dirigeant dans l'opération.
Or, en retenant l’argumentation du Procureur de la République, la Cour d’appel a considéré que Monsieur E avait utilisé une somme de 7 000 € au préjudice de la société et a confirmé la décision consistant à prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de gérer de trois années.
Pour autant, dans son rapport, le Procureur de la République reconnaissait que le bénéficiaire de cette somme n'était pas identifié.
Il n'était donc absolument pas établi que Monsieur E avait agi à des fins personnelles de telle sorte qu’il y avait matière à pourvoi en cassation.
Or, dans son rapport, le Procureur de la République mettait justement en exergue des problématiques de détournement d’actif.
Rappelons que l’article L653-4 du Code du commerce dispose qu'encourt la sanction de faillite personnelle du dirigeant qui a fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou l’entreprise dans laquelle il serait intéressé directement ou indirectement.
Or, il ressort des circonstances de la cause que, dans cette affaire, Madame Q a avancé à Monsieur E la somme de 5 000 € le 07 décembre 2015 puis à la société les 2C une somme de 10 000 € le 06 janvier 2007.
La société les 2C a remboursé à Madame Q la somme de 15 000 € à la date du 02 février 2015.
Madame Q a également bénéficié, de la part de la société les 2C, de plusieurs virements à son profit, savoir, le 09 mai 2007, un virement de 5 000 €, et le 31 mai 2007, un autre virement de 2 000 €, consistant in fine à un remboursement d'une avance de 7 000 € qu’elle avait faite à la société les 2C.
Dès lors, à bien y comprendre il ressortait de ces éléments que Monsieur E avait fait rembourser par la société les 2C un remboursement dont une somme dont Monsieur E était lui-même débiteur.
Pour les organes de la procédure collective, le Procureur de la République et le mandataire judiciaire, le détournement ainsi réalisé s'élevait donc à la somme de 7 000 €.
Ces derniers considéraient que Monsieur E avait finalement fait rembourser à Madame Q par la société les 2C une somme de 7 000 € dont la société n’était pas débitrice.
Le bénéficiaire réel de cette avance initialement faite par Madame Q demeurant inconnu.
Pour le Procureur de la République et le mandataire judiciaire, les détournements sont bien constitués.
L’intérêt personnel du chef d’entreprise
Pour autant, le dirigeant ne partage pas cette analyse.
Il soutient que l’interdiction de gérer peut-être prononcée contre toute personne ayant notamment omis de tenir une comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation.
Pour autant, Monsieur E rappelait qu'il avait remis l’ensemble de la comptabilité au mandataire judiciaire, de telle sorte qu'il ne pouvait se voir reprocher des fautes sur ce terrain-là.
Concernant la question du détournement d’actif, l’approche est différente.
En effet, la sanction d’interdiction de gérer pèse sur le gérant lorsqu’il a fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire dans l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou bien encore pour favoriser une autre personne morale à l’entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
Or, le chef d'entreprise soutenait que l'intérêt personnel du dirigeant n'était absolument pas établi ni même démontré.
La Cour de cassation rejoint cette approche puisqu’elle rappelle, au visa de l'article L653-4 et L653-8 du Code du commerce, qu'en cas d'usage des biens ou du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci par le dirigeant, ce dernier ne pouvait faire l'objet d’une interdiction de gérer que s'il a agi à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou l’entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
Or, pour prononcer l’interdiction de gérer de Monsieur E, l’arrêt de la Cour d'appel retenait qu’une somme de 7 000 € avait été remboursée par la société les 2C à Madame Q, bien que la société ne soit pas débitrice de cette somme.
Pour autant, la Cour de cassation retient que si Monsieur E a donné l'ordre de virer cette somme et que le paiement d'une dette sociale inexistante pouvait caractériser un usage des biens ou du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci, il n'en demeure pas moins qu'il faut également établir que cet usage a été fait par Monsieur à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou l’entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
De telle sorte que la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision et vient donc casser et annuler en toutes ses dispositions l’arrêt en litige.
Cette jurisprudence est intéressante, elle rappelle que l’interdiction de gérer n'est pas acquise de droit au Procureur de la République ni au mandataire judiciaire qui vient bien souvent insuffler ce rapport.
Dès lors, si l’interdiction de gérer fondée sur un usage des biens de la société contraire à son intérêt est possible, ce n'est qu'à la seule et unique condition que le dirigeant est agi à des fins personnelles, ce qui doit être expressément démontré par le Procureur de la République.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,