Liquidation judiciaire et responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement

Publié le 03/04/2014 Vu 3 650 fois 0
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Le débiteur en liquidation judiciaire peut il considérer que le tribunal de commerce a manqué à son devoir de protection juridictionnelle, et peut il, à ce titre engager la responsabilité de l’Etat au titre du dysfonctionnement de la Justice ?

Le débiteur en liquidation judiciaire peut il considérer que le tribunal de commerce a manqué à son devoir

Liquidation judiciaire et responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement

Il convient de s’intéresser à un jugement qui a été rendu par le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence le 25 octobre 2012, concernant la responsabilité de l’Etat, pour dysfonctionnement de la Justice, engagée par une société en liquidation judiciaire au titre du préjudice qu’elle a subi.

Il convient en effet de rappeler qu’aux termes de l’article L 141-1 du Code de l’Organisation Judiciaire « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la Justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. ».

Les faits sont les suivants. Monsieur X exploitait une activité de restaurant dans le département des Bouches du Rhône, (13), et ce dernier, qui exploitait en nom personnel, placée en redressement judiciaire simplifié en avril 1999, par le Tribunal de Commerce, puis en régime général en septembre 1999.

Par jugement de mai 2001, le Tribunal de Commerce arrêtait le plan de continuation de l’entreprise, à raison d’un remboursement de 100% sur 10 ans.

Le fonds de commerce du restaurant a en outre été déclaré inaliénable pendant toute la durée du plan.

Toutefois, ayant la qualité de rapatrié et par jugement en date du 20 septembre 2002, le Tribunal de Commerce a suspendu la procédure collective de Monsieur X, jusqu’à la décision de la Commission Nationale des Rapatriés (CONAIR), chargée de se prononcer sur le dossier de surendettement déposé par ce Monsieur X.

Or, ladite procédure de saisine de la CONAIR étant terminée et ayant débouché sur le rejet des demandes d’aide dudit rapatrié, le commissaire à l’exécution du plan a adressé en juillet 2010 au Tribunal de Commerce un rapport du plan, pour l’aviser du rejet de la demande faite et des recours qui ont été effectués par la suite auprès de la CONAIR, et a demandé l’arrêt de la suspension des poursuites afin que Monsieur X revienne en plan de redressement et que ce dernier soit mis en demeure de régulariser les échéances échues de son plan de continuation pour un montant supérieur à 1 500 000,00 .

Dès lors, par jugement du 22 avril 2010, le Tribunal de Commerce a prononcé la liquidation judiciaire de Monsieur X.

Toutefois, par arrêt du 27 janvier 2011, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a annulé ce jugement et a renvoyé la procédure devant le même Tribunal.

Dans cet arrét, la d’Aix-en-Provence précise : « Il ressort des pièces versées au débat que la procédure collective de Monsieur X a été suspendue, que la faute du Tribunal de Commerce, qui a statué ultra-petita, est donc avérée ».

Cette faute a été reconnue par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, qui, dans son arrêt du 27 janvier 2011, a déclaré nul le jugement et renvoyé la procédure.

L’exercice de voie de recours a donc permis de réparer l’erreur de droit commise par le tribunal de commerce.

Toutefois, cela n’a rien enlevé à l’exécution provisoire attaché au prononcé de la Liquidation judiciaire.

C’est dans ces circonstances que Monsieur X a engagé la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement de la justice.

La responsabilité du fait du fonctionnement du service de la justice est régie par l’article L141-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, lequel est intitulé comme suit :

L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Alors même que le travail principal des juges est de déterminer les responsabilités des uns et des autres, il est curieux de constater que ceux-ci bénéficient d’une irresponsabilité de principe.

Toutefois, l’erreur commise par le juge dans l’exercice de sa fonction peut exceptionnellement, eu égard à sa gravité, revêtir un caractère fautif.

En effet, la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice peut être engagée en cas de faute lourde ou de déni de justice.

Initialement interprété de façon restrictive, la faute lourde bénéficie depuis un arrêt de principe d’assemblée plénière dela Courde cassation en date du 23 février 2001 d’une analyse plus libérale :

Cass Ass plen, 23 février 2001, n°99-16165 : Attendu que l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ;

Attendu que, pour débouter les consorts Bolle de leur demande, l’arrêt énonce que la faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat, sur le fondement de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire, est celle qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n’y aurait pas été entraîné, ou encore celle qui révèle l’animosité personnelle, l’intention de nuire ou qui procède d’un comportement anormalement déficient ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

En effet, l’exigence de faute lourde évolue et est interprété de plus en plus largement, voir notamment Cass 1ère civ 20 février 1996, Bull civ I, n°94, Cass Ass plen, 23 février 2001, n°99-16165 ; R. martin, La justice en faute lourde ou simple, Procédures, mai 2001, chronique n°8, p.4.

Il convient d’ailleurs de cîter l’interview de M. Nicolas SARKOZY au Recueil Dalloz, n°29 de juillet 2005, en ce qu’il se propose de passer à un régime de faute simple pour engager la responsabilité du service public de la justice, D. LUDET, A propos de la responsabilité des magistrats, Gaz Pal 23, 24 septembre 2005, p. 2.

Désormais, la faute lourde traduit l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Ainsi, l’Etat engage sa responsabilité lorsqu’une série de déficiences a traduit l’inaptitude du service public qui a poussé Monsieur X à la liquidation judiciaire.

Or, il convient de souligner que la jurisprudence reconnait la responsabilité de l’Etat pour avoir mal jugé, provoquant ainsi la ruine des commerçants :

- CA Rennes 6 novembre 1986, affaire ESNAULT, dans laquelle un couple de restaurateurs avait été acculé à la faillite par une décision de justice erronée, déclarant que l’immeuble dans lequel ils exploitaient leur fonds de commerce était en ruine.

- CA Angers, 11 septembre 2002, Le figaro du 12 septembre 2002 : La cour d’Appel d’Angers a accordé 344 000.00 à des époux restaurateurs ruinés par l’erreur d’un jugement ayant acquis l’autorité de la chose jugée.

La jurisprudence a également reconnu la responsabilité de l’Etat pour avoir mal jugé dans d’autres circonstances, CA Paris, 25 octobre 2002, D 2001, note C. Lienhard.

La jurisprudence a également sanctionné au titre du fonctionnement défectueux du service de la justice l’inaction ou la mauvaise action des organes de procédure d’une liquidation judiciaire, CA Besancon, ch civ 1ère sect A, 18 novembre 2009, n°08/01398, Ccas 2ème civ, 13 septembre 2007, n°06-21.667.

Cette responsabilité de l’Etat pour faute du juge dans son activité juridictionnelle est également consacrée parla Courde Justice des Communautés Européenne, CJCE, arrêt KOBLER du 30 septembre 2003.

De plus, le déni de justice s’entend également dans le manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle, Louis Favoreau, Du déni de justice en droit public français, LGDJ 1964, p.354.

Dès lors, il est loisible de considérer que le tribunal de Commerce compétent n’aurait pas accordé à Monsieur X et à sa procédure collective l’attention qu’il était en droit d’espérer, le plaçant immédiatement en liquidation judiciaire, avec les conséquences irrémédiables que cela comporte.

En effet, l’exécution provisoire peut avoir pour principal effet de voir :

- licencier les salariés dans les 8 jours du prononcé de la liquidation judiciaire

- cesser toute activité du restaurant

- clôturer tous les comptes bancaires du débiteur.

- mettre fin à tous les contrats en cours avec les fournisseurs.

Privant ainsi Monsieur X de toute exploitation, le mettant ainsi dans l’incapacité de faire face à son passif.

Par voie de conséquence, il est parfaitement compréhensible que le débiteur en liquidation judiciaire considère que le Tribunal de commerce ait manqué à son devoir de protection juridictionnelle.

L’inaptitude du service public de la Justice à remplir la mission dont il est investi peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice de voie de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.

S’il est vrai que la décision analysée dans la présente chronique ne caractérise pas la responsabilité de l’Etat il n’en demeure pas moins que l’Etat peut justement engager sa responsabilié.

Il peut parfaitement y avoir matière à engager la responsabilité de l’Etat au titre du dysfonctionnement de la Justice pour avoir prononcé de manière légère la liquidation judiciaire de l’entreprise, laquelle n’a pas pu exercer et a donc perdu par là-même toute possibilité d’exploitation et a perdu sa clientèle.

Il faut donc attacher toute l’importance qu’il convient à la décision de justice rendue, laquelle ne saurait être justement rendue avec légèreté. Il appartient donc au juge et à l’Etat d’en assumer toutes les conséquences si par cette décision la déconfiture de l’administré ou du débiteur est avérée, et est devenue irréversible et inéluctable.

Par voie de conséquence, le chef d’entreprise n’est donc pas seul et sans arme face au tribunal de commerce qui prononce la liquidation judiciaire et qui par là même le condamne à une mort commerciale certaine, irréversible et irrémédiable.

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