Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en début d’année 2019 qui vient aborder la problématique de la signification d’un acte judiciaire à un Etat étranger.
Dans cette affaire, il est question d’un litige salarial avec un salarié de l’ambassade des Etats Unis à Paris qui avait engagé une action devant le Conseil de Prud'hommes de Paris.
Monsieur G avait été engagé par un contrat à durée déterminée, par l'Ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Paris, à compter du 17 janvier 1989.
Ayant été licencié pour motif économique, il a saisi le conseil des prud'hommes de Paris d'une contestation des motifs de son licenciement et d'une demande d'indemnisation de ses préjudices.
Il importe de préciser que celui-ci est décédé en cours de procédure, laquelle procédure a été reprise par ses ayants droit.
Un premier jugement réputé contradictoire du 5 octobre 2009 a condamné solidairement l'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique en France et les Etats-Unis d'Amérique à verser aux consorts G agissant, en qualité d'ayants droit de Monsieur G décédé, la somme de 136 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 3ème mois de la notification du jugement.
Le jugement a été remis au parquet de Paris et adressé par la voie diplomatique à l'ambassade de France aux Etats-Unis qui l'a notifié au Département d'Etat à Washington.
Un second jugement réputé contradictoire du 22 mai 2012 a condamné Madame, Monsieur l'ambassadeur des Etats Unis d'Amérique en France pris en sa qualité de représentant des Etats Unis et en qualité de chef de mission diplomatique ainsi que les Etats-Unis d'Amérique représentés par le chef du département de justice à Washington en France, à payer aux consorts G la somme de 734 000 euros, avec intérêts au taux légal, au titre de la liquidation de l'astreinte.
Ce jugement a été remis au parquet de Paris, qui l'a fait parvenir au ministère de la justice à Paris, lequel l'a transmis au service du protocole du ministère des affaires étrangères, qui l'a remis à son tour à l'ambassade américaine à Paris le 9 octobre 2012 par une note verbale.
Par deux lettres recommandées du 8 juillet 2014, reçues au greffe de la Cour d'Appel de Paris le 9 juillet 2014, les Etats-Unis d'Amérique ont relevé appel des deux jugements.
Par ailleurs, Madame Y ambassadeur des Etats-Unis en France, est intervenue volontairement à l’instance, les deux appels ayant été joints.
L’ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique et Madame Y se sont par la suite pourvu en cassation et faisaient grief à l'arrêt de déclarer irrecevables l'appel formé par les Etats-Unis d'Amérique à l'encontre du jugement rendu le 5 octobre 2009.
Il convient de rappeler qu’un certain nombre de textes organise « la forme d’entraide judiciaire » afin de faciliter la notification d’un acte à l’étranger.
En effet, celle-ci a été règlementée par la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
Le règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 règlemente la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
Dans notre affaire, les Etats-Unis d'Amérique, l'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique et Madame Y faisaient grief à la notification de la décision ne se que celle-ci n’avait pas été traduite en anglais.
Ils considéraient que, peu important que la formalité ne soit prévue, ni par une convention internationale, ni par un texte, l'exigence d'une traduction au titre de l'usage qu'impose la courtoisie internationale doit être sanctionnée par l'irrégularité de la notification.
La Cour de Cassation s’intéresse aux dispositions en vigueur en la matière.
Elle rappelle qu’en selon l'article 684, alinéa 2, du Code de Procédure Civile, l'acte destiné à être notifié à un Etat étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est remis au parquet et transmis par l'intermédiaire du Ministre de la Justice aux fins de signification par voie diplomatique, à moins qu'en vertu d'un règlement européen ou d'un traité international, la transmission puisse être faite par une autre voie.
Or, les Etats-Unis d'Amérique sont partie à la Convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale et considère que la notification d'un acte judiciaire à un Etat partie à la Convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale est régie par cette Convention et que celle-ci n'exige pas que l'acte notifié soit traduit dans la langue de l'Etat requis.
Pour autant, la problématique ne tournait pas tant autour des la partie juridique proprement dite de la notification mais plutôt des conditions pratiques de la notification en tant que tel.
En France les termes “voies diplomatiques” recouvrent deux voies de notification :
- un circuit dit “long” au terme duquel l’acte est remis au ministère des affaires étrangères de l’Etat étranger par l’intermédiaire de l’ambassade de France ;
- un circuit dit “court” dans lequel l’acte est remis par note verbale du Protocole à l’ambassade de l’Etat étranger en France.
Cette distinction est opérée au regard de la façon dont l’Etat est désigné dans l’acte.
S’il est mentionné que l’acte est destiné à un Etat étranger représenté par son ambassade ou à l’ambassade elle-même, l’acte est remis à l’ambassade de l’Etat étranger en France ;
S’il est mentionné que l’acte est destiné à un Etat étranger, l’acte est remis au ministère des affaires étrangères de l’Etat étranger par l’intermédiaire de l’ambassade de France.
En l’espèce, le jugement concernait aussi bien les Etats Unis, d’Amérique que l’ambassade des Etats Unis d’Amérique en France.
Une notification a été réalisée le 4 octobre 2012 par le circuit dit “court” par note verbale du protocole à l’Ambassade des Etats Unis d’Amérique à Paris,
Il y était demandé à l’Ambassade “de bien vouloir en accuser réception par note verbale établie en double exemplaire”.
Les Etats-Unis précisent qu’il n’y a aucune note générale antérieure à la notification d’octobre 2012 manifestant leur refus de principe de ce mode de notification diplomatique simplifiée ce qui aurait eu pour effet, en invalidant la notification, de laisser courir le délai d’appel.
La Cour de Cassation relève qu’il ne ressortait d’aucune de ses constatations que les Etats-Unis d’Amérique avaient consenti à ce que la notification des actes par la voie diplomatique soit faite à leur Ambassade en France et par note diplomatique du 20 novembre 2012, l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique en France avait refusé l’acte en faisant connaître au Ministère français des Affaires Etrangères que la voie diplomatique officielle n’avait pas été utilisée pour porter l’affaire à la connaissance du destinataire de l’acte,
Ce dont il résultait que la notification litigieuse ne pouvait être regardée comme une notification régulière effectuée par la voie diplomatique conformément à l’article 9, alinéa 2, de la Convention du 15 novembre 1965.
La Cour de Cassation rappelle que la notification par voie diplomatique impose que le Ministère de la Justice, en possession de la notification remise au parquet, remette l’acte au Ministère des Affaires Etrangères, que celui-ci transmette l’acte à l’Ambassadeur de France auprès de l’Etat étranger, destinataire de l’acte, pour que cette Ambassade remette l’acte aux services compétents de l’Etat étranger.
Qu’en l’espèce, la notification du jugement du 22 mai 2012 a été remise par le Ministère français des Affaires Etrangères à l’Ambassade des Etats Unis d’Amérique en France et que la notification ainsi effectuée ne répondait pas aux exigences d’une notification par voie diplomatique de telle sorte que la Cour de Cassation casse l’arrêt au visa de l’article 684 alinéa 2 du Code de Procédure Civile imposant la voie diplomatique.
Par voie de conséquence, la notification étant irrégulière, l'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique en France et les Etats-Unis d'Amérique était parfaitement recevable à frapper d’appel la décision en litige.
Cette décision est intéressante, car elle démontre bien que la notification d’une décision de justice française à un Etat étranger tout comme à son Ambassade peut être un parcours du combattant et qu’il peut y avoir un fossé important entre l’approche juridique d’une notification à un Etat étranger, et ou à son Ambassade, d’une décision de justice française.
Entre circuit court et circuit long, ce contentieux démontre que la pratique internationale offre des axes de contestation spécifiques, qu’il ne faut pas ignorer, au risque de s’engluer dans des pans de contestation de procédure international sans fin.
Le rôle du conseil est alors de parfaire cette sécurité juridique dans la notification des actes et décisions de justice au niveau national comme au niveau international.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,