Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en ce mois de février 2020.
Dans cette affaire, un bien appartenant à la société C loué aux consorts T selon bail du 15 septembre 2008, à effet au 1er septembre 2008, avait été adjugé le 16 septembre 2014, à la société B créancier poursuivant, faute d'enchère.
Le jugement d'adjudication, rejetant une contestation des consorts T avait relevé que le procès-verbal de description et le « procès-verbal d'apposition de placard » mentionnaient que le bien faisait l'objet d'un bail.
Pour autant le 6 décembre 2014, cette société avait fait délivrer à Monsieur et Madame T et à la société C un commandement de quitter les lieux et le 8 juillet 2015, un huissier de justice ayant procédé à leur expulsion en présence de la force publique.
C’est dans ces circonstances que la société C et les consorts T ont saisi le Juge de l'Exécution afin de voir annuler les opérations d'expulsion.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient s’interroger sur les relations existantes entre bail d’habitation et procédure de saisie immobilière.
La société B considérait que les époux T ne disposaient d'aucun titre d'occupation opposable à son encontre après le jugement d’adjudication du 16 septembre 2014.
Elle rappelait que l’article L.321-2 du Code des Procédures Civiles d'Exécution précise que l'acte de saisie rend l'immeuble indisponible et restreint le droit de jouissance et d'administration du saisi.
Elle rappelait également que l'article L.321-4 du Code des Procédures Civiles d'Exécution prévoit que : « Les baux consentis par le débiteur après l'acte de saisie sont, quelle que soit leur durée, inopposables au créancier poursuivant comme à l'acquéreur.
La preuve de l'antériorité du bail peut être faite par tout moyen »
De telle sorte que le jugement d'adjudication constitue un titre d'expulsion à l'encontre du saisi et de tous occupants de son chef en vertu des articles L.322-13 et R.322-64 du Code des Procédures Civiles d’Exécution.
La société B soutenait qu'il s'agissait d'un bail frauduleux curieusement signé par le gérant de la société C, à son propre profit, quatre jours après la dénonciation de l'inscription d'hypothèque prise sur la villa le 11 septembre 2008.
Elle considérait que ce contrat de bail venu à expiration au 31 août 2014 n'avait pu se reconduire tacitement du fait de la saisie opérée par la société B sur l'immeuble suivant commandement du 4 mars 2013, validée par le jugement d'orientation du Juge de l'Exécution du 29 avril 2014.
Dès lors les époux T ne disposaient donc d'aucun titre d'occupation opposable à l'adjudicataire et que la procédure d’expulsion était parfaitement valable.
Les époux ont soulevé un certain nombre de moyens.
A raison.
Ils rappelaient que le Juge de l'Exécution ne pouvait déclarer inopposable le renouvellement du bail d'habitation à leur profit sur le bien saisi au créancier poursuivant et adjudicataire, sans méconnaître les dispositions de l'article R.121-1 alinéa 2 du Code des Procédures Civiles d'Exécution et modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, qui avait en l'occurrence rejeté la contestation déduite de ce que leur bail n'avait pas été pris en compte, considérant dès lors celui-ci comme nécessairement opposable à l'adjudicataire à la date de l'adjudication.
Ils soutenaient également que la délivrance d'un commandement de saisie ne faisait pas obstacle à la conclusion d'un bail par le propriétaire saisi, ni a fortiori à la reconduction ou au renouvellement de ce bail après la date de ce commandement, qui seraient opposables à l'adjudicataire dès lors que celui-ci en avait connaissance du bail avant l'adjudication.
Enfin, ils rappelaient que si l'article L.321-4 du Code des Procédures Civiles d'Exécution, déclare inopposable au créancier poursuivant et à l'acquéreur les baux consentis par le débiteur après l'acte de saisie, cela ne saurait faire obstacle, ni rendre inopposable au créancier poursuivant et à l'acquéreur la reconduction tacite ou le renouvellement du bail se produisant de plein droit en l'absence de toute initiative du bailleur.
C’est sur ce point que la Cour de Cassation se prononce et considère que la délivrance d'un commandement valant saisie immobilière n'interdit pas la conclusion d'un bail ou la reconduction tacite d'un bail antérieurement conclu, et que le bail, même conclu après la publication d'un tel commandement est opposable à l'adjudicataire qui en a eu connaissance avant l'adjudication.
Cette jurisprudence rappelle que le débiteur saisi peut malgré tout maintenir, renouveler et reconduire un bail existant.
Elle précise que le bailleur peut conclure le bail même après la publication d'un commandement valant saisie et que cela est opposable à l'adjudicataire si ce dernier en a eu connaissance avant l'adjudication.
Cette jurisprudence est heureuse.
Elle rappelle quand même que le débiteur saisi peut quand même disposer de son bien jusqu’à l’adjudication, le créancier n’ayant pas non plus tous les droits contre son débiteur.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,