Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Chambéry en mars 2016 et qui vient aborder la question spécifique de l’incidence fiscale d’un placement financier lorsque la situation juridique et civile de son titulaire change,
Cette jurisprudence pose également la question du devoir de curiosité de l’établissement bancaire sur les effets juridiques, financiers et fiscaux lorsque justement le client prend soin de l’avertir,
Dans cette affaire, les époux C., ont effectué en 1991, 1993 et 1995 divers placements en assurance-vie auprès d’un établissement bancaire pour un montant global de près de 2 000 000,00 €.
A la suite du décès de Madame C., en janvier 1997, Monsieur C., son veuf et ses deux filles ont, par acte notarié, conclu une convention de quasi-usufruit, portant notamment sur ces placements.
Il était ainsi convenu que Monsieur C. aurait la libre gestion de l’ensemble des comptes et placements dépendant précédemment de la communauté.
Par la suite, Monsieur C. est décédé en 2011 et ses filles, héritiers réservataires ont dû s’acquitter de droits de mutation importants pour les placements en assurance-vie réalisés par leur père après l’âge de ses 70 ans, ceux-ci étant dès lors fiscalisés tout en étant exclus de la succession.
C’est dans ces conditions, considérant que la banque avait manqué à son obligation de conseil et d’information à l’égard de leur père, que les filles de Monsieur C. ont assigné l’établissement bancaire en paiement d’une somme de près de 36 000,00 € correspondant aux impôts qu’elles ont dû acquitter, outre de légitimes dommages et intérêts.
Ceci nous amène également à nous interroger sur l’obligation de conseil relative aux conséquences fiscales d’un placement financier,
Ainsi, force est de constater que lorsque la convention de quasi-usufruit avait été faite en son temps, celle-ci avait été par la suite communiquée par le notaire à l’établissement bancaire.
Dès lors, l’établissement bancaire avait parfaitement connaissance de cette convention de quasi usufruit,
L’établissement bancaire ne pouvait donc ignorer les effets et les contraintes du quasi-usufruit, tel qu’il est rappelé à l’article 587 du Code civil.
En effet, cet article permet au quasi-usufruitier de placer son argent comme bon lui semble sous la seule et expresse réserve de rendre à la fin de l’usufruit les valeurs de départ, d’où l’importance pour le notaire de communiquer la convention de quasi-usufruit à l’établissement bancaire pour que celui-ci remplisse ses obligations auprès du quasi-usufruitier afin de lui laisser notamment la disposition des fonds.
Aussi, la banque ne pouvait qu’avoir parfaitement connaissance de la situation juridique de Monsieur C.
Il convient de rappeler que l’établissement bancaire engage sa responsabilité au titre de ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde.
La banque est ainsi tenue à la plus grande prudence lorsqu’elle fournit des informations, notamment fiscales, qui peuvent être déterminantes dans le choix du client de conclure tel ou tel contrat proposé.
La jurisprudence est d’ailleurs très claire sur ce point.
A ce titre, il convient de citer une jurisprudence du 8 mars 2012, dans laquelle la Première chambre civile de la Cour de Cassation a sanctionné un professionnel qui avait pris l’initiative de présenter à son client un calcul prévisionnel de crédit d’impôt.
La haute juridiction a considéré que ce professionnel engageait sa responsabilité pour avoir présenté un calcul erroné qui a déterminé son consentement, faute d’avoir recueilli les renseignements indispensables au calcul exact du crédit d’impôt et la donc sanctionné.
Cette jurisprudence illustre d’ailleurs parfaitement les obligations qui pèsent sur le professionnel sur les conséquences fiscales d’un placement financier.
Il est bien évident que l’établissement bancaire est tenu à une obligation d’information et de conseil sur l’incidence fiscale de tel ou tel placement.
Ceci d’autant plus que Monsieur C. était alors âgé lorsque les deux placements complémentaires ont été effectués en son temps.
Un tel montage financier imposerait aux conseillers financiers un respect accru de leurs obligations, lesquelles doivent s’exprimer par un formalisme plus important mais, également, afin de justifier que ces derniers ont bien rempli leurs obligations de conseil, d’information et de mise en garde, tant sur l’aspect financier que sur l’aspect fiscal du placement en question.
Il est bien évident, à la lueur des faits présentés, que les demandeurs ont eu parfaitement le sentiment que la banque avait manqué à ses obligations et que ces manquements n’ont pas permis de placer le quasi-usufruitier dans une situation juridique et fiscale lui permettant de reverser à ses deux filles, en leur qualité de bénéficiaire de l’usufruit, l’intégralité des sommes et ce sans imputation d’une pression fiscale finalement inattendue.
La jurisprudence consacre très clairement la responsabilité de la banque au titre de son obligation de conseil quant aux conséquences fiscales.
Il convient pour s’en convaincre de citer par exemple et pour exemple une décision de la Cour d’Appel de Poitiers, de novembre 2010, qui rappelle que le banquier est tenu d’un devoir de conseil envers son client en ce qui concerne les placements financiers souscrits par ce dernier auprès de lui.
La Cour considère que le devoir de conseil auquel était tenu l’établissement bancaire envers son client lui imposait d’informer ce dernier des avantages et des inconvénients en termes de rendement financier et d’incidence fiscale d’un remplacement immédiat ou différé du contrat souscrit en son temps par un nouveau placement.
Dans un arrêt en date de janvier 2012, la Cour d’appel de Toulouse vient également rappeler qu’incombe à l’établissement bancaire la charge de la preuve de l’information précontractuelle, en sensibilisant son client sur les prélèvements sociaux et fiscaux pouvant accompagner le placement.
Pareillement, la demande de souscription du placement financier, fût-ce une assurance vie, peut également amener l’établissement bancaire à apporter toute précision utile quant au régime fiscal qui s’applique.
L’obligation s’exprime de la même manière dans un arrêt précédent du 13 avril 2010.
La jurisprudence consacre donc la responsabilité de l’établissement financier, banque ou assurance, pour avoir manqué à ses obligations précontractuelles et contractuelles d’information sur les conséquences fiscales du placement proposé.
Dans le même ordre d’idée, il convient de rappeler que le Code monétaire et financier est venu règlementer dans ses dispositions L 533-13 et suivants, les règles de bonne conduite que le banquier, prestataire de service et d’investissement, doit respecter.
Dès lors, par le biais de ce raisonnement, tout laisse à pense qu’il appartenait à l’établissement bancaire d’apporter à Monsieur C. toute information sur les conséquences fiscales des placements litigieux, lesquels avaient été conclus alors même que celui-ci avait plus de soixante-dix ans.
Par voie de conséquence, tout laisserait à penser qu’il appartenait à la banque d’informer ce dernier des conséquences juridiques et financières de la convention de quasi-usufruit quant aux placements effectués au sein de son établissement bancaire en ce que justement l’impact fiscal est réel et non-négligeable.
A cet égard, l’arrêt étudié est intéressant car il aborde non-seulement la question de l’obligation d’information de la banque sur les conséquences fiscales du placement litigieux mais ce de manière à la fois précontractuelle et contractuelle.
La banque ne serait-elle donc pas tenue de remplir également cette obligation d’information des conséquences fiscales d’un placement alors même que le contrat est en cours mais que par contre, la situation juridique du client a quant à elle changée ?
La convention de quasi-usufruit modifiait effectivement les droits du veuf, ainsi que des enfants de la de cujus sur les placements financiers en question et ce d’autant plus que les sommes en jeu étaient d’importance.
Il est bien évident que la banque, qui bénéfice de moyens juridiques et humains extrêmement importants, était malgré tout tenue de tirer les conséquences fiscales d’une situation juridique découlant de la convention de quasi-usufruit sur l’ensemble des contrats en cours.
Il est regrettable que la banque, laquelle a pourtant été clairement et officiellement informée par le notaire, n’en ait pas tiré toutes les conséquences que de droit et a simplement pris acte, sans s’interroger sur le sort des placements en cours, et ce alors même que dans le cadre de ses obligations de conseil, il y avait quand même matière à interpeler le client sur le sort de ces placements en l’état du changement de cette situation juridique.
Malheureusement, dans cet arrêt, la Cour d’Appel ne considère pas que la banque ait manqué à ses obligations alors même que, pourtant, celle-ci avait été bel et bien informée de la situation juridique majeure, telle qu’elle découlait de la convention de quasi-usufruit.
La motivation de l’arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry est d’ailleurs assez courte, en ce qu’elle vient considérer que, finalement, le préjudice fiscal évoqué par la demanderesse serait le résultat de la convention de quasi-usufruit signée en 1997 devant notaire, bien plus, finalement, que du placement financier en tant que tel.
Bien plus encore, la Cour d’Appel considère que la demanderesse ne rapporte aucunement la preuve qu’il lui incombe de ce que l’établissement bancaire serait intervenu à quelques moments avant la signature de la convention, dont elle n’a été informée qu’après sa conclusion.
Pour autant, cette approche peut sembler curieuse car rien n’empêche l’établissement bancaire de tirer les conséquences d’un acte déjà conclu pour effectivement voir si cela a vocation à impacter les droits de chacun concernant le sort de ce placement financier en question.
Dès lors il peut sembler curieux que lire que la Cour considère que les demandeurs ne démontrent nullement que le placement en assurance-vie avait été contracté pour un motif de défiscalisation de cette succession et que, non seulement leur père n’avait pas nécessairement qu’un objectif de défiscalisation pour cette cession, mais encore qu’il n’avait pas forcément informé la banque de cet objectif-là.
De telle sorte que la banque n’aurait commis aucune faute lors de la souscription du contrat litigieux, moment auquel la banque était réellement tenue d’un devoir d’obligation de conseil et d’information et que, par la suite, celle-ci, à bien y croire la Cour qui s’arrête d’ailleurs sur cette motivation, la banque ne serait plus tenue dans le cadre de l’exécution du contrat d’une information de bonne foi des conséquences financières et fiscales d’une modification juridique.
Pour autant, l’article 1134 du Code civil rappelle quand même que l’exécution d’un contrat doit se faire de bonne foi.
Surtout, en sa qualité de financier, l’établissement bancaire aurait dû à mon sens informer le quasi-usufruitier des conséquences fiscales de cette modification juridique, et, par là-même, des frais de transmission ou des droits successoraux que cela pourrait engendrer en cas de décès.
Ceci d’autant plus qu’il est assez curieux de constater que la Cour considère que la démonstration de l’objectif de défiscalisation successoral n’est pas consacrée, alors que le choix-même des placements d’assurance vie demeure malgré tout une alternative extrêmement répandue afin justement de procéder à la défiscalisation en matière successorale.
Dès lors, cette décision peut sembler contestable puisqu’elle vient limiter toute forme de responsabilité de la banque en cas de changement de situation juridique de ses clients, alors même que cette situation a vocation à modifier le sort des placements financiers et de leur fiscalité.
La cour considère que c’est à bon droit que les premiers juges ont débouté les enfants de l’intégrité de leurs demandes.
Cependant, la banque demeure à mon sens tenue à une obligation de conseil, d’information et de mise en garde, notamment sur les conséquences fiscales de tel ou tel placement.
Ceci vaut naturellement au moment de la conclusion du contrat mais également et surtout dans le cadre de son exécution, si effectivement des changements notables viennent modifier la donne générale du placement, tant sur le terrain financier que fiscal.
Dès lors, cette décision est à mon sens contestable.
Elle pourrait effectivement mériter un pourvoi en cassation sur cette question spécifique car il convient malgré tout de s’interroger sur l’étendue exacte de la responsabilité de l’établissement bancaire et son obligation de conseil, d’information et de mise en garde.
Cette obligation ne peut se cantonner à une simple information précontractuelle avant la conclusion du contrat, alors même que ce type de contrats, tout comme d’autres d’ailleurs, ont vocation à s’inscrire dans la durée.
Ainsi, ladite durée est facteur de changement et donc de modifications juridiques et fiscales, dont le banquier, spécialiste de la finance, a quand même vocation à se préoccuper, surtout lorsque le client subit des modifications juridiques importantes pour lesquelles il prend malgré tout soin d’en informer la banque.
Cette jurisprudence est donc contestable mais elle doit justement éclairer le client qui effectue un placement qu’il lui appartient avant toute chose d’appréhender parfaitement l’ensemble des tenants et aboutissements d’un placement,
Nonobstant les obligations d’information, de conseil et de mise en garde qui pèsent habituellement sur l’établissement financier, cela serait encore au client de tirer seul toutes les conséquences d’une nouvelle situation juridique,
S’il est vrai que selon l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi même », il n’en demeure pas moins que l’établissement bancaire devrait être tenu d’un devoir de curiosité pour en tirer toutes les conséquences juridiques, financières et fiscales sur le placement dont il a justement la gestion,