Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Angers, Chambre Commerciale, Section A1, le 15 janvier 2013, concernant les pouvoirs du contrôleur en matière de sanction du dirigeant d’une entreprise en liquidation judiciaire.
Il convient de rappeler que, conformément, à l’article L 621-10 du Code du Commerce, le juge commissaire désignait un seul contrôleur parmi les créanciers qui en font la demande.
Lorsqu’il désigne plusieurs contrôleurs, le juge commissaire veille à ce qu’ au moins l’un d’entre eux soit choisi parmi les créanciers titulaires d’une sûreté et qu’un autre soit choisi parmi les créanciers chirographaires.
Par ailleurs, il convient de rappeler que, conformément à ces mêmes dispositions, l’ensemble des professions protégées ou étant rattachées à un ordre, qu’il s’agisse de l’Ordre des avocats, de l’Ordre des médecins, de l’Ordre des kinésithérapeutes, l’ordre en question est désigné d’office contrôleur.
Suivant l’article L 621-11 du Code du Commerce, les contrôleurs assistent le mandataire judiciaire dans ses fonctions et le juge-commissaire dans sa mission de surveillance de l’administration d’entreprise.
Ils peuvent prendre connaissance de tous les documents transmis à l’administrateur, au mandataire judiciaire et sont tenus à la confidentialité.
Les fonctions du contrôleur sont gratuites.
Cette fonction de contrôleur est extrêmement intéressante car elle permet au créancier, qui a un intérêt particulier à suivre la procédure collective de son débiteur, de pouvoir s’immiscer dans le déroulement de cette procédure, pour pouvoir, en tout état de cause, la suivre et être parfaitement informé des tenants et aboutissants de celle-ci et assuré de son bon déroulement.
En effet, les contrôleurs sont davantage intégrés à la procédure et ils peuvent transmettre à tout moment de la procédure des informations au mandataire judiciaire, lequel doit les communiquer au juge commissaire ainsi qu’au Procureur de la République.
Toutefois, s’il est vrai que le contrôleur n’a pas nécessairement intérêt à intervenir volontairement à l’ensemble des instances, il n’en demeure pas moins qu’il doit être tenu informé de l’ensemble des réponses faites au mandataire judiciaire par les créanciers.
Il doit être également informé et consulté sur le rapport communiqué par l’administrateur et, surtout, il peut demander au tribunal la cessation de l’activité, ou la conversion en redressement judiciaire, ou le prononcé de la liquidation judiciaire, puisqu’il doit être entendu et dûment appelé à cette fin.
Ceci est extrêmement intéressant lorsqu’un créancier qui a des intérêts particuliers à préserver face à son débiteur, a vocation à participer à la procédure collective.
S’il est vrai, comme le rappelle la doctrine, que la procédure collective ne se mérite pas, il n’en demeure pas moins que, dans certains cas, celle-ci peut faire l’objet d’un choix stratégique de la société en difficulté pour échapper aux contraintes ou à la créance d’un créancier, avec lequel les relations juridiques et judiciaires, parfois passionnelles, ont vocation à amener le débiteur à échapper à ses obligations.
La désignation du contrôleur permet alors au créancier de ne pas être écarté du déroulement de la procédure collective, au motif pris qu’il n’est qu’un créancier parmi tant d’autres, mais peut inversement participer activement et sensibiliser le Tribunal sur un certain nombre d’informations que celui-ci n’a pas nécessairement ou que le mandataire judiciaire n’a pas forcément recueillies.
Ceci est à la fois constructif pour le créancier, qui préserve ses intérêts, et pour les organes de la procédure collective, qui ont par là-même l’assurance d’avoir des informations de première qualité.
Inversement, cela permet au chef d’entreprise en difficulté et à la société en difficulté, de démontrer que, fort heureusement, le droit de l’entreprise en difficulté offre un certain nombre d’alternatives et permet de pacifier une situation parfois très conflictuelle avec le créancier en question.
Par-dessus tout, l’un des apports de la Loi à cet égard, est que le contrôleur a également vocation à être destinataire des propositions de règlement des dettes, dans le cadre du plan de sauvegarde ou de redressement, ainsi que réponses faites par les créanciers.
Il est également consulté sur le rapport de l’administrateur portant sur le bilan de l’entreprise et entendu par le Tribunal afin de statuer sur le plan ou encore la cession de l’entreprise.
Il est également tenu informé des offres de reprise qui peuvent être faites.
Il faut cependant mettre un bémol à cet égard et ne pas oublier que le contrôleur n’a pas vocation à se porter acquéreur du bien, conformément à l’article L 642-3 du Code du Commerce, le contrôleur ne peut présenter une offre pour acheter le bien.
Toutefois, il convient de préciser que la Loi du 26 juillet 2005 élargit considérablement les pouvoirs du contrôleur, puisque ce dernier peut désormais pallier les carences du mandataire judiciaire dans la représentation des intérêts collectifs du créancier.
En particulier, et sous certaines conditions, il peut engager des actions en comblement du passif, désormais appelées actions en responsabilité pour insuffisance d’actifs, en faillite personnelle et en banqueroute.
Il peut ainsi envisager une action en responsabilité à l’encontre du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actifs et des fautes de gestion que ce dernier a pu commettre et dont il a parfois une parfaite connaissance en l’état de l’ancienneté de leur relation commerciale ou contractuelle.
Toutefois, cette action en responsabilité, qui peut être extrêmement intéressante pour le contrôleur, est strictement règlementée et encadrée.
L’article L 651-3 précise que dans l’intérêt collectif des créanciers, le tribunal peut également être saisi par la majorité des créanciers nommés contrôleurs, lorsque le mandataire liquidateur n’a pas engagée l’action prévue au même article, après une mise en demeure restée sans suite dans un délai et des conditions fixés par décret.
Ledit décret précise en son article R 651-4, que pour l’application de l’article L 651-3 du Code du Commerce, la mise en demeure faite au mandataire de justice d’engager l’action en responsabilité, est délivrée par au moins deux créanciers contrôleurs.
Leur action n’est recevable que si cette mise en demeure adressée au mandataire de justice par lettre recommandée avec avis de réception est restée infructueuse pendant deux mois à compter de la réception de ladite mise en demeure.
La question qui était posée à la Cour d’Appel d’Angers était de savoir, dans l’hypothèse où seulement un créancier se faisait désigner contrôleur, si celui-ci pouvait agir seul, afin de voir condamné le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actifs.
Cet arrêt est d’importance car, malheureusement et de toute évidence, la désignation d’un contrôleur entraîne un coût pour le créancier.
Ce dernier, qui est déjà mis en difficulté par le non-paiement de sa créance, hésite bien souvent à engager des frais supplémentaires, alors même qu’il n’a aucune assurance de voir sa créance réglée pour suivre la procédure collective au plus près, en se faisant désigner contrôleur.
En effet, l’ensemble des pouvoirs qu’il obtient de par la Loi sont autant d’obligations de suivis et de conseils juridiques qui l’accompagnent.
Aussi, la désignation du contrôleur reste rare et la désignation de plusieurs contrôleurs au sein de la même procédure l’est encore plus.
De telle sorte que si un seul créancier est suffisamment inspiré pour être désigné contrôleur, afin de notamment garder un œil bien vigilant sur les chances de recouvrement de sa créance et sur l’éventuelle responsabilité du dirigeant, qu’il envisage d’engager dans si ce contrôleur peut effectivement engager la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actifs.
Cet arrêt de la Cour d’Appel d’Angers vient nuancer la portée de la désignation d’un contrôleur en termes de sanctions et pourrait même avoir pour effet de freiner la désignation des contrôleurs, ce qui aurait par ailleurs pour conséquences de rendre encore plus vain la désignation d’un tel organe.
Ceci viendrait en pratique interdire à un créancier de se faire désigner contrôleur pour engager la responsabilité du dirigeant par là-même.
En effet, dans cette affaire, une assignation avait été délivrée le 6 octobre 2008 à la requête de Madame L, qui avait été prise en sa qualité de créancier contrôleur à la liquidation judiciaire de la société X.
En l’espèce, Madame L, associée, était créancier suite à une cession de part d’une holding, laquelle n’avait pas intégralement payé le prix de cession.
L’ancienne associée obtenait la condamnation de la holding au paiement du reliquat du prix de cession, lequel, demeurait important.
Toutefois, la holding souhaitait bénéficier des avantages de la procédure collective et a été placée en liquidation judiciaire, mettant ainsi un terme à tout espoir de remboursement.
Or, l’associé créancier ne tenait pas à rester là et s’était faite désignée contrôleur et, dans la mesure où le mandataire liquidateur n’entendait pas poursuivre le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actifs, le créancier contrôleur assignait donc les anciens dirigeants de droit et de fait, aux fins d’obtenir leur condamnation au paiement de l’insuffisance d’actifs.
Ceci aurait naturellement permis de préserver l’intérêt collectif des créanciers mais également d’assurer le paiement, au moins partiel, de sa créance.
Le Tribunal de Commerce d’Angers, dans une décision du 7 avril 2010, jugeait l’action irrecevable au motif pris que l’action du contrôleur ne pouvait prospérer car, conformément à l’article L 651-3 du Code du Commerce, seule la majorité des créanciers peut saisir la juridiction.
Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, la majorité des créanciers signifie qu’il doit y avoir au moins deux créanciers désignés contrôleurs.
Il ne s’agit donc pas de majorité quantitative sur l’ensemble du passif déclaré.
La notion de majorité des créanciers vient finalement à rappeler que le contrôleur ne peut envisager une action seul et dans son seul intérêt individuel mais doit l’engager au profit de la procédure collective, c’est-à-dire au profit de l’intérêt collectif.
Toutes les sommes pour lesquelles les dirigeants seraient condamnés au paiement, auraient donc vocation à être versées, avant toute chose, entre les mains du mandataire judiciaire.
Ce dernier procèderait alors à une répartition conformément à la Loi, répartition au marc le franc entre tous les créanciers, qui permettrait par là-même aux créanciers d’être désintéressés, au moins partiellement, de leur créances.
Or, la Cour d’Appel d’Angers, considére qu’il fallait respecter les dispositions des textes susvisés et qu’il fallait au moins deux contrôleurs pour que l’action du contrôleur soit recevable.
De fait, ceci assurerait par là-même une véritable impunité au dirigeant en cas de faute de gestion avérée dans l’hypothèse où le mandataire judiciaire ne jugerait pas opportun d’engager une action.
Ainsi, cette solution aboutit, dans le cas où un seul créancier serait désigné contrôleur, ou, dans l’hypothèse où ce même créancier contrôleur n’arriverait pas à recevoir le soutien d’un second créancier, à lui interdire de recourir aux dispositions de l’article L 651-3 et L 651-7 du Code du Commerce, ce qui est extrêmement regrettable.
En effet, l’arrêt est d’autant plus critiquable qu’il vient finalement sanctionner le créancier contrôleur en question au paiement de dommages et intérêts, au motif pris qu’il ne pouvait ignorer son irrecevabilité et qu’en s’entêtant de la sorte, il avait vocation à indemniser les dirigeants, ce qui peut paraître un comble pour l’ancienne associée, qui se retrouvait déjà en présence de créances impayées importantes.
Cet arrêt de Cour d’Appel est peut-être sujet à pourvoi, ce qui permettrait à la juridiction suprême de s’exprimer sur la délicate question de l’interprétation de l’article L 651-3 du Code du Commerce et de son décret d’application pris en son article R 651-4, car il convient de déterminer, dans l’hypothèse où il n’y aurait qu’un contrôleur au sein de la procédure collective, si ce dernier peut agir malgré tout en responsabilité contre le dirigeant, étant précisé que cette action en responsabilité aurait vocation à servir l’ensemble des créanciers.
A mon sens, il convient de prendre en considération les contraintes économiques du Droit de l’entreprise en difficulté, lequel est un droit fondamentalement économique.
Il n’y a donc pas lieu d’attendre l’a constitution d’un certain nombre de contrôleurs pour envisager l’action en responsabilité.
Ceci d’autant plus si l’un d’entre eux seulement, souhaite se faire désigner contrôleur et a des informations suffisamment précises et importantes pour caractériser les fautes de gestion, telles qu’elles sont elles-mêmes strictement définies elles-mêmes dans le Code du commerce pour envisager la responsabilité du dirigeant.
Fort heureusement, la question ne me paraît pas être close pour l’heure.
Il demeure intéressant pour les créanciers, voir même les cautions, d’une société, de se faire désigner contrôleur afin d’avoir un regard particulièrement avisé du bon déroulement de la procédure, d’être parfaitement tenu informé des stratégies adoptées avant, mais également pendant, la procédure collective, notamment dans le cadre de la vérification des créances, étape fondamentale et garante du bon déroulement d’une procédure collective, ainsi que dans le cadre de la présentation d’un plan de redressement ou de sauvegarde.