Prêt consommation, liquidation judiciaire et vente du domicile

Publié le 15/08/2019 Vu 3 016 fois 0
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Lorsque la qualification d’un prêt ayant servi à alimenter une entreprise comme étant un prêt consommation permet à la banque de saisir le bien de son débiteur en liquidation judiciaire sans se voir opposer l’insaisissabilité du domicile.

Lorsque la qualification d’un prêt ayant servi à alimenter une entreprise comme étant un prêt consommati

Prêt consommation, liquidation judiciaire et vente du domicile

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour d'Appel de Lyon au mois d’août et qui vient aborder la qualification juridique d’un prêt bancaire, entre prêt consommation et prêt professionnel, et détermine ainsi l’impact que ladite qualification juridique peut avoir tant dans le cadre d’une saisie immobilière que dans le cadre d’une procédure collective.

 

Dans cette affaire, Monsieur T avait obtenu auprès de sa banque un prêt personnel de 60 000 euros remboursables en 120 mensualités au taux de 7 ;40% garanti par une assurance invalidité.

 

Le prêt était destiné à l’achat d’une tour à commande numérique.

 

Suivant acte notarié du 25 novembre 2010,  une autre banque a consenti aux époux T un crédit à la consommation in fine, d'un montant de 300.000 €, remboursable 59 échéances de 1 675,50 euros et une 60ème de 301 372,50 euros au taux d’intérêt annuel de 6.69% l’an avec une assurance invalidité-décès souscrite auprès d’une compagnie d’assurance liée à l’établissement bancaire.

 

Ce prêt était garanti par le cautionnement solidaire de Madame T mère de l’emprunteur limité à 390 000 euros, ainsi que d’une hypothèque conventionnelle de 12ème rang sur le bien immobilier des époux T et un nantissement sur le contrat d’assurance vie de Madame T d’une valeur de ,256 705 euros.

 

Le 20 juillet 2012, les emprunteurs ont effectué un remboursement partiel anticipé de ce dernier prêt, réduisant ainsi les mensualités de remboursements à 836,25 euros et la dernière mensualité à 150 836,25 euros.

 

A la suite de difficultés de santé, Monsieur T a été place en invalidité mais sans bénéficier d’un droit à pension compte tenu de retard dans le paiement de ses cotisations RSI.

 

Divers recours ont été engagés devant les instances administratives compétentes concernant cette difficulté.

 

Monsieur T a donc sollicité la mise en œuvre de la garantie invalidité du prêt souscrite auprès de la société d’assurance pour la prise en charge des mensualités de remboursement les premiers versements sont intervenus le 27 juin 2015 au titre des échéances d’avril et mai 2015.

 

Pour autant, cela n’a pas empêché la banque de prononcer la déchéance du terme le 18 août 2015, et ce, après l’envoi de plusieurs mises en demeure les 3 avril, 12 mai et 12 juin 2015 aux fins de régularisation des retards de paiement des échéances et intérêts depuis avril 2015.

 

On pourrait d’ailleurs s’interroger sur l’absence de saisine du Président du Tribunal d'Instance aux fins de suspension judiciaire des échéances en l’état des différents contentieux liés à la prise en charge de l’invalidité de Monsieur T par la compagnie d’assurance et par le RSI.

 

En effet, rien n’empêche l’emprunteur en difficulté de saisir le président du Tribunal d’instance de solliciter une suspension judiciaire des échéances du prêt consommation en cas de difficulté conjoncturelle alors même que l’établissement bancaire, qui promet monts et merveilles lors de la signature du prêt, se garde bien de faire quelque effort que ce soit lorsque l’emprunteur malheureux se trouve dans une situation délicate.

 

C’est dans ces circonstances que le 19 janvier 2017, la banque a fait délivrer aux époux T un commandement valant saisie immobilière des droits et biens immobiliers dont ils étaient propriétaires.

 

Par acte extra judiciaire du 11 avril 2017, la banque a assigné les époux T devant le Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance à l’audience d’orientation afin de voir ordonner la vente des biens.

 

Par jugement en date du 15 mars 2018, le juge de l’orientation a :

 

ü  Jugé que les droits de la banque sont bien nés à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne saisie

 

ü  Constaté l’arrêt de la procédure de saisie immobilière compte tenu de la liquidation judiciaire de Monsieur T

 

ü  Constaté le caractère insaisissable de l’ensemble immobilier de Monsieur T

 

ü  Ordonné la mainlevée de la procédure de saisie immobilière relative à cet ensemble immobilier

 

La juridiction avait retenu dans sa motivation qu’en mai 2010, la banque avait refusé à Monsieur T un prêt destiné à renflouer la trésorerie de son entreprise.

 

Par la suite, les juges du fond soulignaient que le prêt litigieux qui avait été accordé en octobre 2010 pour « les besoins du ménage et un besoin de trésorerie » était incohérent dès lors que le débiteur n’était pas revenu à meilleure fortune et ne pouvait s’expliquer que par les liens de parenté entre les débiteurs et le conseiller bancaire, (son cousin), son montant excluant par ailleurs une destination purement personnelle.

 

A bien comprendre cette motivation, le prêt était ainsi destiné à apurer les dettes professionnelles de Monsieur T et les droits de la banque sont donc nés à l’occasion de l’activité professionnelle des personnes saisies.

 

Il ne pouvait donc s’agir de prêt consommation, assujetti par la même au droit de la consommation.

 

C’est dans ces circonstances économiques difficiles que Monsieur T s’est placé a sollicité le prononcé d’une liquidation judiciaire.

 

Il y avait matière à y tirer avantage. En effet, la liquidation judiciaire de Monsieur T entrainait l’arrêt de la procédure de saisie immobilière au titre du principe de l’arrêt des poursuites individuelles.

 

Dans le cadre de la procédure collective, le débiteur, Monsieur T, soutenait que le bien immobilier objet de la saisie était un bien insaisissable car constituant la résidence principale des époux T conformément à l’article L 526-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution.

 

Dès lors, le prêt étant requalifié à titre professionnel il ne pouvait pas être saisi.

 

La décision faisait en effet clairement penser que le prêt étant qualifié de professionnel celui-ci est donc assujetti aux rigueurs de la procédure collective et ne peut faire l’objet d’une saisie immobilière.

 

C’est dans ces circonstances que la banque a fait appel de la décision du Tribunal de Grande Instance,

 

Devant la Cour d'Appel, il a été abordé un certain nombre de point.

 

Tout d’abord, les consorts T sollicitaient le sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur l’action en responsabilité qu’ils avaient initiées à l’encontre de la banque pour défaut de conseil et d’information quant à l’offre d’adhésion au contrat d’assurance groupe garantissant leur prêt qu’elle leur avait souscrire, faisant valoir que la créance de la banque serait réduite à néant ou très largement limitée après compensation avec les dommages et intérêts qu’ils avaient vocation à percevoir dans le cadre de cette action en responsabilité.

 

Cette approche était pertinente.

 

Cela était loin d’être incohérent puisque Monsieur T avait rencontré les plus grandes difficultés pour faire valoir son invalidité pourtant clairement acquise.

 

Pour autant la réponse de la Cour d'Appel démontre la force exécutoire attachée à l’acte authentique du notaire qui fait que, quand bien même le débiteur saisirait le juge, la décision rendue ne viendrait pas forcément prévaloir sur le caractère exécutoire de l’acte authentique.

 

Ce qui est un comble.

 

Dans cette décision, la Cour d'Appel considère que si la demande de sursis à statuer est recevable, elle doit être néanmoins jugée mal fondée, les époux T ne pouvant pas prétendre à compenser leur dette envers la banque avec une créance purement éventuelle à l’encontre de cette dernière dont le principe et le montant ne sera fixé et déterminé que dans l’hypothèse du succès de leur action en responsabilité.

 

Cela signifie qu’importe les moyens de défense du débiteur, l’action en responsabilité qu’il peut engager contre la banque et ses chances du succès, dans la mesure où la banque se prévaut d’un titre notarié, il n’est plus possible par la suite d’envisager de stopper la saisie immobiliere.

 

Cela est parfaitement regrettable et vivement critiquable car cela vient vider de sa substance toute action en responsabilité contre la banque.

 

Vider le contentieux pour vider le contentieux n’équivaut il finalement pas à un déni de justice ?

 

Il est bien évident que si entre temps, le débiteur perd son bien, il sera moins bien fondé à maintenir son action.

 

Fort heureusement, certains magistrats considèrent que l’action en responsabilité contre la banque a vocation à freiner la procédure de saisie immobilière et permet de préserver les droits du débiteur.

 

Quant à la qualification du prêt, question essentielle de la décision en étude, la Cour d'Appel procéde à une analyse in concreto.

 

En effet, la Cour considère qu’il est constant que le prêt litigieux de 300 000 euros a été accepté grace aux garanties personnelles mobilisées par les époux T (hypothèque conventionnelle, nantissement d’un contrat d’assurance-vie, caution solidaire), la situation professionnelle de Monsieur T ne lui permettant pas d’obtenir un prêt professionnel, ainsi qu’en atteste le refus qui lui avait été opposé par la banque en mai 2010 sur le fondement de l’absence de capitaux propres, des pertes et une cotation Banque de France fortement dégradée de l’entreprise de l’interressé.

 

A bien y comprendre, tout laisse à penser que la qualification du prêt va dépendre de la garantie prise à ce seul stade.

 

Concernant les conditions particulières du contrat de prêt litigieux, la Cour souligne que celles-ci font référence à un prêt consommation, à un prêt à la consommation, la fiche d’information précontractuelle mentionnant qu’il s’agissait d’un prêt consommation destiné à financer tout type de dépenses personnelles.

 

Pour la Cour, l’acte notarié du 25 novembre 2010 reprend lui-même la qualification de prêt consommation et de prêt à la consommation.

 

Le contrat de prêt qui se référe aux dispositions du Code de la Consommation en matière des contrats conclus à distance, précise à la rubrique « objet du financement » que les fonds sont destinés aux besoins des ménages et au besoin de trésorerie.

 

Dès lors, pour la Cour, ce contrat de prêt qui n’a pas été conclu à distance et qui ne reléve donc pas des disposition de l’article L 121-20-8 du Code de la Consommation mentionné page 1 dudit contrat était donc destiné à financer des dépenses personnelles et familiales.

 

Il s’agit donc bien d’un prêt consommation.

 

Pour la Cour d’appel, tant bien meme le prêt en litige a pu servir à solder quelques dettes professionnelles de Monsieur T, (cotisations URSSAF, taxe professionnelle), il ne peut pas être qualifié de prêt professionnel, la destination professionnelle d’un prêt ne se présumant pas et devant impérativement résulter d’une disposition expresse, inexistance en l’espèce.

 

La Cour d'Appel considère que c’est à la faveur d’une inexacte appréciation des faits de l’espèce que le premier juge a cru devoir retenir la nature professionnelle du prêt litigieux sur le fondement de simples supputations telles que le fait que le conseiller bancaire était le cousin de Monsieur T ou encore le montant du prêt.

 

Elle considère également que le juge s’est livré à une lecture erronée du courrier du mandataire liquidateur de Monsieur T en indiquant que ce dernier rappelait que la dette était de nature professionnelle.

 

En effet, il convient désormais de s’interesser à l’implication du droit de l’entreprise en difficulté dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

 

Que dans un courrier du 20 novembre 2017, le mandataire liquidateur déclairait ne pas reprendre la procédure de saisie immobilière initiée à l’encontre de Monsieur T compte tenu de l’insaisissabilité de l’immeuble abritant la résidence principale du débiteur, principe d’insaisissabilité opposable aux créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de celui-ci.

 

Que ce faisant, il ne s’est pas prononcé sur la nature du prêt litigieux (personnelle ou professionnelle) mais a seulement rappelé que les créanciers professionnels ne pouvaient pas poursuivre la vente de la résidence principale de leur débiteur en liquidation judiciaire.

 

La Cour considère que selon l’article L 622-21 du Code de Commerce, en l’absence d’adjudicaion définitive de l’immeuble avant le jugement d’ouverture de redressement  judiciaire du saisi, la procédure de saisie immobilière en cours à son encontre est arrêtée.

 

 

 

Dès lors, c’est bon à droit que le jugement déféré a constaté l’arrêt de la procédure de saisie immobilière compte tenu de la liquidation judiciaire de Monsieur T prononcée le 11 octobre 2017 dans la mesure où le mandataire liquidateur n’a pas demandé à reprendre le cours de la procédure de saisie immobilière.

 

Pour autant, dans la mesure où nous sommes en présence d’un prêt personnel, la banque est parfaitement fondé à reprendre cette procédure de saisie immobilière avec l’autorisation du juge commissaire dès lors que sa créance n’est pas née à l’occasion de l’activité professionnelle de Monsieur T, la nature professionnelle du prêt de 300 000 euros n’ étant aucunement établie et qu’il ne peut se voir opposer le principe d’insaisissabilité attaché à la résidence habituelle du saisi.

 

C’est décision est donc particulierement étonnante car la Cour d'Appel considère qu’il ne s’agit pas d’un prêt professionnel, et qu’en présence d’un prêt consommation, le débiteur ne peut bénéficier de l’insaisissabilité de son domicile qui ne protège que contre des créances  à caractère professionnel, de telle sorte que le bien de Monsieur T peut etre vendu.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

 

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