Prêt en devises étrangères et responsabilité de la banque

Publié le 03/04/2014 Vu 3 337 fois 0
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La banque est-elle tenue à une obligation de conseil et de mise en garde renforcée en présence d’un prêt « complexe » en devises étrangères?

La banque est-elle tenue à une obligation de conseil et de mise en garde renforcée en présence d’un prêt

Prêt en devises étrangères et responsabilité de la banque

Il convient de s’intéresser à un jugement qui a été rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris, 9ème Chambre, 1ère Section, 23/01/2012, N° 10/08831, ainsi qu’à la recommandation N° 2012-R-01 du 6/04/2012 de l’A.C.P. (Autorité de Contrôle Prudentielle) sur la commercialisation des prêts au particuliers comportant un risque de change.
Un certain nombre de clients d’un établissement bancaire parisien fort connu, soit près de cent quarante plaignants, ont engagé une plainte en novembre 2011 pour pratique commerciale déloyale et trompeuse au titre d’un prêt bancaire fait par cet établissement, non pas en euros, mais en francs suisses.
Ces derniers avaient alors engagé la responsabilité pénale de l’établissement bancaire.
Cette procédure qui semble d’ailleurs se heurter aux silences du Procureur de la République n’enlèvent rien au contentieux civil qui peut exister sur la question.
Il convient tout d’abord de rappeler qu’un prêt dont la monnaie de compte est une devise, une monnaie étrangère, n’est rien d’autre qu’un prêt dont la monnaie de paiement est indexée sur la monnaie de compte, ce qui est reconnu comme parfaitement valable et légal par la jurisprudence, (c.f. notamment Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 11/10/2005, N° 03-17.367).
Dès lors, il convient de s’interroger afin de savoir si l’établissement bancaire est tenu à une obligation de conseil et de mise en garde accentuée, vu la complexité du prêt proposé et des risques liés au taux de change.
Le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 23 janvier 2012, précise et laisse à penser que la banque n’a pas commis de faute dès lors que les informations contenues dans l’offre de crédit, dont elle démontre qu’elles ont été reçues et acceptées par l’emprunteur, permettent de retenir que ce dernier a été suffisamment informé des risques relatifs au change.
Cependant, cette décision est particulièrement contestable.
Il est en effet loisible de considérer que le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est retranché derrière le fait que l’emprunteur, dans cette affaire, était lui-même un professionnel de la finance.
Le placement, proposé dans le cadre d’un achat immobilier à vocation locative et en l’état de futur achèvement, devait constituer une opération de défiscalisation, laquelle avait été proposée par un organisme indépendant et l’opération était financée par ladite banque parisienne.
Toutefois, il s’avère, qu’à bien des égards, les prévisionnels de loyer ne sont pas au rendez-vous et, si à cela s’ajoutent les charges de copropriété récupérables ainsi que les frais de gestion, le montant de loyer est loin de couvrir le montant de ces frais et d’autant moins les échéances du prêt à régler.
Ces échéances du prêt sont d’autant plus importantes que celles-ci sont majorées de frais de changes mensuels entre l’Euro et le Franc Suisse.
Un tel montage financier peut paraître curieux lorsque l’emprunteur est de nationalité française, vivant sur le territoire national, achetant un bien également situé sur le territoire national et empruntant à une banque française, parisienne de surcroît, pour se retrouver avec un change en monnaie suisse.
Il y a en effet matière à considérer que le devoir de conseil relatif au risque d’endettement doit être renforcé dans la mesure où le prêt est un prêt complexe, basé sur une devise étrangère et avec un taux variable.
C’est dans ces circonstances et alors même que ce contentieux a vocation à se développer, que l’Autorité de Contrôle Prudentiel a publié une recommandation définissant les bonnes pratiques en matière de commercialisation de ces prêts en devises comportant un risque de change lequel n’a absolument pas été appréhendé par l’emprunteuse non avertie, laquelle n’a absolument pas été sensibilisée en aucune manière sur ce sujet spécifique.
Il y a lieu de revenir sur la recommandation de l’ACP n°2012-R-01 du 6 avril 2012 sur la commercialisation auprès des particuliers de prêts comportant un risque de change.
Cette Autorité relève que l’analyse des pratiques de commercialisation des crédits comportant un risque de change a permis de constater que ce risque pouvait être mal appréhendé par les emprunteurs. « Sa recommandation » concerne les crédits proposés aux particuliers candidats à l’emprunt, dès lors qu’un taux de change est appliqué lors de l’octroi du prêt et/ou au cours de son exécution. Ces crédits (à taux fixe ou variable), peuvent être : des crédits à la consommation régis par les articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, des crédits immobiliers régis par les articles L. 312-1 et suivants du Code de la consommation ; ou des prêts encadrés par les dispositions du Code civil.
« Conformément aux dispositions des articles L. 612-1, point II 3°, et L. 612-29-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier, l’ACP recommande aux établissements de crédit les bonnes pratiques à suivre sur la sensibilisation des conseillers en contact avec la clientèle, sur les communications à caractère publicitaire, sur les explications fournies au client avant la conclusion du prêt et sur l’information annuelle de l’emprunteur. »
1. Concernant plus précisément les explications fournies au client avant la conclusion du prêt, la recommandation énonce que « le risque de change étant une caractéristique essentielle du contrat de prêt et compte tenu des effets particuliers qu’il peut avoir sur l’emprunteur, il convient d’expliquer à l’emprunteur, lors de la proposition, le risque de change associé au prêt par la remise d’un document distinct de tout autre. Ce document :
2. avertit clairement l’emprunteur sur le fait que le taux de change peut évoluer, à tout moment, à la hausse ou à la baisse et avoir des conséquences financières importantes sur le coût total du prêt ;
3. décrit le risque de change que l’emprunteur supporte, directement ou indirectement, à chaque étape de l’exécution du contrat, notamment entre la date de signature de l’offre et celle du déblocage total des fonds ;
4. indique les modalités d’accès au taux de change applicable (notamment l’adresse électronique) ainsi que le jour de référence pris en compte pour effectuer cette conversion ;
5. précise la nature des frais éventuellement perçus lors des opérations de change ainsi que leur montant ou les modalités de calcul permettant de le déterminer ;
6. précise si l’offre prévoit ou non la possibilité de convertir le prêt comportant un risque de change vers un prêt en euro et, dans l’hypothèse où cette faculté est prévue, mentionne ses modalités précises ;
7. présente des simulations, établies en fonction des caractéristiques de fonctionnement du prêt, visant à illustrer les impacts d’une évolution du taux de change dès qu’il peut survenir.
Ces simulations décrivent, de manière pédagogique, les impacts sur les mensualités, la durée du prêt, les intérêts à la charge de l’emprunteur, et le capital restant à rembourser en appliquant :
– une variation défavorable du taux de change de 10 % par rapport à celui constaté le jour de la proposition ;
– une variation défavorable du taux de change de 20 % par rapport à celui constaté le jour de la proposition ;
Ces simulations ne constituent pas un engagement du prêteur, à l’égard de l’emprunteur, quant à l’évolution effective du taux de change pendant le prêt et à son impact sur les mensualités, la durée du prêt et les conséquences financières supportées par l’emprunteur. Ces simulations n’engagent pas le prêteur à faire une offre de prêt.
La recommandation ajoute que « dans le cas où une assurance emprunteur est exigée ou demandée, (il convient) d’alerter l’emprunteur sur la nécessité de vérifier si la souscription d’une assurance emprunteur ou la mise en œuvre éventuelle des garanties l’expose à un risque de change (et) de fournir à l’emprunteur les éléments lui permettant de déterminer si le prêt comportant un risque de change est adapté à ses besoins et à sa situation financière. »
La recommandation entre en vigueur à compter du 1er octobre 2012.
Toujours est-il qu’il n’en demeure pas moins qu’il appartient à l’établissement bancaire de justifier avoir informé et conseillé son client sur l’ensemble des points par ailleurs évoqués dans la recommandation susvisée.
En effet, il appartient à l’établissement financier de conseiller et d’informer l’intéressé quant au risque né du taux de change.
Il est bien évident que dans la mesure où la monnaie de compte est en francs suisses et la monnaie de paiement en euros, le taux de change a nécessairement une incidence sur le montant remboursé effectivement en francs suisses à chaque échéance.

Par voie de conséquence, il pèse bien à mon sens sur l’établissement bancaire une obligation spécifique d’information, de conseil et de mise en garde sur la question tout aussi spécifique du taux de change, venant grever les échéances d’un cout de frais de change tout au long de la durée du prêt.

Il est à mon sens bien évident que l’établissement bancaire engage sa responsabilité au titre des obligations de conseil et de mise en garde renforcées qui pèsent sur lui, vu la complexité du prêt, en devises étrangères, qu’il est particulièrement difficile pour l’emprunteur d’appréhender.
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