Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en avril 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation et qui vient rappeler que l’administrateur judiciaire, fût-il désigné par le Tribunal de commerce afin d’assister et d’accompagner le dirigeant d’une entreprise en redressement judiciaire, expose sa responsabilité comme tout un chacun.
Cette jurisprudence vient effectivement considérer que dans un cas particulier, que nous allons analyser dans la présente étude, la responsabilité de l’administrateur judiciaire n’est pas nécessairement engagée.
Ce qui nous amènera également à une analyse a contrario afin de cristalliser justement la responsabilité de l’administrateur judiciaire,
Dans cette affaire, la Haute Juridiction considère qu’en retenant la responsabilité de l’administrateur judiciaire, après avoir retenu qu’à la date de l’exercice de l’option, la trésorerie était suffisante et que l’administrateur n’avait donc pas commis de faute en continuant les contrats, et sans rechercher, dès lors, s’il avait ensuite laissé les contrats litigieux se poursuivre en sachant que les factures ne pourraient plus être réglées, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L 621-28 du Code du commerce dans sa rédaction antérieure à la Loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.
Pour mieux appréhender la teneur de cet attendu relativement indigeste il convient de revenir sur les faits de l’espèce,
Dans cette affaire, les sociétés du groupe V, dites débitrices, ont été mises en redressement judiciaire le 14 février 2002.
Maître X avait été désigné administrateur judiciaire avec une mission d’assistance pour tous les actes de gestion.
Interrogé le 25 février 2002 par la société A.S.F. sur la poursuite des contrats d’abonnement à la carte, permettant de différer les règlements des péages d’autoroutes et de bénéficier de remises, l’administrateur judiciaire avait répondu par lettre du 6 mars 2002 qu’il entendait poursuivre les contrats.
Par la suite, le 9 avril 2002, soit peu de temps après, les débitrices avaient fait l’objet de plan de redressement par voie de cession.
Pour autant, invoquant le défaut de règlement de ces créances nées après le jugement d’ouverture, la société A.F.S, avait alors assigné l’administrateur judiciaire, Maître X, en responsabilité professionnelle.
La jurisprudence vient à rappeler les responsabilités de l’administrateur dans un cadre très spécifique, relatif à la décision que doivent prendre les organes de la procédure afin de déterminer si, oui ou non, il y a matière à poursuivre un contrat.
En effet, en présence d’un administrateur judiciaire, la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours est réservée à ce dernier.
L’article L 622-17, 2ème, du Code du commerce, accorde au seul administrateur judiciaire, quelle que soit sa mission, la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.
L’intervention s’explique notamment par la nécessité d’amener le cocontractant récalcitrant à exécuter son contrat.
Dès lors, l’administrateur judiciaire a donc vocation à opter, c’est-à-dire à effectuer un choix.
Cette faculté est cette option que doit prendre l’administrateur.
Ainsi, la faculté de l’article L 622-17, 2ème, du Code du commerce est une des dernières prérogatives exclusives de l’administrateur en sauvegarde.
Cela peut d’ailleurs sembler curieux, dans la mesure ou les derniers textes et réformes en droit de l’entreprise en difficulté avaient notamment pour objectif de faire participer le chef d’entreprise et à privilégier les prérogatives du dirigeant qui conserve la direction et la main de son entreprise,
Or, dans ce cas spécifique, seul l’administrateur a une prérogative exclusive pour opter sur la poursuite d’un contrat, même s’il est bien évident, qu’en pratique, ce droit d’option est envisagé au plus près du dirigeant, dont l’avis est tout naturellement sollicité.
Il est également possible pour l’administrateur, non pas d’attendre de se faire mettre en demeure pour opter sur une poursuite du contrat, mais de prendre une décision spontanée, dans laquelle il va manifester la volonté de poursuivre le contrat.
La jurisprudence rappelle, (cf. notamment Cour de Cassation, Chambre commerciale, en date du 20 juin 2000), que l’administrateur judiciaire peut exprimer à tout moment sa volonté, pourvu seulement que le contrat soit toujours en cours.
Cette décision peut d’ailleurs résulter du seul comportement de l’administrateur qui va clairement manifester sa volonté en poursuivant l’exécution du contrat,
C’est donc à l’administrateur d’apprécier l’opportunité de poursuivre tel ou tel contrat, en tenant compte à la fois de son utilité au sein de la procédure collective, de son utilité dans la perspective de réorganisation de l’entreprise et, également, de son utilité dans le cadre de la présentation du plan de sauvegarde et de redressement, laquelle devra être formulée avant la fin de la période d’observation.
Il est bien évident que, dans pareil cas, l’administrateur engagerait sa responsabilité à bien des égards,
En premier lieu envers le co-contractant, mais aussi envers le débiteur, et enfin, par ricochet à l’ensemble des créanciers de la procédure dont l’administrateur judiciaire aggraverait le passif,
La responsabilité est effectivement fondée sur la faute et il convient notamment de rappeler une jurisprudence du 27 novembre 2001, qui peut paraître un peu ancienne mais qui est toujours d’actualité,
Dans cette jurisprudence de 2001, l’administrateur n’avait pas commis de faute car le maintien dans le bâtiment était nécessaire à la poursuite de l’entreprise, alors même que l’administrateur n’en avait nullement les moyens, ce qui pouvait effectivement paraître fort curieux et engager sa responsabilité.
Cependant, la Cour de Cassation n’avait pas, à cette époque-là, envisagé de retenir la responsabilité au motif pris que la décision prise de maintenir l’entreprise dans le bâtiment permettait justement à l’entreprise de poursuivre son activité.
Aussi, la responsabilité de l’administrateur en cas de poursuite des contrats en cours et de conclusion de contrats, semble faire l’objet d’une analyse au cas par cas par la jurisprudence.
En effet, s’il est vrai que d’un côté l’absence de poursuite d’un contrat en cours peut être source de responsabilité, il est bien évident qu’inversement, opter pour la poursuite d’un contrat peut être tout autant source de responsabilité car la continuation du contrat va immanquablement imposer le paiement de la contrepartie attendue.
L’article L 621-28 du Code du commerce, ainsi que l’article L 622-13, alinéa 2, tels qu’issus de la loi de sauvegarde des entreprises, rappellent à l’administrateur que ce dernier a l’obligation de s'assurer qu'il dispose des fonds nécessaires au paiement des contrats continués, au vu de documents provisionnels dont il dispose et ce au moment où il opte pour la continuation du contrat.
Dès lors, il lui appartient de procéder aux vérifications d’usage et, à défaut, ce dernier engage sa responsabilité.
Cela impose à l’administrateur un devoir naturel de prudence, un devoir de vérification et d’information, afin de justement s’assurer de la faisabilité du paiement de la contrepartie attendue par le cocontractant.
La jurisprudence est foisonnante en la question et assez protectrice d’ailleurs de l’administrateur,
Notamment, la jurisprudence précise que la responsabilité de l’administrateur ne s’appréciant qu’à la date à laquelle il a opté pour la continuation du contrat, sa responsabilité est exclue si au moment de l’option, la situation de l’entreprise autorisait la poursuite du contrat.
Car à bien y comprendre, il suffirait que l’administrateur puisse escompter qu’il disposerait de fonds nécessaire à la poursuite de l’activité, pour s’exonérer de toute responsabilité,
Il m’apparait difficile d’être aussi affirmatif et cette approche juridique doit être nuancée,
La jurisprudence laisse donc à penser que l’administrateur judiciaire engage sa responsabilité lorsqu’il opte pour la continuation du contrat et, plus particulièrement, si ce dernier ne s’est pas assuré de disposer des fonds suffisants à ce moment-là.
Cela me semble de bon sens juridique et de bon sens économique,
L’administrateur judiciaire ne peut s’exonérer de sa responsabilité en laissant à penser qu’il ne pouvait savoir ou ignorait sous quels délais l’entreprise pouvait se retrouver dans l’impossibilité de payer le contrat en cours.
Il appartient à l’administrateur de rechercher si à la date de la décision de poursuite du contrat de fourniture, ce dernier avait pris soin de s’assurer que la trésorerie de l’entreprise permettait le paiement du cocontractant, fût-ce dans une période raisonnable.
La réponse est claire, (cf. Cour de Cassation, Chambre commerciale, 30 juin 2009).
Ainsi, l’administrateur ne peut s’exonérer de sa responsabilité au motif pris que l’option a été déterminée par le fait que la poursuite du contrat était absolument indispensable à la poursuite de l’activité de l’entreprise car il est bien évident que s’il ne dispose pas de fonds suffisants, il ne peut valablement opter sur la continuation.
Il se doit également, en termes de prévisibilité et de visibilité, de déterminer la prévisibilité financière du paiement des contrats en question.
De fait, l’administrateur se retrouve face à une double obligation, tantôt négative, tantôt positive.
La première, négative, est de ne pas opter pour la poursuite d’un contrat si ce dernier est persuadé qu’il ne peut faire face à la contrepartie financière.
L’obligation positive est d’opter pour la poursuite du contrat si celui-ci est effectivement indispensable à la poursuite d’activité mais à la seule et unique condition que ce même administrateur judiciaire puisse faire face dans un délai raisonnable, et suivant un prévisionnel tout aussi raisonnable, au paiement de la créance en question.
Pour autant, la prévisibilité du paiement du contrat en cours reste malgré tout aléatoire et la jurisprudence vient donc cantonner cette responsabilité puisque celle-ci considère que, si au jour de l’option la situation de l’entreprise autorise une poursuite du contrat, le non-paiement de certaines sommes au titre du contrat continué, par principe, ne sera pas fautif.
Ceci vaut à moins que cette situation d’impayé perdure et que l’administrateur, qui doit alors mettre fin au contrat, omette de le faire et aggrave la situation du passif postérieur.
A l’égard du cocontractant, l’administrateur engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, puisque, suivant ce texte, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Toutefois, cette responsabilité ne peut être engagée qu’à charge pour celui qui demande réparation d’établir une faute à l’origine de son préjudice.
S’agissant plus particulièrement de la faute de l’administrateur judiciaire, la prestation doit être faite au regard des pouvoirs qui lui sont confiés dans la procédure de redressement judiciaire.
Dans le cadre de l’affaire commentée, la société A.S.F. avait reproché à Maître X deux fautes,
L’une pour avoir décidé la poursuite des contrats, alors que la situation du groupe V était irrémédiablement compromise et, l’autre pour avoir été négligeant dans le suivi des paiements des sommes dues par les sociétés en question au groupe A.S.F.
La société A.S.F. soutient que l’administrateur aurait dû être en mesure aux termes des contrats de payer toutes les échéances.
Dès lors, Maître X devait s’assurer qu’à la date de l’obtention du contrat, qui d’ailleurs correspond à la date de présentation du plan de redressement, les sociétés V étaient en mesure de régler les factures dont les conditions étaient initialement prévues.
Un vrai débat s’engage sur le terrain probatoire puisque la société A.S.F. argue quant à elle de documents comptables qui, selon elles, démontraient que la situation du groupe était irrémédiablement compromise, de telle sorte que l’administrateur ne pouvait opter valablement pour la poursuite du contrat.
Inversement, l’administrateur judiciaire, quant à lui, démontre que si les résultats de la société du groupe V étaient déficitaires pour le premier trimestre 2002, la situation n’était pas irrémédiablement compromise puisqu’il semblerait, à la lueur des pièces communiquées au débat, qu’il existait depuis février 2002 un excédent de trésorerie de plus d’un million d’euros, lequel permettait de couvrir le déficit d’exploitation et autorisait des perspectives de redressement.
A bien y comprendre, à la lueur de l’analyse des éléments comptables, Maître X n’aurait pas forcément commis de faute en décidant de poursuivre les contrats en question.
Pour autant, il y a également lieu de s’interroger pour savoir si ce dernier n’aurait pas commis une négligence fautive dans la surveillance des paiements des sommes dues au titre des contrats en question car il aurait dû s’apercevoir du non-règlement des factures à leur échéance et aurait dû tantôt s’en inquiéter, tantôt en tirer toutes conséquences pour mettre fin à l’hémorragie,
De toute évidence, l’administrateur se retranche sur la mission qui lui a été donnée par le tribunal de commerce en question, laquelle était une mission d’assistance de l’entreprise en redressement judiciaire pour tous les actes de gestion.
Or, comme l’a d’ailleurs rappelé la Cour de Cassation, l’administrateur judiciaire doit veiller à ce que la situation de la trésorerie permette raisonnablement de considérer que le règlement interviendra normalement.
Dès lors, et en l’espèce, il avait été décidé de continuer le contrat en question dans les conditions initialement prévues, en sachant que la société A.S.F. devait établir le relevé des trajets effectués le mois précédent, facturer les sommes dues et mettre en recouvrement tous les jours qui suivaient.
En l’occurrence, Maître X, administrateur judiciaire, était informé des dates d’échéance de chacun des contrats, ainsi que des moyens dus au titre desdits contrats en question.
Il entrait donc dans sa mission de s’assurer que la société qu’il assistait provisionnait bien les sommes suffisantes pour satisfaire au règlement des factures à venir et, à défaut, en cas de trésorerie insuffisante, il lui appartenait de dénoncer les contrats dans les meilleurs délais pour empêcher l’accumulation des dettes et les non-paiements qui ont conduit à créer le préjudice économique et financier de la société co-contractante.
L’administrateur rappelle quant à lui qu’il n’est tenu qu’à une simple obligation de moyen, que dans le cadre de sa mission d’assistance, celui-ci n’aurait commis aucune faute en poursuivant les contrats litigieux dans la mesure où il avait procédé aux vérifications d’usage laissant à penser que l’entreprise débitrice disposait d’une trésorerie suffisante pour faire face aux sommes dues au titre de la poursuite des contrats conclus lors de la signature du contrat.
La Cour de Cassation motive sa décision de manière subtile pour dégager la responsabilité de l’administrateur et considère que si la faute causale de l’administrateur judiciaire engage sa responsabilité, pour autant, le préjudice du co-contractant découlait du seul fait de l’absence de règlement des échéances des créances postérieures à l’ouverture de la procédure collective et qu’il n’était pas établi que l’administrateur judiciaire aurait pu faire en sorte de payer la société A.S.F. s’il n’avait pas commis de faute.
Ainsi l’administrateur judiciaire n’avait pas commis de faute au moment de l’exercice de l’option.
Plus subtilement encore, la Cour de Cassation considère que si l’administrateur judiciaire pouvait voir sa responsabilité engagée au motif pris qu’il était dans l’obligation de résilier les contrats en cas de défaut de trésorerie, cela ne privait pas le co-contractant de son devoir de résilier le contrat lorsqu’il n’était pas exécuté.
Le raisonnement peut paraître sibyllin en retenant que c’est la faute de la victime qui exonère de sa responsabilité l’auteur du dommage, considérant ainsi que l’administrateur judiciaire ne pouvait se voir reproché par la société co-contractante une quelconque responsabilité, alors que le cocontractant avait également la maîtrise de la résiliation du contrat afin de ne pas aggraver le passif postérieur au redressement judiciaire.
Cela peut sembler curieux mais, en tout cas, l’attendu de principe est extrêmement clair.
Ainsi, la Cour de Cassation considère que pour condamner l’administrateur judiciaire au paiement de dommages et intérêts, l’arrêt de la Cour d’Appel retient que dès lors que Maître X avait décidé de continuer les contrats dans les conditions initialement prévues, il entrait dans sa mission de s’assurer que les sociétés qu’il assistait provisionnaient bien les sommes pour satisfaire au règlement des factures à venir et, à défaut, en cas de trésorerie insuffisante, de dénoncer les contrats dans les meilleurs délais pour empêcher l’accumulation de dettes et les non-paiements qui ont conduit à un préjudice de la société co-contractante.
Pour autant, en se déterminant ainsi, après avoir retenu qu’à la date de l’exercice de l’option, la trésorerie était suffisante et que l’administrateur n’avais pas commis de faute en continuant les abonnements, et sans rechercher dès lors, si l’administrateur avait ensuite laissé les contrats litigieux se poursuivre en sachant que les factures ne pourraient plus être réglées, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
De telle sorte que la Cour de Cassation casse et annule la décision visée et considère que l’administrateur judiciaire n’engage pas sa responsabilité dans le cadre de la décision qu’il a prise de poursuivre le contrat en cours.
Si cet exemple vient écarter la responsabilité de l’administrateur judiciaire dans ce cas précis, il convient de rappeler que ce dernier engage quand même sa responsabilité et que par conséquent, il appartient au co-contractant, tout comme au chef d’entreprise débiteur, d’être extrêmement vigilant sur les obligations de l’administrateur judiciaire, lesquelles tournent autour de plusieurs axes.
Le premier axe est celui du droit d’option, car celui-ci a effectivement un pouvoir d’opter sur le contrat, mais également de ne pas opter lorsque la trésorerie est insuffisante pour poursuivre le contrat en question.
En deuxième axe l’administrateur engage sa responsabilité lorsqu’en cas d’impayé, il a la possibilité de mettre fin au contrat pour stopper l’hémorragie financière aggravant la situation du passif postérieur au redressement judiciaire, et qu’il ne le fait pas.
Par voie de conséquence, même si la jurisprudence est malgré tout assez « relache » à l’encontre de l’administrateur judiciaire, qui bénéficie d’une marge de manœuvre juridique et judiciaire assez franche pour voir sa responsabilité limitée, il n’en demeure pas moins que cette jurisprudence doit justement inciter co-contractant et chef d’entreprise débiteur en sauvegarde ou en redressement judiciaire, à être particulièrement vigilants sur les options qui doivent être prises.
Etant précisé que si le co-contractant peut engager la responsabilité de l’administrateur judiciaire, il n’en demeure pas moins que le dirigeant peut également le faire, si l’administrateur, qui a un pouvoir exclusif en termes d’option du contrat, prend des décisions qui sont contraires à l’intérêt de l’entreprise, du co-contractant, voire du dirigeant lui-même, bien souvent caution par ailleurs.