Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue le 14 juin 2023, par la Cour de cassation et qui vient aborder une nouvelle fois la question de la responsabilité de l’avocat et, plus particulièrement, de la question relative au point de départ du délai de prescription, sujet que j’avais déjà abordé dans différentes chroniques de jurisprudence par le passé.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, à l’issue du prononcé du divorce des consorts I, un jugement du 26 janvier 2012 avait statué sur les opérations de liquidation de leur régime matrimonial.
Le 26 mars 2012, Monsieur I, représenté par son avocat Maître G, avait interjeté appel.
Malheureusement, par la suite et par ordonnance du 09 octobre 2012, le Conseiller de la mise en état avait constaté la caducité de la déclaration d’appel en date du 26 juin 2012.
C’est dans ces circonstances que, bien plus tard, le 16 octobre 2017, Monsieur I a assigné en responsabilité civile son avocat qui lui a opposé, et on peut le comprendre, la prescription de son action qui est classiquement encadré dans un délai de cinq ans.
En effet, il convient de rappeler au visa de l’article 2225 du Code civil que l’action en responsabilité dirigée contre des personnes ayant assistée ou représentée les parties en justice soit prescrite par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
Il résulte, en outre, de l’article 412 du Code de procédure civile que la mission d’assistance en justice emporte pour l’avocat l’obligation d’informer son client sur les voies de recours existantes contre les décisions rendues à l’encontre de celui-ci.
Que disent les règles déontologiques ?
Enfin, au visa de l’article 13 du Décret N°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologies de la profession d’avocat, l’avocat doit conduire jusqu’à son terme l’affaire dont il est chargé sauf si son client l’a déchargé ou sauf s’il décide de ne pas poursuivre la mission.
La Cour de cassation, dans cette décision et sur la base d’un moyen relevé d’office, rappelle en tant que de besoin que la haute juridiction a déjà jugée, par le passé, que l’action en responsabilité contre un avocat se prescrit à compter du prononcé de la décision juridictionnelle obtenue. Cass 1ère civ, 14 janvier 2016, n°14-23.200,
Un point de départ unique de la precription ?
Si cette jurisprudence permet de fixer un point de départ unique à la prescription de l’action en responsabilité formée contre un avocat, la haute juridiction rappelle qu’elle se concilie toutefois difficilement avec d’autres dispositions tel que celles des deux derniers textes précités.
En effet, selon la Cour de cassation, il y a lieu d’en déduire désormais de la combinaison de ces textes que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminée l’Instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client.
À moins que les relations entre le client et son avocat aient cessées avant cette date.
Or, pour déclarer irrecevable l’action de Monsieur I, l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen a retenu que la mission de l’avocat avait pris fin au jour de la décision constatant la caducité de l’appel.
Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.
En effet, elle souligne tout d’abord que Monsieur I avait mis fin à sa collaboration avec l’avocat par lettre du 23 octobre 2012, de sorte que la prescription avait commencé à courir à compter de cette date, précédent ainsi celle de l’expiration du délai de déféré.
De telle sorte que lorsque Monsieur I engage son action en responsabilité le 16 octobre 2017 la prescription n’était pas acquise.
De telle sorte que Monsieur I était recevable à engager l’action en responsabilité contre son avocat.
L’expiration des délais de recours
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient apporter une précision importante sur le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité professionnelle de l’avocat.
Soit, effectivement le client dessaisi son conseil.
Soit, c’est l’avocat qui se décharge de son dossier pour des raisons qui lui sont propres.
Et, à ce moment-là, le point de départ de la prescription démarre.
Mais dans l’hypothèse malgré tout fréquente, ou, ni le client ne décharge son avocat, ni l’avocat ne décide de se dessaisir de son dossier et de mettre fin à sa mission, le point de départ de la prescription court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminée l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle permet, d’un côté comme de l’autre, tantôt au client de savoir que si celui-ci n’a pas déchargé son conseil ou que celui-ci ne s’est pas dessaisi lui-même de la gestion de son dossier, le point de départ de la prescription démarre à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminée l’instance.
Ce qui sous-tend également que si l’avocat considère effectivement qu’il y a une perte de confiance dans ses diligences, il sera à ce moment-là important que celui-ci décide de ne plus poursuivre sa mission et renvoi son client vers un autre conseil pour pouvoir poursuivre sa procédure.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,