Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu récemment par la Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, le 12 juillet 2012, et qui aborde la question de la responsabilité du chirurgien concernant la pose de prothèse, tant au titre de la prothèse, qu’au titre de l’obligation d’information qui pèse sur ses épaules.
Il faut d’ailleurs à ce titre rappeler ô combien la Loi évolue à ce sujet, notamment avec la nouvelle lecture que l’on peut faire de l’article L 1142-1-1 du Code de la Santé Publique, consacrant la responsabilité pour faute, tout en ménageant deux exceptions, en cadres d’infection nosocomiale et en cas de défaut d’un produit de santé.
Cet article précise en effet :
Article L1142-1
I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
II. – Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d’un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.
Ces dispositions s’articulent également avec les dispositions de l’article 1386-1 et suivants du Code Civil, relatif à la responsabilité du produit défectueux.
Notamment, l’article 1386-6 du Code civil précise quand à lui :
Article 1386-6
Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante.
Est assimilée à un producteur pour l’application du présent titre toute personne agissant à titre professionnel :
1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;
2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d’une vente, d’une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent titre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement desarticles 1792 à 1792-6 et 1646-1.
L’article 1386-1 et suivants viennent également se juxtaposer avec la responsabilité fixée récemment par la Cour de Justice de l&rsquoEuropéenne, concernant le champ d’application de la directive communautaire relative aux produits défectueux du 21 décembre 2011, C-495/10.
En effet, la directive, quant à elle, prévoit une responsabilité principale du producteur et une responsabilité subsidiaire du fournisseur lorsque le premier n’est pas identifiable.
Si le producteur est par contre identifiable, c’est-à-dire le fabricant du produit ou de la prothèse, la victime devra chercher en priorité sa responsabilité.
Toutefois, s’il convient naturellement de distinguer la responsabilité du fournisseur de celle du fabricant de la prothèse et s’il convient également de distinguer la responsabilité du fabricant de la prothèse de celle du chirurgien qui l’utilise, il n’en demeure pas moins qu’il est par-dessus tout absolument nécessaire de se mettre à la place de ce qui est appelé le simple utilisateur du produit.
Ce dernier étant le simple utilisateur du produit.
La Cour de Justice de l&rsquoEuropéenne précise dans un arrêt du 21 décembre 2011, que le simple utilisateur du produit, à savoir le chirurgien qui va utiliser la prothèse n’a pas vocation à être visé par le texte, de telle sorte que sa responsabilité, à raison du défaut du produit, peut être mis en cause, non pas au titre de la responsabilité découlant de la défectuosité du produit, mais au titre d’un tout autre régime de responsabilité.
En tout premier lieu, il convient de rappeler qu’en matière médicale, la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, a développé ces dernières décennies une responsabilité de plein droit pour les dommages causés par le défaut du matériel utilisé.
Il suffit pour s’en convaincre de citer la jurisprudence judiciaire, Cass. Civ. 1ère, 9 novembre 1999, n° 98-10.010, ou encore la jurisprudence administrative, Conseil d’Etat, 9 juillet 2003, n° 220437 Marzouk.
Les jurisprudences judiciaires et administratives consacrent le fait que les professionnels et établissements de santé sont ainsi débiteurs d’une véritable obligation de résultat concernant la sécurité du matériel utilisé pour les actes d’investigation ou de soin qu’ils prodiguent dans le cadre de leur activité.
La jurisprudence judiciaire et administrative sont naturellement très protectrices des droits des patients et viennent également consacrer un certain nombre d’obligations, qui peuvent peser sur les chirurgiens.
Ces derniers ne peuvent s’exonérer de toute responsabilité en invitant le patient malheureux à se retourner contre le fabricant.
Ceci d’autant plus lorsque village planétaire faisant, ces fabricants ont des sièges sociaux bien éloignés des frontières de notre territoire national.
Toutefois, cela crée une situation paradoxale entre celui qui est le simple utilisateur du produit et celui qui fournit le produit.
La subtilité dans les faits peut sembler anecdotique, cependant, cela a son importance, car il est bien évident que si le médecin fournit la prothèse, comme cela peut être le cas, à bien des égards, pour le chirurgien-dentiste avec sa prothèse, la responsabilité est différente lorsque le professionnel ou l’établissement mis en cause est fournisseur du produit.
Ainsi, lorsqu’il fournit lui-même le produit au patient, il entre dans le champ des dispositions relatives au produit défectueux, conformément notamment à l’article 1386-7 du Code Civil, lequel vise, outre le producteur, le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel.
Le juge européen a eu quant à lui l’occasion de préciser que le régime instauré par sa directive comporte un caractère exclusif (C.J.C.E., 25 avril 2002), de telle sorte que dans pareil cas, il appartiendrait au patient de se retourner contre le fournisseur du produit, à savoir son chirurgien, qui lui a proposé un produit sans parfois même l’informer de ses spécificités techniques, pour voir sa responsabilité engagée, à charge pour lui de se retourner, à travers une action récursoire contre le producteur.
Si la responsabilité pour défaut d’un produit de santé est visée par l’article L 1142-1 du Code de la Santé Publique, elle doit être désormais être distinguée selon que le chirurgien intervienne en qualité de fournisseur ou d’utilisateur du produit de santé.
Il est bien évident que, dans pareil cas, cela ne peut qu’entretenir qu’un bon nombre d’incertitudes quant au champ d’application de ces différents régimes de responsabilité.
Immanquablement, un débat s’ouvrira quant à la qualification de fournisseur d’un produit de santé ou celle d’utilisateur, sachant que dans pareil cas, lorsque le patient se retourne contre le professionnel de santé, ce dernier ne manque pas de tenter de limiter sa responsabilité, voire de tenter même de s’exonérer, puisque le professionnel de santé ne manquera pas de tenter de s’exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité.
A cela, il convient d’ajouter, que la pratique apporte un certain nombre de réponses, puisque de toute évidence, lorsque le produit ou la prothèse est directement facturé(e) au patient par le professionnel ou l’établissement de santé, sa qualité de fournisseur ne fait pas de doute.
Ainsi, la responsabilité du professionnel fournissant la prothèse, peut être engagée en cas de défaut de sécurité de la prothèse, laquelle responsabilité doit être distinguée de la responsabilité de plein droit pour défaut de conformité de la prothèse, laquelle est également reconnue de longue date par la jurisprudence et qui continue de s’appliquer, (cf. Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 1er juillet 2010, n° 09-15.404).
Ainsi dans cet arrêt de la Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, du 12 juillet 2012, le chirurgien, pour résoudre une hernie inguinale, le chirurgien procède à l’ablation de la glande testiculaire, avec la pose d’une prothèse.
Toutefois la prothèse s’est déplacée, de telle sorte que le chirurgien a du poser une seconde.
Or, lors de la seconde intervention, cette deuxième prothèse a éclaté, contraignant ainsi le patient à se faire opérer une troisième fois pour retirer la prothèse.
C’est dans ces circonstances que le patient s’est retourné contre le chirurgien et son assureur, ainsi que contre le fabricant de la prothèse en réparation de son préjudice.
C’est dans ces circonstances que la Cour d’Appel déclare le chirurgien responsable pour manquement à son obligation d’information envers le patient, à l’origine de la perte de chances de moitié des conséquences dommageables de l’intervention initiale, la première intervention, et des interventions subséquentes.
En outre la société fabricante de la prothèse est considérée responsable in solidum de la totalité des conséquences dommageables à la défaillance de la seconde prothèse à l’origine de la rupture.
La Cour de Cassation considère quant à elle, qu’en considération des objectifs et de l’économie de la directive du 25 juillet 1985 et de l’interprétation qu’en a donné la Cour de Justice de l&rsquoEuropéenne, il y a lieu d’énoncer que ladite directive détermine celui qui doit assumer la responsabilité, qu’elle institue parmi les professionnels ayant participé au processus de fabrication et de commercialisation du produit défectueux.
Ainsi la responsabilité du prestataire de services de soins, qui ne peut être assimilée à un distributeur de produits ou de dispositifs médicaux, et dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils sont eux-mêmes les producteurs du champ d’application de la directive.
Par conséquent, ils ne peuvent être recherchés pour faute que lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive.
Pour autant, l’arrêt en question nous amène également sur le deuxième terrain de responsabilité en ce que la responsabilité du chirurgien peut être également engagée sur le terrain de l’obligation d’information.
En effet, il est bien évident que dans la mesure où il appartient au chirurgien de faire bénéficier à son patient des traitements et techniques les plus appropriés dans l’amélioration de son état, au besoin en recourant à des produits médicaux, matériaux et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de son art, il appartient bien évidemment à ce chirurgien de prévenir son patient et de l’informer sur les avantages et inconvénients, les gains et risques de tel ou tel technique ou prothèse.
Ceci d’autant plus que la Cour de Cassation a procédé à un revirement de jurisprudence important, dans un arrêt de sa première chambre civile, en date du 3 juin 2010, dans lequel est précisé que les défauts d’information du patient sur les risques de l’acte médical, étaient, en droit, traditionnellement sanctionnés, sur la base d’une responsabilité contractuelle, de telle sorte que seule la perte de chance de refuser l’acte non-consenti était indemnisée.
Or, par cet arrêt du 3 juin 2010, la première chambre civile opère un complet revirement de jurisprudence, en précisant que la responsabilité du professionnel est désormais dans ce domaine de nature délictuelle, le défaut d’information causant nécessairement au patient un préjudice, de telle sorte que le juge doit obligatoirement indemniser.
Ce devoir d’information est corrélativement du chirurgien et doit également être compris pour le patient comme un véritable droit à l’information, puisque, de toute évidence, il est maintenant acquis que le droit à l’information est un droit fondamental du patient, étroitement lié au respect du corps humain, ce que rappelait déjà en son temps la Cour de Cassation, Chambre des requêtes, du 28 janvier 1942.
Ainsi, le patient ne doit pas oublier que le chirurgien engage sa responsabilité à bien des égards.
Dans l’hypothèse ou celui-ci fournit la prothèse, il engage sa responsabilité en cas de défaut de sécurité de ladite prothèse.
Mais s’il ne fait que la poser, en étant qu’un simple utilisateur du produit au sens de la Loi, il n’en demeure pas moins que celui-ci est tenu d’informer son patient.
Cette obligation d’information s’accompagne immanquablement d’une véritable obligation de s’informer et de se renseigner soi même, de telle sorte qu’il appartient bien au chirurgien de demeurer à la pointe de la science médicale.
C’est en tout cas ce que peut et doit légitiment attendre le patient lorsqu’il confie sa santé et son corps au chirurgien.