Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la cour d’appel d’Aix en Provence, en septembre dernier, et qui vient rappeler les conditions dans lesquelles la banque peut engager sa responsabilité au motif pris de ce que l’assurance de groupe proposée à l’emprunteur avec le prêt immobilier serait inadaptée.
Quels sont les faits :
Dans cette affaire et selon offre acceptée le 25 mars 2009, la banque avait consenti à Monsieur Z, un prêt immobilier d’un montant de 150 000.00€ remboursable en 120 mensualités au taux de 4.29% destiné à financer l’acquisition d’un immeuble réservé à la location.
Monsieur Z avait alors adhéré à l’assurance groupe souscrit par le prêteur auprès de la compagnie d’assurance C.
L’organisme caution était également présent dans ce montage financier.
Cependant, la vie étant ainsi faite, placé en arrêt maladie, Monsieur Z a bénéficié du 05 janvier au 05 novembre 2012 de la suspension des échéances.
Compte tenu de son état de santé, ne lui permettant pas la reprise de son activité et le remboursement des échéances, Monsieur Z a alors sollicité le bénéfice de l’assurance souscrite.
Mais contre toute attente, le 13 août 2012, l’assureur lui a alors opposé un refus de garantie en raison de son âge.
Le refus de garantie par l’assurance
Les conséquences de ce refus sont d’importance.
En effet, en l’absence de prise en charge par la compagnie d’assurance pour motif pris de l’âge de Monsieur Z, la banque a prononcé la déchéance du terme le 16 janvier 2014 et mis en œuvre le cautionnement souscrit par l’organisme caution qui a réglé la somme de 113 752.17€ selon quittance subrogative délivrée le 26 février 2014.
C’est dans ces circonstances que l’organisme caution a assigné devant le tribunal judiciaire, Monsieur Z, aux fins du paiement des sommes qu’elle avait elle-même réglé.
A hauteur de première instance, le tribunal judiciaire avait, dans son jugement du 11 février 2016, condamné Monsieur Z à verser à l’organisme caution la somme de 102 582.00€ correspondant à la dette due à la banque au titre du prêt, déduction faite d’une somme de 41 917.75€ correspondant à l’évaluation du préjudice qui lui a été causé par la banque au titre de son manquement à son obligation de conseil relatif au motif pris de ce que l’assurance groupe était parfaitement inadaptée.
La responsabilité de la banque pour assurance inadaptée
L’appel a été formé par l’organisme caution.
L’organisme caution soutenait que l’action était prescrite.
La question se posait de savoir quel était le point de départ du délai de prescription.
Était-il fixé au jour de la réalisation du dommage, soit au moment du refus de la prise en charge par l’assurance ?
Ou se situe-t-il au jour de la conclusion du contrat dès lors que le préjudice consiste en une perte de chance de ne pas contracter ?
Le point de départ de la prescription
Monsieur Z faisait valoir au contraire, que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où le dommage lui a été révélé, soit le jour du refus de la prise en charge de l’assureur.
Ainsi, en l’application de l’article 2224 du code civil et de l’article L110-4 du code du commerce, les actions personnelles ou immobilières entre commerçant et non commerçant se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit connu aurait dû connaitre les faits lui permettant de solliciter la condamnation de la banque de ce chef.
Ainsi, Monsieur reproche à l’organisme caution subrogé dans les droits et actions de la banque d’avoir manqué à son obligation de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, dommage résultant de ce manquement consistant à une perte de chance de bénéficier d’une prise en charge adapté se réalisant au moment refus de la garantie opposé par l’assureur.
La perte de chance de bénéficier d’une prise en charge adaptée
La date du refus de prise en charge constituant le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par l’emprunteur est recevable.
Il n’est pas discuté que le refus de prise en charge a été notifié par l’assureur à Monsieur Z, le 13 septembre 2012 de telle sorte que l’action engagée par assignation délivrée le 14 août 2014 n’est pas prescrite.
Concernant l’action responsabilité elle-même, l’organisme soutient qu’elle ne peut être recherchée par Monsieur Z pour un manquement de la part de la banque lors de la souscription du prêt.
Qu’elle n’a commis aucun manquement et qu’il appartenait à Monsieur Z de diligenter directement une action responsabilité à l’encontre de la banque.
Elle ajoute par ailleurs que Monsieur Z n’apporte pas la preuve d’un manquement commis par la banque à son obligation de mise en garde,
Elle considère en outre que la remise de la notice d’assurance suffit à donner toutes les informations requises, étant par ailleurs observé que Monsieur Z avait refusé l’option de la perte d’emploi et l’extension de garantie au-delà de 70 ans.
Pour l’organisme caution, Monsieur Z avait eu toutes les informations adéquates.
L’organisme de caution fait valoir que Monsieur Z ne saurait se prévaloir de quelque préjudice que ce soit.
Monsieur Z soutient au contraire que la banque, dans les droits de laquelle est subrogé l’organisme caution, a manqué à son devoir de l’éclairer sur l’adéquation de l’assurance et sur sa situation personnelle.
L’adéquation de l’assurance à la situation personnelle de l’assuré
Il est vrai que les garanties ne couvraient en réalité, compte tenu de son âge au moment de la souscription, que 5 années de remboursement des échéances alors que la durée du prêt était de 10 ans.
Il était tout aussi évident que la seule remise de la notice ne suffisait pas à écarter la responsabilité de la banque, l’organisme de caution ne pouvant pas plus invoquer la qualité supposée de professionnel de Monsieur Z.
Il précise que son préjudice est constitué de sa situation de non-assurance durant près de la moitié de la période de remboursement de son prêt immobilier.
Qu’il s’agît d’un préjudice certain et indemnisable dont l’évaluation doit être fixée au montant des sommes réclamées à l’emprunteur.
Par ailleurs, l’organisme caution exerce son action subrogatoire en application de l’article 2306 du code civil à la suite des deux quittances subrogatives qui lui ont été délivrées le 14 novembre 2013 et le 26 février 2014.
Elle peut donc en sa qualité de subrogée, dans les droits et actions de la banque, se voir opposer par Monsieur Z les exceptions qu’il aurait initialement opposé à la banque.
Il convient de rappeler que la banque souscripteur d’un contrat d’assurance est tenu, à l’égard de son client emprunteur, d’une part d’une obligation d’information sur l’objet même de l’assurance qui s’exécute par la remise de la notice d’assurance et d’autre part d’un devoir d’éclairer au titre duquel elle doit attirer l’attention de l’emprunteur sur les limites et l’intérêt de l’assurance qu’elle propose.
L’obligation d’information sur l’assurance du prêt
Or, en l’espèce, le jour de la souscription du prêt, Monsieur Z, né le 17 septembre 1944, était âgé de 64 ans.
Si au terme de la notice Monsieur Z remplissait bien les conditions tenant à l’âge limite de l’adhésion fixé à 70 ans par le contrat, la notice stipule également que les garanties cessent pour la garantie décès à la date d’échéance de remboursement qui suit le soixante dixième anniversaire, le soixante quinzième anniversaire, pour l’assuré qui a opté pour la garantie décès au-delà de soixante dix ans.
Le Prêt ayant été souscrit pour une durée de 10 ans, Monsieur Z atteignait l’âge de 75 ans au jour de l’échéance final du prêt et dépassait par conséquent de près de 5 années la durée de la couverture maximale de l’assurance souscrite pour la quasi-totalité des garanties souscrites.
Un dépassement d’âge non garanti par l’assurance
Il en résulte que la banque devait, en présence des garanties ne couvrant pas la durée totale de remboursement du prêt, éclairer tout particulièrement Monsieur Z sur cette inadéquation à sa situation personnelle.
La banque qui ne justifie que de l’obligation d’informer sur l’objet de l’assurance par la remise de la notice ne prétend même pas avoir rempli son obligation d’éclairer le candidat à l’assurance sur l’inadéquation de la couverture du contrat d’assurance à sa situation personnelle.
Par ailleurs, il importe de rappeler que la banque n’est pas déchargée de cette obligation en présence d’un emprunteur averti, cette qualité étant indifférente à l’exécution de l’obligation d’éclairer qui lui incombe.
Le préjudice résultant d’un tel manquement et la perte de chance de bénéficier d’une assurance adaptée à la situation de l’emprunteur.
La perte de chance de bénéficier d’une assurance adaptée
Il y a donc lieu, pour la cour d’appel d’Aix en Provence, de relever qu’en l’espèce, Monsieur Z a refusé dès la souscription du contrat l’extension de garantie au titre de l’assurance décès au-delà de 70 ans et l’option de perte d’emploi.
Il n’entendait donc pas bénéficier d’une assurance allant au-delà de la soixante dixième année pour ces deux garanties et pourtant avait ainsi accepté que l’assurance qu’il souscrivait ne couvrirait pas l’intégralité de la durée du prêt pour lesdites garanties.
Même pleinement éclairé sur l’adéquation de l’assurance à sa situation personnelle, la perte de chance de souscrire une assurance adaptée avec des garanties perte totale irréversible d’autonomie et incapacité totale allant jusqu’au soixante quinzième anniversaire de Monsieur Z, vient caractériser le manquement de la banque à son obligation de conseil et de mise en garde au titre de l’assurance groupe.
La responsabilité de la banque au titre de l’assurance groupe
Cette jurisprudence vient conforter deux jurisprudences qui ont été rendues par la Cour de cassation sur ce sujet très précis.
Elles sont venues consacrer la responsabilité de l’établissement bancaire au titre de l’assurance groupe et notamment un premier arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 02 mars 2007 n° 06-15.207 dans lequel la Cour de cassation rappelle, qu’au visa de l’article 1147 du code civil, le banquier qui propose à son client, auquel il consent d’adhérer au contrat d’assurance groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir en cas de survenance de divers risques l’exécution de tous ou parties de ses engagements est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur.
La remise de la notice ne suffisant à satisfaire à cette obligation.
Une notice d’information insuffisante
Or, dans cette affaire de 2007, à l’occasion de prêt consenti par la banque, Monsieur X, exploitant agricole, avait adhéré à des assurances de groupe souscrites par le prêteur auprès d’une compagnie d’assurance, les consorts X estimant que la banque avait manqué à son devoir d’information et de conseil en faisant adhérer le mari à une assurance de groupe inadaptée avait assigné en réparation de préjudice subit du fait de la situation de non-assurance.
La Cour de cassation venant consacrer, dans cette jurisprudence de 2007, la responsabilité de l’établissement bancaire qui a manqué à ses obligations de conseil et d’information en amenant son emprunteur à adhérer à un contrat d’assurance groupe inadapté, notamment en raison de l’âge de ce dernier.
Une deuxième jurisprudence a été également rendu en 2015 par la Cour de cassation, chambre commerciale du 1erdécembre 2015 numéro 14-22134 dans laquelle la Cour de cassation a précisé dans cette jurisprudence que l’assureur groupe n’est pas tenu de déclarer à l’assuré sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur ou à celle de celui qui cautionne ses engagements, cette obligation incombant seul l’établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance.
La responsabilité de la banque souscriptrice du contrat d’assurance
Cette jurisprudence de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est intéressante car elle vient non seulement rappeler que la responsabilité peut être engagée en cas d’inadéquation du contrat d’assurance groupe par l’emprunteur notamment au motif de l’âge, mais vient également rappeler que celui qui est bel et bien responsable est seul l’établissement du crédit souscripteur du contrat d’assurance.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,