Le dirigeant peut il engager la responsabilité du mandataire judiciaire ou du mandataire liquidateur lorsque ce dernier manque à ses obligations dans le cadre des opérations dans la liquidation judiciaire?
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation le 10 mai 2012, sous le numéro 10-28.217, qui est promis à publication et dans lequel il est question du sacro-saint sujet de la responsabilité du mandataire judiciaire.
Dans cette affaire, une société, qui avait pour unique client un Ministère, avait signé un contrat de marché de travaux publics pour la réalisation d’un logiciel. Cette société avait été par la suite mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.
Le juge commissaire en charge de cette procédure avait autorisé la cession de ce logiciel, qui avait vocation à désintéresser, en tout ou en partie, le passif de la liquidation judiciaire.
Ainsi, en vendant ce logiciel, l’ensemble des créanciers auraient pu être payés en tout ou en partie.
Or, il ressort des circonstances de la cause que le mandataire judiciaire a tardé à procéder à cette vente et que celle-ci n’a pas eu lieu rapidement, de telle sorte qu’en définitive la vente n’a pas eu lieu.
Suite à cela, la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actifs.
C’est dans ces circonstances que le dirigeant de la société, qui a considéré, à juste titre, que le mandataire judiciaire engageait sa responsabilité, s’est fait désigné mandataire ad hoc de la société pourtant déjà clôturée, avec pour mission d’engager, pour le compte de la société, une action en responsabilité civile contre le mandataire liquidateur, sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.
Dès lors, tout laisse à penser que l’ancien dirigeant de la société, qui a engagé la responsabilité du mandataire judiciaire qui n’a pas engagé des diligences qui auraient du être normalement effectuées rapidement, ce qui, par là-même, n’a pas permis la vente de l’actif, a vocation à engager cette responsabilité.
Il convient de rappeler que les mandataires de justice sont susceptibles d’engager leur responsabilité civile délictuelle dans des conditions de droit commun. Il faut donc lier une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice sur le fondement classiquement entendu des articles 1382 et 1383 du Code Civil.
Tel est le cas en l’espèce, puisque le mandataire judiciaire a commis une faute, il n’a donc pas vendu rapidement ce logiciel.
Dès lors, il n’y a pas eu de vente et faute de vente, il n’y a pas eu de prix de cession versé sur le compte de la liquidation judiciaire et par là même cela n’a pas permis de désintéresser les créanciers.
La faute, le préjudice et le lien de causalité sont donc démontrés.
Alors même que le mandataire judiciaire est désigné par le Tribunal de Commerce, le tribunal compétent est le Tribunal de Grande Instance.
Le mandataire judiciaire ne peut en effet être condamné à titre personnel que par cette juridiction et ne peut être condamné par une autre juridiction, où il peut être appelé en cause, mais es qualité, au nom et pour le compte de la société en liquidation judiciaire.
Cela a son importance dans le cadre de l’assignation, car il convient de rappeler qu’il ne faut pas assigner le mandataire judiciaire es qualité mais bel et bien à titre personnel.
De telle sorte qu’il n’est pas rare que certaines discussions aient lieu sur le plan de la recevabilité de l’action en responsabilité car des confusions existent entre des assignations qui auraient été faites es qualité et des assignations qui auraient été faites à titre exclusivement personnel. C’est ce qu’il faut bien distinguer et c’est ce qu’il faut faire.
Malheureusement, cette action de l’ancien dirigeant de la société a été rejetée.
En effet, il a été relevé que les opérations de liquidation judiciaire avaient été clôturées pour insuffisance d’actifs. L’arrêt attaqué retient que les sommes qui auraient pu être allouées, dans le cadre de ladite action en responsabilité, n’avaient pas vocation à servir les intérêts du dirigeant mais bel et bien ceux du créancier. De telle sorte que le dirigeant serait irrecevable à agir.
En outre, dans la mesure où seuls les créanciers ont vocation à percevoir les fonds du procès en responsabilité, la première conclusion que l’on pourrait tirer de cet arrêt, c’est qu’il appartiendrait au dirigeant de solliciter la réouverture de la liquidation judiciaire pour pouvoir régler cette difficulté.
La première difficulté étant effectivement, comme le dit très justement la Cour de Cassation, de rouvrir la procédure collective, avec notamment la désignation d’un autre mandataire judiciaire pour pouvoir paisiblement engager la responsabilité du premier mandataire judiciaire.
La liquidation étant ouverte, les fonds issus du procès en responsabilité ?, la condamnation découlant du procès en responsabilité aurait vocation à faire l’objet d’un paiement au profit de la liquidation judiciaire, et, avant toute chose, au profit de l’ensemble des créanciers.
Toutefois, et c’est là que l’arrêt et la législation en la matière sont extrêmement curieux en ce qu’il ressort de l’article L 643-13 que le dirigeant de l’entreprise n’a pas qualité pour solliciter la réouverture de la liquidation judiciaire.
Ainsi la Cour de Cassation précise, qu’en l’état de ces constatations, la liquidation judiciaire de la société clôturée pour insuffisance d’actifs n’a pas fait l’objet d’un jugement de reprise préalable à la recevabilité de l’action introduite par le mandataire ad hoc de celle-ci et de telle sorte que la Cour d’Appel en a exactement déduit qu’il convenait de déclarer cette action irrecevable.
Ceci est extrêmement dommageable dans la mesure où il est bien évident que, par voie de conséquence, le dirigeant n’a aucune possibilité après la clôture de la liquidation judiciaire d’engager quelque responsabilité que ce soit.
C’est d’ailleurs bien souvent à ce moment-là que l’on tire les conséquences de l’ensemble des tenants et aboutissants des différentes étapes de la procédure collective et que l’on peut éventuellement constater que le mandataire judiciaire a commis une faute et éventuellement envisager sa responsabilité.
Il est bien évident que le mandataire judiciaire entretient un double rôle au sein de la procédure collective, puisqu’il est à la fois le représentant du débiteur et le représentant des créanciers, étant précisé qu’il n’est d’ailleurs pas le représentant de l’un ou l’autre des créanciers mais des créanciers pris dans leur intégralité.
C’est ce que l’ancien législateur appelait la masse des créanciers.
Ainsi, il n’est pas toujours aisé pour le dirigeant de comprendre de quel bord est le mandataire judiciaire et ce n’est bien souvent que trop tard que celui-ci comprend que le mandataire judiciaire n’est pas « son ami ».
Dès lors, il est bien évident que la liquidation judiciaire peut faire l’objet d’une clôture, soit pour l’extinction du passif, lorsque tous les créanciers ont été désintéressés et dans les autres cas la clôture est prononcée pour insuffisance d’actifs.
Il s’agit d’ailleurs de la situation la plus fréquente en pratique.
C’est bel et bien ce qui s’est passé dans cette affaire, puisque la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actifs suite à l’impossibilité de céder le logiciel qu’elle avait pourtant créé et qui constituait le seul actif ayant une quelconque valeur économique qui avait vocation à désintéresser en tout ou en partie les créanciers.
Dans la mesure où la clôture de la liquidation judiciaire entraîne la mort définitive de la société, laquelle n’est qu’en survie le temps des opérations liquidatives, il est bien évident que pour engager une action en responsabilité, il convient de la rouvrir.
La reprise de la liquidation judiciaire produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs faisant partie du patrimoine du débiteur soumis à la procédure collective et qui n’ont pas été réalisés au cours de celle-ci, comme le rappelle très justement un arrêt de la Cour de Cassation, Chambre Commerciale, 10 mai 2012, N° 11-13.284 ou encore Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 22 juin 2006.
La reprise des opérations de liquidation judiciaire peut également être envisagée lorsqu’un contentieux aurait été omis et que ce contentieux avait vocation à être engagé dans l’intérêt des créanciers. C’est ce que rappelle d’ailleurs la jurisprudence, Cas. Crim. 27 janvier 2010, N° 07-87361.
Dès lors, le dirigeant, qui s’était fait désigné mandataire ad hoc était effectivement irrecevable à engager cette action, puisqu’il aurait du préalablement à cela, solliciter la réouverture de la liquidation judiciaire.
Toutefois, il se heurte aux principes de la compétence exclusive pour demander la réouverture de la liquidation judiciaire, qui n’appartiennent qu’à trois personnes bien précises, au sens de l’article L 643-13, alinéa 2, du Code du Commerce.
Il s’agit du liquidateur judiciaire précédemment désigné, mais il est bien évident que dans pareil cas celui-ci ne va pas solliciter la réouverture de la liquidation judiciaire pour voir sa responsabilité engagée, du Ministère Public, lequel n’est pas nécessairement tenu de rouvrir la liquidation judiciaire, et enfin, de tout créancier intéressé.
Or, le dirigeant n’est pas un créancier et, par voie de conséquence, il est donc irrecevable à intervenir.
Toutefois, il serait envisageable de considérer qu’il est également créancier, car il n’est pas rare qu’en pratique ce dernier soit caution.
Cette décision, qui paraît juste et fondée en Droit, est extrêmement critiquable sur le terrain des principes.
En effet, il est bien évident que le dirigeant de l’entreprise, qui a consacré du temps et de l’argent, parfois d’ailleurs toute une vie, et qui se retrouve en raison des difficultés économiques nationales et internationales en procédure collective, en redressement ou en liquidation judiciaire, est particulièrement malmené par une procédure à laquelle il ne s’attend pas.
Cela revient à demander à un jeune marié s’il a conscience de toutes les difficultés juridiques et psychologiques attachées à une procédure de divorce difficile.
Dès lors, lorsque le dirigeant est dans « l’il du cyclone » de la procédure collective, il est bien évident que celui-ci n’est pas à même d’appréhender l’ensemble des tenants et aboutissants.
Il n’est pas non plus à même d’être utilement conseillé par un homme de Loi dans la mesure où « déconfiture » faisant, il n’est par rare que la faillite de l’entreprise s’accompagne de la faillite du dirigeant, qui est bien souvent caution personnelle d’un certain nombre d’engagements bancaires.
Dès lors, il lui est encore difficile à ce stade là de se faire utilement accompagner par un homme de Loi.
Ainsi, c’est bien après la tempête, lorsque l’affaire est clôturée qu’il est alors effectivement loisible de tirer les conséquences et de comprendre les tenants et les aboutissants de l’ensemble de cette liquidation judiciaire, étant malheureusement compris que cette décision de justice empêche le dirigeant, après-coup, d’engager la responsabilité de quiconque.
Ces irrecevabilités sont juridiquement fondées, sont malheureusement bien pratiques en ce qu’elles permettent au mandataire judiciaire, qui est le seigneur et maître de la procédure collective, d’échapper à sa responsabilité. Ce qui, sur le terrain des principes, apparaît comme parfaitement contestable.