Il convient de s’intéresser à un arrêt de la Cour de Cassation qui a été rendu en février 2014 et qui vient aborder le sujet de l’abus de saisie immobilière, lorsque le créancier, établissement bancaire, va de manière intempestive engager une procédure de saisie.
Car il est bien évident que l’établissement bancaire qui engage une procédure de saisie immobilière sans raisons valables engage sa responsabilité.
Or, l’on ne peut que s’étonner sur la jurisprudence citée, qui mérite naturellement une attention particulière en ce que celle-ci considère que, nonobstant le fait particulier où le créancier saisissant, établissement bancaire, ne reçoit aucuns fonds, celui-ci n’engage pas forcément une procédure abusive, ce qui peut sembler extrêmement paradoxal.
Les faits peuvent paraître complexes, toutefois, il convient de les reprendre pour appréhender à sa juste mesure cette situation particulière.
Ceci d’autant plus que tout laisse à penser qu’il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce.
La société JAN avait été condamnée solidairement avec la société Crédit Industriel et Commercial de Paris, C.I.C., à payer à la société ESSO une certaine somme.
Les cogérants de la société JAN sont Monsieur et Madame X.
Tant le C.I.C. que la société JAN avaient été condamnés par un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du à payer cette somme et les derniers cogérants avaient pris soin de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt en question (ceci est d’autant plus important que la décision de la Cour leur a été finalement favorable, d’ou le paradoxe)
Cependant, parallèlement à cela, le C.I.C. avait réglé, en sa qualité de caution, à la société ESSO, les sommes dues en vertu de l’arrêt, au motif pris, notamment que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif et que l’arrêt avait donc vocation à être exécuté.
Ainsi, le C.I.C. a réglé, en sa qualité de caution, la société ESSO et s’est donc retrouvé subrogé de ses droits.
Le C.I.C. s’est alors retournée contre Monsieur et Madame X, cogérants de la société JAN et les a fait condamner au paiement desdites sommes, afin d’être remboursée des sommes payées.
Dans ces circonstances, le C.I.C. a bénéficié d’une hypothèque définitive sur les biens immobiliers de Monsieur et Madame X et s’est donc fait subroger au créancier hypothécaire de premier rang, le Comptoir des Entrepreneurs, afin de poursuivre la saisie immobilière.
Ceci a permis au C.I.C d’obtenir la vente du bien des consorts X sur adjudication.
Cependant, « là où le bât blesse », c’est que dans le cadre de la saisie immobilière, dans la mesure où une première inscription d’hypothèque en premier rang au profit du Comptoir des Entrepreneurs avait été prise, le C.I.C. n’a strictement rien perçu sur le produit de la vente.
Bien plus, l’arrêt que nous étudions est d’autant plus surprenant que, par un précédent arrêt de la Cour de Cassation venant finaliser la procédure initiale en paiement, la société ESSO avait été finalement condamnée à payer à la société JAN, une certaine somme.
Il paraît bien évident que le C.I.C. était particulièrement malvenu à procéder à une saisie immobilière.
En premier lieu, en l’état d’une procédure judiciaire non-définitive fut ce t’elle exécutoire, alors même que celui-ci avait fait le choix, en sa qualité de caution, de payer directement la société ESSO et sans même attendre le sort de la procédure devant la Cour de Cassation.
Ainsi, cette dernière a cru bon procéder à une exécution et a cru bon engager une procédure de saisie immobilière, alors qu’elle pouvait tout à fait patienter le temps que la Cour de Cassation s’exprime.
Bien plus encore, et en deuxième lieu, il est loisible de s’étonner de ce que la banque ait cru bon d’engager une procédure de saisie immobilière sur une procédure qui n’était pas encore définitive et ceci d’autant plus en poursuivant la vente d’un bien immeuble pour laquelle elle n’avait même pas vocation à être désintéressée puisqu’elle était primée par un créancier hypothécaire de premier rang.
Pourtant, il convient de rappeler que la jurisprudence sanctionne l’abus en matière d’exécution forcée et vient consacrer des mesures d’exécution forcée abusives, dès lors que celles-ci découlent d’un comportement fautif du créancier.
Un exemple flagrant a notamment été souligné par la jurisprudence, par un arrêt du 24 février 1982, dans lequel un créancier était considéré comme fautif pour avoir laissé une procédure de saisie immobilière se réaliser, alors même qu’il était déjà réglé.
Il convient également de rappeler que l’article L 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution, prévoit d’ailleurs que le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive, et de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d’abus de saisie.
En outre, il convient de rappeler que, selon l'article 31 de la loi du 9 juillet 1991, devenu article L111-10 du Code des procédures civiles d’exécution, l'exécution d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge pour lui de restituer le débiteur dans ses droits en nature ou équivalent.
Si la partie qui a pris l'initiative d'exécuter à ses risques et périls une décision de justice non définitive et qui s'est avérée par la suite sans base juridique valable, est responsable du préjudice causé par son adversaire par cette exécution, encore faut-il que ce préjudice soit établi et que soit également établi un lien de causalité certain entre le préjudice allégué et l'exécution de la décision frappée d'appel.
La jurisprudence a pourtant eu le loisir de s’étendre sur ce sujet délicat.
En effet, doivent également être réparées toutes les conséquences dommageables de l'exécution, et les frais de justice et de poursuite devront être remboursés en intégralité.
La Cour de cassation a même jugé que le créancier ayant vu le jugement de première instance infirmé à son détriment doit rembourser au débiteur les frais exposés par ce dernier pour la réalisation d'un prêt avec hypothèque en vue de payer les sommes dues au titre de l'exécution provisoire qui trouve son fondement dans la demande du créancier poursuivant sans laquelle ces frais n'aurait pas eu lieu d'être. Cass. 2ème Civ. 14 avril 2005, D2005, Pan 3063, Observation Clay.
Cependant, cet arrêt étudié de février 2014 peut sembler étonnant, et à contre courant des jurisprudences susvisées.
Les consorts X avaient frappé de pourvoi la décision servant de titre à la fois à la société ESSO et à la fois à la C.I.C. en qualité de caution, afin de contester le bienfondé de la saisie immobilière et avaient sollicité des dommages et intérêts au moins à hauteur de la valeur immobilière de la maison,
Ceci explique leur demande en paiement de la somme de 275 000,00 au titre de la restitution par l’équivalent, à laquelle la société C.I.C. était tenue à leur égard.
Si l’exécution des décisions ultérieurement cassées donne lieu à restitution, ladite restitution ne peut se borner aux seules sommes reçues en exécution de la décision anéantie, mais doit également contribuer à remettre les parties en l’état dans lesquelles elles étaient avant la décision cassée.
Dans notre cas de figure, il pourrait sembler raisonnable pour les consorts X de solliciter la restitution de la valeur de leur bien vendu par adjudication, la juridiction saisie ne pouvant se cantonner aux seuls fonds qu’aurait obtenus le C.I.C. en exécution du jugement précité.
Ceci d’autant plus, comme cela a été abordé tantôt dans la présentation des faits, que le C.I.C. n’avait quant à lui obtenu aucuns fonds, puisqu’il ne venait pas en rang utile dans le cadre de la saisie immobilière effectuée.
L’adjudication ayant eu lieu, avec le transfert de propriété qui va de pair empêche toute restitution par nature,
Pour autant, la seule demande indemnitaire équivalant à la restitution des sommes perçues par le C.I.C, est tout aussi impossible dans la mesure ou le C.I.C n’a perçu aucun fonds.
D’ou la situation paradoxale dans laquelle pouvait se trouver plongés les consorts X,
Dès lors, ces derniers se considéraient bien fondés à solliciter à ce que leur demande indemnitaire corresponde à la valeur du bien vendu par adjudication.
Contre toute attente, la Cour de Cassation rejette les prétentions des consorts X en considérant en premier lieu, que dans le mesure où le C.I.C. n’avait perçu aucuns fonds en suite de la procédure de saisie immobilière et que le produit de vente avait été attribué au Comptoir des Entrepreneurs, à savoir le créancier hypothécaire de premier rang, étranger au litige entre les parties, faisant ainsi ressortir que les sommes dont la restitution était demandée, n’avaient pas été versées en exécution de l’arrêt cassé.
La Cour de Cassation considère que c’est à bon droit que la cour d’appel a débouté les consorts X de leur demande, érigée contre le C.I.C. au titre de la restitution par équivalent.
Mais encore, sur la base d’un deuxième moyen, les consorts X avaient sollicité, en sus de la demande de restitution par équivalent de la somme de 275 000,00 , correspondant à la vente de leur bien, le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 200 000,00 en réparation du préjudice né de la procédure de saisie abusive de leur immeuble.
Il pouvait encore raisonnable pour les consorts X de soutenir que si le créancier a des choix de mesures propres à assurer l’exécution de sa créance, il commet une faute en mettant en ½uvre une mesure dont il manifeste qu’elle ne lui permettra pas de recouvrer, même partiellement, cette créance.
Là-encore, la Cour de Cassation ne brille pas par une grande générosité à l’encontre de l’emprunteur malheureux et du débiteur saisi, puisqu’il considère qu’ayant relevé que le C.I.C. n’étant pas à l’origine de la procédure de saisie immobilière, qui avait été initiée par le Comptoir des Entrepreneurs, que le jugement par lequel le C.I.C. avait été subrogé au Comptoir des Entrepreneurs mentionnait bien que le Comptoir des Entrepreneurs n’avait pas donné suite aux poursuites initialement engagées par lui et se rapportait à Justice sur la demande de subrogation du C.I.C., qui pouvait dès lors croire se trouver en rang utile pour être désintéressé, alors même que la créance sur laquelle se fondait ce dernier n’était pas définitive, puisqu’un pourvoi en cassation était encore en cours.
Ainsi, la Cour de Cassation considère que le créancier demeure bienfondé à engager cette procédure de saisie immobilière dans la mesure où il est titulaire d’un titre exécutoire, pourtant non définitif, qui lui permet de tenter de recouvrer sa créance.
Il est regrettable de constater que la Cour de Cassation considère dans cette affaire que le C.I.C était donc titulaire d’un titre exécutoire qui lui permettait de recouvrer sa créance, de telle sorte que la procédure de saisie immobilière ne pouvait être qualifiée d’inutile puisqu’elle avait permis de rembourser la dette de Monsieur et Madame X à l’égard du Comptoir des Entrepreneurs, créancier hypothécaire de premier rang.
Là-encore cette analyse peut sembler spécieuse car tout laisse à penser que si le Comptoir des Entrepreneurs avait arrêté sa procédure de saisie immobilière c’est parce que le débiteur aurait trouvé un accord avec ce créancier-là, peut-être même par le biais de la reprise d’un tableau d’amortissement, la reprise d’un échéancier, de telle sorte que la créance n’aurait plus été exigible.
Toutefois, il est bien évident qu’en procédant à la vente judiciaire du bien immeuble, ladite adjudication entraîne immanquablement la déchéance du terme du premier prêt.
En effet, les clauses contractuelles classiques d’un acte de prêt immobilier prévoient que la vente du bien, fut-ce t’il par voie judiciaire, et fut-ce t’il à la demande d’un autre créancier entraine de plein droit déchéance du terme et l’exigibilité du prêt, anéantissant par là même tous les efforts de reprise des paiements par les consorts X.
De même, la banque hypothécaire de premier, qui avait pourtant accepté de faire des efforts et avait trouvé un accord avec le débiteur, se retrouve, par la force des choses, et par la vente judiciaire du bien objet du prêt, contrainte de prononcer une nouvelle fois la déchéance du terme et de réclamer le solde du prêt immobilier,
Dès lors, anticiper le paiement du crédit, dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière initiée par un créancier qui ne sera pas désintéressé au profit d’un premier créancier, qui lui n’a pas demandé à être désintéressé, peut sembler particulièrement critiquable.
De toute évidence, si le Comptoir des Entrepreneurs avait engagé une procédure de saisie immobilière et que, par la suite, celui-ci ne poursuivait plus la procédure reprise par le C.I.C, tout laisse à penser qu’un accord avait été trouvé entre les consorts X et le premier créancier hypothécaire en question, de telle sorte que le créance n’aurait plus été exigible en tant que telle.
Dès lors, cela peut paraître spécieux pour la Cour de Cassation de considérer que les consorts X, suivant l’adage selon lequel celui-qui paye ses dettes s’enrichit, ne peuvent trouver que satisfaction à avoir désintéressé le premier créancier hypothécaire.
Ceci peut sembler curieux et, en tout cas, constitue aux yeux de la Cour de Cassation une absence totale de faute du créancier poursuivant, à savoir le C.I.C.
Le pourvoi des consorts X est rejeté au motif pris que le C.I.C. n’était pas à l’origine de la procédure de saisie immobilière qui avait été initiée par le Comptoir des Entrepreneurs, que le jugement par lequel le C.I.C. avait été subrogé au Comptoir des Entrepreneurs mentionnait que le Comptoir des Entrepreneurs n’avait pas donné suite aux poursuites initialement engagées par lui et se rapportait à Justice sur la demande de subrogation du C.I.C., qui pouvait dès lors croire se trouver en rang utile pour être désintéressé.
La Cour de Cassation relève en outre que la procédure de saisie immobilière ne pouvait être qualifiée d’inutile puisqu’elle avait permis de rembourser les dettes de Monsieur et Madame X à l’égard du Comptoir des Entrepreneurs, créancier hypothécaire de premier rang.
Si certaines chroniques viennent saluer cette jurisprudence, considérant que la solution serait logique et que l’abus de saisie ne serait pas constitué, il n’en demeure pas moins, à l’inverse qu’une telle jurisprudence peut sembler particulièrement désavantageuse pour le débiteur poursuivi,
En effet, à bien y croire la jurisprudence citée, un créancier n’engagerait pas sa responsabilité et ne commettrait aucun abus de droit en saisissant bien immobilier de son débiteur en l’absence de décision de justice définitive, et sans même avoir l’assurance d’être désintéressé de sa prétendue créance sur un prix de vente prioritairement absorbé par le premier créancier hypothécaire.
Fort heureusement, il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce, de telle sorte que la solution retenue dans cette affaire n’a pas nécessairement vocation à s’appliquer dans d’autres cas, fut-ce t’il similaires.
Ceci d’autant plus que la jurisprudence vient sanctionner de longue date l’abus et vient qualifier d’abusive une saisie immobilière pratiquée pour recouvrer une créance minime
Car à bien y regarder, il est légitime de s’interroger sur la responsabilité d’un créancier qui vient, en l’absence de toute décision de justice définitive, exécuter et réaliser le bien immobilier de son débiteur.
Le créancier en question n’aurait-il pas péché par excès, alors que la prudence aurait pu amener ce créancier à patienter le temps de la procédure au fond devant la Cour de Cassation, au besoin en prenant une garantie sur le bien et préserver tant sa créance que son rang au travers d’une simple inscription hypothécaire.
Pire encore, il peut sembler surprenant qu’un créancier fasse vendre un bien sans même pouvoir se désintéresser en étant par principe primé par le premier créancier hypothécaire.
A ce stade, il est difficile de cerner le cheminement juridique et économique retenu par le créancier pour justifier du bien fondé de sa procédure puisque la saisie immobilière était juridiquement fragile et économiquement inutile
Il est alors tout à fait compréhensible que le débiteur saisi puisse trouver la saisie immobilière dont il est victime inacceptable et abusive.
In fine, on ne peut que s’étonner de l’approche de la Cour de Cassation, qui peut considérer que la simple croyance pour un créancier d’imaginer qu’il soit éventuellement désintéressé puisse suffire à saisir un bien immobilier.
Cependant, sur l’autel du droit de la propriété constitutionnellement reconnu, il est bien évident que le créancier n’est pas le seul à avoir des droits.
Il me semble important de conclure mes propos en rappelant que le débiteur saisi n’est pas décédé, qu’il a des droits qu’il lui appartient de mettre en forme au travers d’une argumentation structurée, riche de nombreux moyens de fait et de droit afin, tantôt d’empêcher la vente du bien, tantôt d’assurer une vente dans des bonnes conditions, avec une juste créance qui ne serait pas majorée de frais, indemnités, pénalités et intérêts divers et variés.
Par Laurent Latapie
Avocat au Barreau de Draguignan