Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation cet été 2016 et qui vient aborder une nouvelle fois la question spécifique de la validité de la déchéance du terme émise par l’établissement bancaire qui envisage par la suite de saisir le bien immobilier pour le faire vendre aux enchères publiques,
Cette jurisprudence présente plusieurs spécificités,
La première des spécificités est liée au régime procédural particulier découlant de l’arrêt frappé de pourvoi puisque la Cour s’exprime en cassation d’un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar laquelle est assujettie au droit spécifique applicable en Alsace-Moselle.
En effet, alors que la procédure de saisie immobilière est classiquement engagé devant le Juge de l’Orientation permettant un débat oral afin de permettre à l’emprunteur malheureux, désormais appelé débiteur, de s’exprimer librement devant un juge, en Alsace Moselle la procédure est écrite et engagée sur simple requête devant le président du Tribunal d’instance,
Dans pareille procédure, le débiteur saisi se voit signifier une décision du président du Tribunal d’instance qui a déjà rendu une décision permettant au créancier de saisir, et ce, sans qu’il y ait quelque contradictoire et quelque débat quel qu’il soit,
En effet, la spécificité procédurale en Alsace Moselle permet à l’établissement bancaire saisissant de saisir sur simple voie de requête le Président du Tribunal d’Instance qui rend sa décision aux fins de vente forcée du bien immeuble, sans aucun débat contradictoire, ce qui peut sembler parfaitement curieux.
Le décorum procédural des voies de recours est tout aussi curieux,
En effet, le débiteur qui entend contester cette saisie immobilière n’a pas d’autre choix que de former recours directement devant le Président du Tribunal d’Instance, le même qui a initialement rendu la décision aux fins de vente forcée, en expliquant, par le biais d’un mémoire motivé, et sans qu’il n’y ait plus de débat oral, que la demande de la banque n’est pas si légitime dans son action qu’elle peut le laisser à penser.
Fort de son pouvoir d’appréciation, le Président du Tribunal d’Instance est amené à rendre une décision qui là encore sur le terrain judiciaire peut sembler curieux puisque ce dernier peut très bien rejeter les moyens évoqués mais considérer que la contestation est suffisamment sérieuse pour renvoyer l’affaire devant la Cour d’Appel de Colmar ce qui avait été le cas en l’espèce.
En effet, dans cette affaire, le débiteur était amené à contester la déchéance du terme en rappelant que la procédure d’exécution forcée telle qu’il en résulte dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière ne peut être engagée d’autant que le créancier l’établissement bancaire justifie d’une créance exigible et par voie de conséquence déchue.
Dans cette affaire, les consorts H. avaient souscrit auprès d’une banque deux prêts suivant acte authentique conclu en décembre 2003, dit acte authentique, étant revêtu de la force exécutoire ce qui permet au créancier, sur simple déchéance du terme d’envisager une saisie immobilière.
Or, par lettre recommandée expédiée en mars 2012, la banque avait informé les consorts H. de leur décision de mettre un terme à leur relation contractuelle, et notamment de dénoncer la convention concernant le compte courant, compte bancaire ouvert en ses livres.
Puis, le même établissement bancaire a déposé une requête en procédure d’adjudication immobilière forcée et en paiement de la somme découlant des prêts.
Les consorts H. ont contestés, suivant la procédure décrite, la validité de la déchéance du terme des prêts invoquée par la banque soutenant notamment que celle-ci n’avait notifié que la clôture du compte bancaire.
L’établissement bancaire s’en défend et la Cour d’Appel de Colmar suit son raisonnement puisqu’elle retient qu’il ressort de la lettre recommandée avec avis de réception du 16 mars 2012 que la banque avait dénoncé ses relations contractuelles avec les consorts H. et notamment la convention de compte bancaire.
En effet, la Cour d’appel de Colmar, séduite par le raisonnement de la banque, considère qu’il ressortirait du comportement de Monsieur H. que ce dernier aurait compris que la dénonciation s’appliquait également au prêt, notamment en reconnaissant les impayés indiqués par la banque dans une correspondance postérieure du 22 octobre 2012 et dans l’hypothèse où ce dernier avait même proposé dans une autre lettre complémentaire d’octobre 2012 d’apurer son prêt par une reprise de paiement des mensualités à hauteur de 1.500 euros,
Par un tel raisonnement la Cour considère que la déchéance du terme serait parfaitement valable.
Pour autant, cette approche semble critiquable,
Pour s’exprimer sur la question de la déchéance du terme, il appartient quand même à la juridiction saisie de collationner les modalités de déchéance du terme et d’exigibilité de la créance qui sont déterminés dans le contrat de prêt avec les démarches finalement entreprises par l’établissement bancaire,
En effet, il convient de rappeler que l’établissement bancaire a l’obligation d’informer, de manière claire et non équivoque, l’emprunteur de son intention de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt, de telle sorte que si l’établissement bancaire peut se prévaloir d’une exigibilité anticipée immédiate, sans avoir adressé quelles que mises en demeure que ce soit, il lui appartient en tout état de cause d’adresser au moins une lettre de prévenance afin d’informer l’emprunteur en difficulté que l’établissement bancaire entend mettre en œuvre cette faculté d’exigibilité immédiate emportant déchéance du terme.
Ceci est d’autant plus vrai que la jurisprudence impose depuis juin 2015 que l’établissement bancaire adresse préalablement des mises en demeure afin de voir régler les arriérés d’échéances avant de prononcer une déchéance du terme immédiate,
Ceci, afin de permettre justement à l’emprunteur en situation financière délicate de faire face à ses retards sans quoi effectivement il s’exposerait, en parfaite connaissance de cause, cette fois-ci, à une hypothèse de déchéance du terme.
C’est donc à bon droit, que la Cour de Cassation considère que la Cour d’Appel en statuant ainsi, alors que la lettre litigieuse de mars 2012 dénonçait seulement la convention de compte bancaire sans aucune mention des prêts, la Cour d’Appel en a dénaturé les termes et violé les textes susvisés,
Cet arrêt mérite également un développement complémentaire dans la mesure où les consorts HEISS, fort des difficultés économiques qu’ils avaient rencontrées, et en l’état de la déchéance du terme dont la banque se prévalait, avait également cru bon de saisir le Tribunal d’Instance compétent afin d’obtenir une suspension judiciaire des échéances.
En effet, en cas de difficultés, les dispositions du Code de la Consommation permettent au débiteur en situation de délicatesse de faire état justement de cette délicatesse financière conjoncturelle et non pas structurelle pour pouvoir obtenir une suspension judiciaire des échéances pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ans,
Ce qui permet au débiteur de faire face à ses obligations, en tout cas de bénéficier d’un « bol d’air » pour pouvoir faire face à une difficulté conjoncturelle telle que peut l’être un licenciement ou bien encore un divorce et envisager par la suite de reprendre les échéances.
Là encore, cette demande de suspension de paiement des échéances peut être également agrémentée d’un gel de tous les intérêts courants pendant la période de suspension afin d’éviter de générer des intérêts intercalaires qui seraient générés dans la période en question.
La banque, comme de rien, avait largement combattu cette faculté légale qui vient d’ailleurs souvent en secours de la maigre faisabilité des options commerciales de suspension contractuelle des échéances prévus dans le contrat toujours faite sur des périodes extrêmement courtes et à grand renfort d’intérêt intercalaires.
Dès lors, le choix du débiteur de saisir le Juge aux fins d’obtenir une suspension des échéances allant sur une période pouvant aller jusqu’à deux ans, avec un possible gel du cours des intérêts sur la période, est à mon sens un choix judiciaire et juridique pertinent,
Pour autant, dans cette affaire si le débiteur avait tenté cette démarche judiciaire, il s’était heurté à une opposition farouche de la banque, pourtant son partenaire de financement pour prés de vingt ans, avec une certaine efficacité d’ailleurs puisque les délais de grâce réclamés sur une durée de deux ans avait fait l’objet d’un jugement de rejet, le Président du Tribunal d’Instance constatant que le requis ne justifiait pas de sa situation matérielle, ni des perspectives d’évolution de son activité professionnelle.
Naturellement, le débiteur en question avait fait appel de la décision, mais l’établissement bancaire c’était bien gardé de patienter le déroulement des voies de recours et avaient excipés du caractère exécutoire de l’acte de prêt authentique pour engager une procédure de saisie immobilière,
Ainsi, devant la Cour, la banque considérait que c’était à bon droit que la procédure de saisie immobilière avait été diligentée par un jeu notamment d’interprétation des différents actes et diligences effectués par les consorts H qui n’avaient quant à eux chercher qu’à trouver une solution juridique et judiciaire leur permettant de faire face à leurs obligations avec une période de suspension ou en tout état de cause en contestant la déchéance du terme qui était bien éloignée du formalisme rigoureux pourtant prévu dans le contrat.
La Cour de Cassation ne s’y trompe pas et rappelle en tant que de besoin que les Juges ne peuvent pas dénaturer les documents de la cause,
De telle sorte que la Cour d’Appel ne pouvait valablement confirmer la décision ordonnant l’adjudication forcée de l’immeuble appartenant aux consorts X dans la mesure où la lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mars 2012 ne faisait que dénoncer les relations contractuelles avec les consorts X et notamment la convention de compte courant.
C’est à bon droit que La Cour de Cassation rejette les demandes de l’établissement bancaire et invalide l’exigibilité de la créance de la banque au motif pris notamment de manière extrêmement claire et précise par un attendu de principe que la lettre litigieuse dénonçant seulement la convention de compte courant ne pouvait emporter déchéance du terme des prêts bancaire entraînant l’exigibilité de la créance et la saisie immobilière du bien en question.
Ainsi, la Cour de cassation casse et annule,
Elle renvoi également l’affaire devant la Cour d’Appel,
Ce renvoi devant une juridiction de fond peut amener à de nouvelles interrogations juridiques, notamment celles liées au sort des intérêts générés pendant toute la période, ou encore de la question de la reprise des échéances,
En effet, dans la mesure où la déchéance n’est pas valable, tout laisserait à penser que les consorts X seraient en droit de reprendre leurs échéances, à charge pour l’établissement bancaire de représenter un nouveau tableau d’amortissement et un nouvel échéancier,
Mais cette situation juridique, sur renvoi de cassation devant la Cour d’appel, génère de nouvelles questions, nombreuses,
En effet, qu’en serait-il des intérêts générés entre la prétendue déchéance du terme et la décision à venir ? Qu’en est il de mesures d’exécution telles que saisies conservatoires sur comptes bancaires, ou saisies attributions sur des revenus locatifs ? Qu’en est il du fichage au FICP ? Autant de questions qui mériteront des développements complémentaires dans de prochaines publications,
Toujours est-il que cette réponse judiciaire apporte des nouvelles questions pour lesquelles le débiteur malheureux doit encore faire face pour pouvoir justement assurer une reprise de son échéancier, la sauvegarde de son bien et ce avec un coût financier réduit à sa plus simple expression afin de ne pas supporter les erreurs de l’établissement bancaire qu’il a pour habitude de facturer, à grands renforts de frais, intérêts et accessoires.