Saisie immobilière, monnaie étrangère et assurance perte d’emploi,

Publié le 18/09/2016 Vu 2 031 fois 0
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Hypothèse d’une saisie immobilière alors que l’acte de prêt en monnaie étrangère ne prévoit aucune conversion en contre valeur euro, entre obligation de conseil et de mise en garde renforcée et responsabilité spécifique de la banque en terme d’assurance perte d’emploi,

Hypothèse d’une saisie immobilière alors que l’acte de prêt en monnaie étrangère ne prévoit aucune c

Saisie immobilière, monnaie étrangère et assurance perte d’emploi,

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en Droit de la saisie immobilière en ce début d’été 2016 et qui vient aborder la question particulière du commandement aux fins de saisie établi sur la base d’une monnaie étrangère.

Nonobstant la retentissante affaire du contentieux bancaire en Franc Suisse qui a frappé bon nombre de particuliers, et ce, aux torts de la BNP Paribas, il apparaît que bon nombre d’établissements bancaires recourent de plus en plus à des monnaies étrangères pour financer des prêts, notamment des prêts immobiliers ou des prêts de refinancement, en se voulant, par le biais de monnaies étrangères, plus attractifs.

S’il est vrai que la jurisprudence a autorisé en France l’octroi de prêts bancaires sur la base de monnaies étrangères, elle a par contre assujetti les établissements bancaires, non seulement à sa traditionnelle obligation de conseil et de mise en garde, mais encore, à une obligation de mise en garde renforcée, visant à clairement sensibiliser l’emprunteur sur l’ensemble des avantages et inconvénients du financement en monnaie étrangère et des difficultés pouvant apparaître quant au taux de change,

En effet, le sort du taux de change peut avoir des répercussions importantes sur le financement pris et la jurisprudence en question aborde justement cette question question dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière engagée par le créancier,

Au travers de cette jurisprudence, la Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel ayant annulé le commandement saisi, alors qu’à défaut de stipulation relative aux modalités de conversion dans le titre exécutoire, la contre-valeur en Euro de la créance stipulée en monnaie étrangère pouvait être fixée au jour du commandement de payer afin de saisie immobilière qui engage l’exécution forcée, de sorte que la créance était déterminable à cette date se trouvait par là-même liquide,

L’attendu peut sembler briller par une certaine obscurité….

Il convient de revenir sur les faits,

Par acte notarié du 27 mars 2007, Madame X avait souscrit auprès d’une banque un emprunt immobilier d’un montant de 323 000,00 CHF (francs suisses) en vue d’acquérir un appartement à Annecy, que s’étant prévalue de la déchéance du terme la banque lui avait fait signifier le 23 avril 2012 un commandement de payer valant saisie immobilière pour un montant de 266 040,89 € en principal, et par jugement en date du 3 juillet 2014, le juge de l’exécution avait annulé ce commandement et ordonné la mainlevée de la saisie immobilière.

La banque a interjeté appel puis s’est pourvue en cassation et faisait grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’une somme de dommages et intérêts,

Il convient de rappeler que le juge de l’exécution connaît de manière exclusive les difficultés relatives au titre exécutoire et les contestations qui s’élèvent à l’occasion d’une exécution forcée, même si elle porte sur le fond du Droit, à moins qu’elle n’échappe à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire,

Dans le cadre de son pourvoi, l’établissement bancaire évoque les dispositions de l’article L 111-2 et L 111-6 du Code des procédures civiles d’exécution et considère que, s’il est vrai que l’acte notarié en tant que tel, servant de fondement pour suite, concernait un prêt libellé en Franc Suisse et remboursable en cette monnaie étrangère, et que ledit acte ne prévoyait aucune stipulation particulière et relative aux conditions de conversion en Euro, cela n’empêchait pas le créancier de mentionner la créance en Euro dans le commandement de payer valant saisie.

Ainsi, tant bien même et à défaut de stipulation relative aux modalités de conversion dans le titre exécutoire, la contre-valeur en Euro de la créance stipulée en monnaie étrangère pouvait être fixée au jour du commandement de payer afin de saisie immobilière, lequel commandement engage l’exécution forcée, de sorte que la créance dans son montant était déterminable à cette date et permettait donc au créancier de poursuivre et d’envisager une saisie immobilière, la créance étant parfaitement liquide.

Cette analyse est reprise par la Haute Juridiction qui, considère, au visa de ces deux articles, L 111-2 et L 111-6 du Code des procédures civiles d’exécution, que seul le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur,

Qu’aux termes du second de ces articles, la créance est liquide lorsqu’elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation, de telle sorte que le créancier est parfaitement fondé à envisager, sur cette seule base, une saisie immobilière,

Pour autant, l’emprunteur malheureux n’est pas sans ressources juridiques,

En effet, cela n’avait pas empêché le débiteur saisi d’engager une action en responsabilité contre l’établissement bancaire, au titre justement de ce fameux manquement aux obligations de conseil et de mise en garde renforcées dans le cadre d’un prêt dit prêt complexe en monnaie étrangère,

A son accoutumée, l’établissement bancaire a tenté d’échapper à ses obligations notamment en soutenant que les prétentions indemnitaires de Madame X étaient prescrites, dans la mesure ou l’acte notarié était du 27 mars 2007 et que l’action en responsabilité avait été engagée tardivement,

Il est vrai que la question de la prescription est régulièrement soulevée et nécessite toujours une analyse précise et factuelle, plus particulièrement depuis la réforme du 17 juin 2008 qui a profondément modifié les délais de prescriptions et qui a prévu au titre des mesures transitoires un certain nombre de dispositions spécifiques,

En effet, dans cette affaire, Madame X contestait l’idée de toute prescription au visa de l’article 2224 du Code Civil qui précise que les actions personnelles immobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit connu aurait dû connaitre le fait lui permettant de l’exercer, que cette courte prescription issue de la réforme par la Loi du 17 juin 2008 s’applique aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la Loi, soit le 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ainsi, parfaitement recevable à le faire, Madame X entendait invoquer les manquements de l’établissement bancaire à ses obligations de mise en garde, d’information et de conseil, relatives notamment à la question spécifique de la monnaie étrangère mais également à l’assurance de groupe afin d’obtenir une indemnisation au titre de la perte de chances de ne pas contracter dans des conditions qui présentent pour elle un risque élevé.

Fort heureusement, la Cour de cassation confirme que l’action de Madame X n’est nullement prescrite,

En effet, le point de départ de la prescription, en l’espèce, doit être fixé au jour de l’octroi des crédits et, compte-tenu des dispositions transitoires précitées, son action en responsabilité ne peut être prescrite avant le 19 juin 2013.

Toutefois, Madame X a formulé pour la première fois sa prétention à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par un manquement contractuel de la banque par des conclusions récapitulatives signifiées par acte du palais en date du 13 juin 2013, soit avant l’expiration du délai,

De telle sorte que celle-ci n’était absolument pas prescrite à engager cette action en responsabilité et à exposer la banque à ses obligations.

C’est dans ce circonstances que la banque a vu sa responsabilité engagée au motif pris que celle-ci avait manqué à son devoir de mise en garde par rapport au caractère excessif de l’endettement,

En effet, cette obligation de conseil et de mise en garde porte sur la présentation objective des risques pouvant résulter pour l’emprunteur du caractère excessif du crédit sollicité.

Madame X considérait que la charge de la preuve du risque de l’endettement ne pesait pas sur elle mais bel et bien sur l’établissement bancaire qui se doit de procéder aux vérifications d’usage,

Bien plus, Madame X soutenait qu’elle n’avait d’ailleurs même pas à rapporter la preuve selon laquelle celle-ci était emprunteur non-averti, à charge pour l’établissement bancaire de démontrer qu’il avait procédé à ces vérifications d’usage afin de déterminer si, oui ou non, Madame X était emprunteur averti ou non.

En outre, dans la présente affaire, la banque voit sa responsabilité engagée au titre de l’assurance-groupe et plus particulièrement concernant son manquement au titre de l’assurance perte d’emploi.

Concernant cette obligation de conseil spécifique, Madame X considère que la banque a manqué à son devoir de conseil au sujet de l’assurance perte d’emploi,

Il ressort notamment que du bulletin individuel des demandes d’admission de garantie du contrat d’assurance-groupe fourni par l’établissement bancaire, que Madame X a déclaré vouloir accepter l’assurance perte d’emploi proposée par le prêteur,

De sorte que l’absence de souscription de cette garantie particulière ne semble pas résulter de son choix mais plutôt du fait que, étant salariée en Suisse, cette garantie particulière ne lui était pas applicable.

Pour autant, en raison de sa demande d’assurance à ce titre et en raison de la connaissance du risque lié à la perte de l’emploi en Suisse pour un travailleur français et compte-tenu de son taux fort d’endettement, la banque aurait dû conseiller explicitement sa cliente sur des possibilités de souscription individuelle, auprès de toute compagnie de son choix, d’une assurance garantissant ce risque spécifique ou s’assurer que son refus de souscrire une telle assurance était parfaitement éclairé et ne résultait pas d’un éventuel manque d’information.

Par voie de conséquence, Madame X était bien fondée à réclamer des dommages et intérêts.

Madame X considère que les fautes commises par la banque sont la cause de deux griefs distincts.

Le premier grief est celui résultant de la perte de chance de n’avoir pas contracté dans des conditions présentant un degré de risque élevé.

Le deuxième grief tient au préjudice qu’il y a lieu de réparer au titre de la perte de chance de ne pas souscrire un contrat d’assurance,

La Cour de Cassation considère que le préjudice résultant de la perte de chance d’avoir pu souscrire un contrat d’assurance adapté, garantissant le risque de perte d’emploi, risque qui en l’espèce s’est réalisé, doit être apprécié en tenant compte du fait que Madame X aurait eu à supporter des coûts de prime correspondante, qu’elle a perdu son emploi au bout de sept mois alors que la plupart des contrats ne couvrent que le risque de perte d’emploi après l’écoulement d’une durée initiale non-garantie de douze mois, et que la prise en charge des échéances de crédit à ce titre est très souvent limitée dans le temps en fonction des options choisies ayant une incidence directe sur le montant de la prime d’assurance, de telle sorte qu’il y a lieu de considérer que le préjudice pouvait être équivalent à la somme égale à quatre échéances trimestrielles du crédit en question, soit 12 000,00 €.

Cette jurisprudence est intéressante à plus d’un titre,

En premier lieu elle rappelle que la créance fondant une procédure de saisie immobilière demeure liquide tant bien même le prêt aurait été octroyé en monnaie étrangère et tant bien même l’acte authentique de prêt ne prévoirait pas de stipulation relative aux modalités de conversion dans le titre exécutoire,

La Haute juridiction considère que la contre-valeur en euros de la créance stipulée en monnaie étrangère peut être fixée au jour du commandement de payer afin de saisie immobilière qui engage l’exécution forcée, de sorte que la créance dont le montant était déterminable à cette date se trouvait par là-même liquide et permettait au créancier de saisir.

Pour autant, il ne faut pas oublier que ce prêt en monnaie étrangère octroyée au profit de personnes pouvant d‘ailleurs elle même travailler à l’étranger génère un certain nombre d’obligations spécifiques en terme de conseil, de mise en garde, et même en terme de couverture d’assurance perte d’emploi,

En cas de pareil manquement, l’emprunteur malheureux est bien fondé à solliciter de légitimes dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter, ou en tout cas, de ne pas contracter dans de telles conditions,

S’il est vrai que cette responsabilité caractérisée est loin de suffire pour empêcher la saisie immobilière du bien, il n’en demeure pas moins que la créance de dommages et intérêts ainsi obtenue pourra se compenser avec la créance de la banque,

Dans l’hypothèse ou la compensation serait totale, le bien serait sauvé,

A défaut, cela réduirait d’autant la créance de la banque saisissante qui serait immanquablement bien moins fondé à le faire,

A cela s’ajoute d’autres moyens de contestation entre validité de la clause de stipulation des intérêts et validité de la procédure de saisie immobilière proprement dite,

En tout état de cause, il ne faut pas perdre de vue que le débiteur saisi, simple « pôt de terre », dispose devant le juge de l’orientation de bon nombre de moyens de fait et de droit, d’arguments juridiques, pour contester les prétentions du « pot de fer », établissement bancaire de son état, 

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