Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Première Chambre Civile de la Cour de cassation en date du 10 juillet 2014, dit arrêt qui vient apporter une précision d’importance en droit de la prescription et en droit de la saisie immobilière.
La question spécifique de la prescription biennale opposable à l’établissement bancaire, notamment en droit de la saisie immobilière avait fait couler beaucoup d’encre lorsque le 28 octobre 2012, la Cour de cassation avait consacré le principe même de la prescription biennale pour les crédits immobiliers.
Cependant, toute la difficulté résidait, en pratique, de savoir quel était le point de départ de cette prescription.
D’aucuns considéraient que le point de départ de la prescription démarrait au jour de l’impayé, au jour du premier incident de paiement.
D’autres, par contre, considéraient que le point de départ démarrait non pas à l’impayé, mais bel et bien lorsque la banque prononçait la déchéance du terme.
Cette approche, principalement retenue par les établissements bancaires, avait comme principal effet de permettre à ces derniers de déclencher la déchéance du terme quand bon leur semblait et, au besoin, de faire partir les délais de prescription à compter de cette date, alors même que les impayés remontaient parfois à plusieurs années.
Ainsi, ce qui pouvait sembler parfaitement contestable pour le débiteur permettait inversement à l’établissement bancaire de garder la maitrise la procédure de recouvrement de sa créance tout en bénéficiant du temps passé générateur de frais et intérêts souvent majorés, générés pendant une période plus ou moins importante où la banque, comme de rien, n’engageait aucune action.
Dans cette affaire, la Cour de cassation vient consacrer le fait que le point de départ du délai de la prescription biennale, prévu par l’article L137-2 du code de la consommation, se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier, consentie par un professionnel ou un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé.
Ainsi, la Cour de cassation est extrêmement claire : la prescription biennale est bel et bien acquise en droit du crédit immobilier et en droit de la saisie immobilière.
La Haute juridiction apporte surtout une précision de taille en indiquant que le point de départ de la prescription n’est pas tant le prononcé de la déchéance du terme, mais bel et bien le moment où l’incident de paiement a été créé.
Dans l’affaire qui a permis le prononcé de l’arrêt du 10 juillet 2014, un consommateur s’était montré défaillant dans le remboursement du prêt immobilier, souscrit auprès d’un établissement bancaire.
Ce dernier, Monsieur X, avait été mis en demeure de régulariser la situation sous huit jours, par une lettre recommandée du 22 juin 2009, ladite mise en demeure incitait donc le consommateur défaillant à régulariser la situation sous huit jours, sous peine de déchéance du terme.
Par la suite, les 26 mai 2010 et 23 mai 2011, la banque avait délivré le commandement de payer valant saisie immobilière.
Le 28 février 2011, Monsieur X avait anticipé la procédure de saisie immobilière et avait saisi lui-même le Juge de l’exécution afin d’obtenir la main levée de l’hypothèque inscrite par la banque sur l’un de ses immeubles.
Ce n’est finalement que le 6 septembre 2011 que la banque a assigné Monsieur X devant le même Juge, aux fins d’obtenir la vente judiciaire des biens saisis, en vertu du commandement daté du 26 mai 2010 et du 23 mai 2011.
Le Juge de l’orientation avait déclaré irrecevable l’action de la banque, malgré l’annulation des commandements de payer, ayant privé ceux-ci de tout effet de prescription.
Le juge de l’orientation, tout comme la Cour d’ailleurs, considérait que le point de départ d’une des prescriptions biennales de l’article L137-2 du code de la consommation devait être fixé à la date de déchéance du terme du prêt immobilier, soit au 30 juin 2009, de telle sorte que l’action engagée par la suite dans cette assignation du 28 février 2011, était engagée dans un délai inférieur à deux années, de telle sorte qu’il n’y avait bel et bien pas de prescription de l’action, la banque étant donc bien fondé à saisir le bien de Monsieur X.
Or, la Cour de cassation vient casser la position prise par le Juge de l’orientation et la Cour d’appel de Nancy, en venant consacrer le fait que le point de départ de la prescription ne démarre pas tant au moment de la déchéance du terme prononcée par la banque, mais bel et bien à la date du premier incident de paiement.
Il est vrai que dans cette affaire plusieurs thèses s’affrontaient,
Les établissements bancaires considéraient quant à eux que l’article L311-52 du Code de la consommation, qui précise que le Tribunal d’instance connaît des litiges nés de l’application du présent chapitre, des actions en paiement engagées devant lui à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur devaient être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion.
Ledit article l’article L311-52 du Code de la consommation édictant que cet événement étant caractérisé par soit le non-paiement des sommes dues à la suite de la résiliation du contrat ou de son terme, soit le premier incident de paiement non régularisé, soit le dépassement non régularisé du montant total du crédit, consenti dans le cadre d’un contrat de crédit renouvelable.
Or, les établissements bancaires se sont opposés à cette argumentation juridique en venant dissocier la forclusion, propre au crédit à la consommation, de la prescription de l’article L137-2 du Code de la consommation.
Les banques se retranchaient derrière le fait que si la prescription biennale était bien acquise pour les crédits immobiliers dans le cadre d’une action et était opposable dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, il n’en demeurait pas moins que l’article L311-52 du Code de la consommation ne pouvait s’appliquer et que le Juge de l’orientation ne pouvait prendre en considération le premier incident de paiement non régularisé, mais bel et bien la déchéance du terme.
Bien plus, certains établissements financiers venaient même opposer à anciens clients et emprunteurs le point de départ de la prescription extinctive tel que défini par l’article 2224 du Code civil. Lequel article prévoyant que le délai court à compter du jour où le titulaire du droit, a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Dès lors, pour les établissements bancaires le premier incident de paiement non régularisé du crédit à la consommation ne peut s’appliquer car le crédit immobilier était exclu du champ d’application de l’article L311-3 et suivants du Code de la consommation, mais que, inversement, il fallait faire application des dispositions de l’article 2233 du Code civil, selon lequel la prescription ne court pas à l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrêté.
Ainsi, pour ce dernier, tant que la banque ne prononçait pas la déchéance du terme, il n’y aucun point de départ de prescription et l’établissement bancaire est tout à fait en mesure de saisir le bien immobilier de l’emprunteur malheureux.
Fort heureusement, la Cour de cassation rappelle le principe de la prescription biennale et vient apporter une réponse décisive quant à la question relative au point de départ de cette prescription.
Cette décision met ainsi fin à la fâcheuse habitude qu’avaient les banques de « choisir » le point de départ de prescription qui leur était le plus favorable.
Désormais, la réponse est clairement posée par la Cour de cassation : le point de départ court bel et bien à compter du premier incident de paiement non régularisé.
Cependant, l’arrêt oppose également une nouvelle problématique car il ne répond pas clairement aux efforts que peut très bien faire l’emprunteur en difficulté pour tenter de régulariser la situation.
En effet, il n’est pas rare de constater que les établissements bancaires ont un service contentieux particulièrement pugnace, qui vient tenter d’obtenir par tout moyen des fonds afin de permettre la reprise de l’échéancier.
Or, dans l’hypothèse où le débiteur, de bonne foi, malheureusement frappé par la situation économique particulièrement difficile, fait un effort financier visant à désintéresser une partie de sa créance, il décale d’autant la prescription biennale.
En effet, le paiement s’amputant, conformément à la loi, aux échéances les plus anciennes, il appartient à ce moment-là au débiteur de procéder aux vérifications d’usage afin de déterminer quelles seraient les créances qu’il a pu régler depuis le premier incident, pour, de même suite, déterminer avec précision à partir de quand la prescription biennale démarre.
Cette jurisprudence est protectrice des droits des emprunteurs.
Elle impose à l’établissement bancaire d’être diligent et de ne pas enliser l’emprunteur défaillant dans une passivité génératrice de frais et d‘intérêts majorés, pratique autrement appelée « barattage passif ».
Bien plus, elle vient sanctionner l’établissement bancaire qui opterait pour une procédure de saisie immobilière qui se veut parfois rapide, sinon expéditive, alors même que cette même banque a brillé par une carence et une inaction fautive pendant plus de 2 ans après le premier incident de paiement.
Non seulement, cette inaction et cette carence de plus de deux temps était générateur de frais et d’intérêts mais était également générateur d’intérêts majorés.
En effet, et conformément à l’article L312-22 du Code de la consommation, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur se réserve la possibilité soit d’appliquer une majoration du taux d’intérêt, et dans ce cas le taux d’intérêt sera majoré de trois points à compter de la première échéance restée en souffrance jusqu’à la reprise du cours normal des échéances contractuelles, soit d’exiger le remboursement immédiat du solde restant dû, l’emprunteur pouvant être alors redevable d’une indemnité égale d’une indemnité de résiliation.
Une lecture combinée de l’ensemble des dispositions susvisées permettait à l’établissement bancaire de laisser le temps générer des intérêts majorés à trois points, et passé un certain délai, de prononcer la déchéance du terme afin de réaliser l’actif, ce qui permettait non seulement à l’établissement bancaire de bénéficier d’un certain nombre de frais et d’intérêts majorés, mais également de décider de la date du point de départ de la prescription de sa procédure de saisie immobilière en se mettant à l’abri de toute forme de prescription biennale.
Finalement, une question demeure encore en suspens car dans l’hypothèse où la banque serait prescrite et ne pourrait plus poursuivre l’emprunteur n’ayant pas fait face à ses obligations, l’établissement bancaire ne pourrait-il pas imaginer engager une action au titre de l’enrichissement sans cause ? A mon sens, non.
Ainsi, la Cour de cassation met un terme à la délicate question du point de départ de la prescription biennale et vient clairement imposer à la banque d’être rigoureuse et diligente dans le suivi du prêt immobilier en faisant partir la prescription, non pas à la déchéance du terme, mais bien à la date du premier incident de paiement non régularisé.