Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation qui vient se servir des problématiques de prescription et d’irrecevabilité à hauteur de Cour après décision du juge de l’orientation pour mettre à mal l’établissement bancaire.
Ces jurisprudences sont suffisamment rares pour être saluées.
Dans cette affaire, le 10 novembre 2015, sur le fondement de deux prêts notariés du 30 septembre 2005 consentis à Monsieur M la banque a fait délivrer à ce dernier deux commandements de payer valant saisie immobilière et l'a fait assigner à comparaître à l'audience d'orientation du Juge de l'Exécution.
La particularité procédurale dans cette affaire est que Monsieur M avait fait assigner la banque devant le juge de l’exécution de droit commun, sans attendre la traditionnelle assignation devant le juge de l’orientation, aux fins de voir juger que les commandements de payer étaient prescrits faute d'avoir été délivrés dans le délai de deux ans prévus à l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du Code de la Consommation.
Dans le même laps de temps, la banque a assigné le débiteur devant le juge de l’orientation.
Les deux procédures ont été jointes et le Juge de l'Exécution a constaté sur la base de l’argumentation de Monsieur M, la prescription des créances et a, par conséquent, prononcé l’annulation du commandement.
La banque a donc interjeté appel de ce jugement et a tenté de mettre en avant la prescription quinquennale en considérant que Monsieur M était un créancier professionnel.
Pour se faire une opinion, il convient de revenir sur les circonstances de la cause.
En effet, il convient de rappeler que par actes notariés en date du 30 septembre 2005, la banque avait consenti à Monsieur M deux prêts immobiliers :
ü Un prêt d'un montant de 120 000 euros, d'une durée de 240 mois, au taux d'intérêt de 4,50 % l'an et au taux effectif global de 4,511700 % l'an, remboursable en 240 échéances mensuelles de 759,18 euros, destiné à financer l'achat et les travaux d'une maison lot n° 6. Résidence principale de tiers locataire",
ü Un prêt d'un montant de 120 000 euros, d'une durée de 240 mois, au taux d'intérêt de 4,50 % l'an et au taux effectif global de 4,523410 % l'an, remboursables en 240 échéances mensuelles de 759,18 euros, destiné à financer "l'achat et les travaux dans un appartement ancien, Résidence principale de tiers locataire" ;
Les échéances des deux prêts étant impayées à compter du 30 octobre 2010, la banque avait prononcé la déchéance du terme pour les deux prêts par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée le 5 janvier 2011 à Monsieur M.
Après la délivrance, le 10 septembre 2015, de deux commandements de payer valant saisie immobilière pour obtenir le paiement des sommes dues en vertu des deux actes notariés de prêt exécutoires du 30 septembre 2005, la banque a fait assigner le 26 novembre 2015 Monsieur M à comparaître à l'audience d'orientation du Juge de l'Exécution.
Devant ce dernier, Monsieur M avait invoqué la prescription de l'action en recouvrement de la banque et le Juge de l'Exécution a accueilli cette fin de non-recevoir soulevée sur le fondement de l'article L 137-2 ancien du Code de la Consommation
En cause d'appel, la banque, créancier poursuivant, sollicitait de dire que Monsieur M n'avait pas contracté le prêt en qualité de consommateur mais de professionnel et de constater, en conséquence, que la prescription de l'action n'était pas biennale mais quinquennale.
Il convient de rappeler que selon l'article R 311-5 du Code des Procédures Civiles d'exécution, aucun moyen de fait ou de droit ne peut être formulé pour la première fois devant la cour d'appel après l'audience d'orientation à moins que la contestation porte sur les actes de procédure postérieurs à cette audience
La question était alors de savoir si le moyen tiré de la qualité de professionnel de Monsieur M et de l'application en conséquence de la prescription quinquennale, soutenue par le créancier poursuivant pouvait être soulevé à hauteur de Cour et être considéré comme une contestation ou demande incidente.
La banque fournissait un Kbis de Monsieur M en date du 21 décembre 2016 dans lequel ce dernier indiquait une activité de "loueur en meublé professionnel" qui avait commencé le 31 décembre 2004 et pour laquelle il s’était fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés le 11 juillet 2005.
Ceci était par ailleurs en corrélation avec les actes notariés de prêt en date du 30 septembre 2005 qui servaient de fondement aux poursuites alors même que les prêts litigieux avaient pour objet le financement de l'acquisition de deux lots dans un même ensemble immobilier aux fins de résidence principale de tiers locataires.
La banque considérait que la fin du non-recevoir tirée de la prescription soulevée par Monsieur M n’était pas assimilable à une contestation ou une demande incidente et n'entrait donc pas dans les prévisions de l'article R 311-5 du Code des Procédures Civiles d'Exécution.
La banque considérait que ce moyen ne constituait pas non plus une demande nouvelle mais un moyen nouveau de défense qui tendait aux mêmes fins que celles soumises au premier juge en ce qu'il visait à contester la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur M et à établir que la prescription n'était pas encourue, afin de poursuivre son action en recouvrement sur le fondement des commandements aux fins de saisie immobilière objet de son assignation à comparaître.
Pour autant, la Cour de Cassation ne s’y trompe pas.
La Haute juridiction rappelle qu’il résulte de l'article R. 311-5 du Code des Procédures Civiles d'Exécution que les contestations et demandes incidentes soulevées après l'audience d'orientation ne sont recevables que si elles portent sur des actes de la procédure de saisie immobilière postérieurs à cette audience ou si, nées de circonstances postérieures à celle-ci, elles sont de nature à interdire la poursuite de la saisie et que cette règle s'impose à toutes les parties appelées à l'audience d'orientation
Fort de ce principe très largement consacré par sa propre jurisprudence, la Cour de Cassation poursuit son argumentation et soutient que le moyen tiré de la qualité de professionnel du débiteur saisi et, par voie de conséquence, de l'application de la prescription quinquennale, avait été soulevé pour la première fois en cause d'appel, de sorte qu'elle devait prononcer d'office son irrecevabilité, peu important que ce moyen ait été soulevé par le créancier en réponse à une fin de non-recevoir soulevée par le débiteur.
Une fois n’est pas coutume, la rigueur de la procédure de saisie immobilière à hauteur de Cour est opposée à la banque et cette jurisprudence mérite d’être saluée.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,