Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en décembre dernier et qui vient aborder les difficultés liées au croisement entre le droit de la saisie pénale de créance et le droit des entreprises en difficulté.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, par acte sous seing privé du 28 octobre 2009, plusieurs actionnaires, parmi lesquels Madame L ont cédé l'intégralité des actions de la SAS v à la SAS FH.
Cette dernière ayant refusé de s'acquitter du solde du prix, les cédants l'ont fait assigner devant le Tribunal de Commerce.
La société a sollicité, à titre reconventionnel, l'annulation de la vente.
Par jugement du 13 décembre 2012, la demande des cédants a été accueillie.
Par arrêt, devenu irrévocable, du 23 septembre 2014, rectifié par un arrêt du 18 novembre 2014, la Cour d'Appel a infirmé ce jugement, annulé la cession pour dol et ordonné la restitution, par les cédants, des sommes perçues, et par les cessionnaires, des actions.
Une procédure de sauvegarde judiciaire
Par jugement du 5 novembre 2014, le Tribunal de Commerce a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société et a désigné Madame X en qualité d'administrateur judiciaire.
Une procédure de saisie immobilière
Les 29 septembre et 9 novembre 2015, la société et ses mandataires ont délivré à Madame L, sur le fondement de l'arrêt du 23 septembre 2014, deux commandements valant saisie immobilière portant sur diverses parcelles de vigne dont elle était propriétaire et l'ont assignée à une audience d'orientation.
Le Juge de l'Exécution a rejeté l'ensemble des contestations soulevées et ordonné la vente forcée de l'immeuble.
Un jugement du 22 novembre 2016, confirmé par un arrêt du 27 juin 2017, a prononcé l'adjudication des lots saisis.
Le 5 décembre 2016, Monsieur et Madame W ont surenchéri du dixième pour chacune des adjudications.
Et une procédure pénale avec saisie pénale de créance
Pour autant, le 27 mars 2017, lors d'une instruction ouverte pour escroquerie au jugement et faux, un juge d'instruction a ordonné la saisie de la créance détenue par la société sur Madame L.
Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de la chambre de l'instruction de la même Cour d'Appel du 18 mai 2018.
La société a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
La chambre criminelle a considéré que le prononcé d'une mesure de sauvegarde n'interdisait pas que soit ordonnée une saisie pénale d'une créance, ni ne limite les effets d'une telle saisie préalablement ordonnée.
Le juge de l'exécution ne peut apprécier la validité de la saisie pénale au regard des règles relatives à la procédure de sauvegarde.
Dès lors, la procédure collective n’est pas toujours une procédure utile pour empêcher une saisie pénale immobilière.
Entre procédure de sauvegarde et saisie pénale de créance qui l’emporte ?
Dans le cadre de cette procédure, Madame L faisait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative à l'absence de créance de la société, de procéder à la vente sur surenchère des deux immeubles lui appartenant, et de donner acte à la société de ce que le produit de la vente sera remis au commissaire à l'exécution du plan et qu'il ne sera utilisé qu'en concertation avec le Ministère Public.
Elle considérait que la mesure de saisie pénale qui avait été ordonnée malgré l'existence d'une procédure de sauvegarde devait produire ses effets jusqu'à ce que le juge qui l'avait ordonnée en autorise la mainlevée
La Cour d'Appel ne pouvait donc refuser de faire produire effet à une saisie pénale ordonnée par le juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance et qui n'avait pas fait l'objet d'une mainlevée, peu important que le débiteur saisi bénéficie d'une procédure de sauvegarde.
Quelle est la solution ?
La Cour de Cassation ne partage pas cette analyse,
La Haute juridiction rappelle, au visa des articles 706-144 et 706-153 du Code de Procédure Pénale et l'article L. 622-21, II du Code de Commerce, que le prononcé d'une mesure de sauvegarde n'interdit pas que soit ordonnée une saisie pénale d'une créance, ni ne limite les effets d'une telle saisie pénale préalablement ordonnée.
Dès lors le Juge de l'Exécution ne peut apprécier la validité de la saisie pénale au regard des règles relatives à la procédure de sauvegarde.
Cette saisie pénale de créance s’impose.
La cour précise que le Juge de l'Exécution ne peut poursuivre la vente sur surenchère d'un immeuble, quand bien même l'audience d'orientation aurait fixé les termes de la vente sur adjudication du bien immobilier et une première adjudication aurait déjà été prononcée, lorsque la saisie pénale de la créance, cause de la saisie immobilière, a été ordonnée par un Juge d'instruction postérieurement à la première adjudication.
Dans cette hypothèse, la vente sur surenchère de l'immeuble ne peut avoir lieu que sur l'autorisation du Juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction délivrée en application des articles 706-143 et 706-144 du code de procédure pénale, ce juge pouvant décider que la saisie pénale sera reportée sur la somme revenant au créancier dans le prix d'adjudication et consignée sans délai auprès de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués
Qu’importe que la vente aux enchères ait été effectuée et que l’acte translatif de propriété a été réalisée au profit des adjudicataires, la saisie pénale de créance l’emporte.
Cette jurisprudence est importante et éclaire le prévenu pénalement saisi sur les enjeux d’une ouverture d’une procédure collective, qu’il soit débiteur, ou créancier, dont il ne trouvera pas forcément le salut pour bénéficier de l’arrêt des poursuites individuelles si efficace en procédure de sauvegarde de justice, de redressement judiciaire ou même de liquidation judiciaire.
Pour autant, et fort heureusement, d’autres protections existent….
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,