Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en mai dernier et qui vient aborder la question très spécifique de la saisie pénale immobilière réglementée par le Code de procédure pénale et qui vient quand même porter clairement atteinte au droit de la propriété.
Cette jurisprudence est d’autant plus intéressante qu’elle amène à s’interroger sur l’étendue des pouvoirs du Juge d’instruction décidant d’ordonner une saisie pénale immobilière alors même que l’instruction n’est pas terminée et que, par là même, le principe de présomption d’innocence prévaut, ce qui n’est quand même pas rien.
Tel était le débat devant la chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Cayenne, dans le cadre d’une information ouverte à l’encontre de Monsieur X pour des chefs d’infraction à la législation sur les jeux en bande organisée et de blanchissement aggravés, ladite chambre d’instruction confirmant les Ordonnances du Juge d’instruction sur ce point.
Quels sont les faits ?
Il convient de reprendre les faits de l’espèce.
Monsieur X avait été mis en examen des chefs d’infraction à la législation sur les jeux en bande organisée et blanchissement aggravés.
Faits commis entre 2011 et 2014 consistants dans l’organisation de jeux clandestins qui avait produit un bénéfice total estimé à plusieurs milliers d’euros.
Sommes que Monsieur X avait, comme de rien, « omis » de déclarer à l’administration fiscale et auprès des Caisses, sociale et qui avait étés « blanchies » en octroyant des prêts personnels ou des prêts sur gages au profit de tierces personnes qui ont pu acquérir par ce biais différents biens immobiliers outre les classiques dépenses de la vie courante.
C’est dans ces circonstances, que dans le cadre de la mise en examen dans la procédure d’instruction ouverte contre Monsieur X, des chefs d’infraction de la législation sur les jeux en bande organisée et blanchissement aggravés, le juge d’instruction avait finalement ordonné la saisie pénale, et donc la confiscation de 5 biens immobiliers dont Monsieur X était propriétaire, en considérant notamment que la valeur totale des biens équivalait en tout ou en partie aux produits des infractions reprochées.
L’intéressé encourait également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie de son patrimoine.
Saisie pénale et confiscation des immeubles
C’est dans ces circonstances que Monsieur X a interjeté appel puis un pourvoi en Cassation sur cette saisie pénale immobilière qu’il entendait contester.
Il convient de rappeler qu’aux termes des dispositions de l’article 131-21 alinéa 6 du Code de procédure pénale, il est possible d’envisager la confiscation qui peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi dont il a la disposition.
Ainsi, l’article 131-21 alinéa 6 du Code de procédure pénale, permet au Juge d’instruction de procéder à une saisie de l’intégralité ou d’une partie du patrimoine immobilier et mobilier de Monsieur X.
C’est dans ces circonstances que le juge d’instruction a sollicité la saisie pénale des actifs immobiliers de Monsieur X, en lien avec les faits de blanchiment aggravés, pour lesquels il avait été mis en examen, confisquant ainsi son patrimoine personnel.
Pour autant, Monsieur X entendait soulever plusieurs moyens de contestations.
Au niveau procédural, ce dernier soulevait le fait que la saisie de tout ou partie du patrimoine ne peut être ordonnée par le Juge d’instruction que sur requête du Procureur de la République ou d’office après avis du ministère public.
Monsieur X faisait notamment valoir que le Juge d’instruction ne pouvait valablement ordonner la saisie d’une partie de son patrimoine, sur le fondement de l’article 706-148 du Code de procédure pénale dès lors que la saisine du ministère public portait sur 5 saisies immobilières distinctes reposant ainsi sur une base légale différente puisque ce dernier se fondait sur l’article 706-150 du Code de procédure pénale.
Monsieur X reprochait au Juge d’instruction de s’être borné à affirmer qu’il pouvait valablement limiter la saisie du patrimoine de 5 immeubles litigieux.
A bien y comprendre, il appartenait au juge d’instruction de vérifier que le bien immobilier dont il a ordonné la confiscation dans le cadre de la saisie pénale était bien compris et visé dans les réquisitions prises par le Ministère public au même titre que les autres biens immobiliers qui ont été saisis.
Et que dès lors, c’est à bon droit que Monsieur X faisait valoir que la confiscation du patrimoine dont il avait fait l’objet portait à une atteinte grave et manifestement injustifiée au regard du droit et au respect de ses biens.
De plus, Monsieur X reprochait au Juge de s’être borné à affirmer de manière générale et abstraite que les saisies litigieuses ne caractérisaient pas une attente grave, dans la mesure ou il ne s’agissait que de mesures conservatoires, par là même compatibles avec la notion de proportionnalité de l’atteinte portée au droit et au respect des biens de Monsieur X par la portée des confiscations au regard de sa situation personnelle.
Ce point est important, car il rappelle quand même que la mesure du Juge d’instruction n’est que conservatoire et n’a vocation qu’à perdurer jusqu’à la décision pénale définitive de condamnation pour lequel celle-ci doit être intégralement reprise.
La Cour de Cassation retient cette argumentation et fait droit de l’interprétation de Monsieur X.
Caractère proportionnel de la confiscation
En effet, la Cour de Cassation rappelle que le Juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionnel de l’atteinte porté au droit d’intérêt et que par ailleurs, tout jugement ou arrêt doit comporter des motifs propres à justifier sa décision.
Au niveau de la décision rendue par le juge d’instruction, il convient de rappeler, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale, ainsi qu’au visa du protocole n°1 à la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme, que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
La Cour de Cassation reproche au Juge d’instruction, et à la chambre d’instruction de la Cour d’appel, de rejeter le moyen de l’atteinte disproportionnée portée au droit de la propriété du demandeur au seul motif pris que les saisies pénales immobilières en cause ne seraient pas de nature à constituer une atteinte à la propriété privée dès lors qu’elles ne constituent que des mesures conservatoires.
Or, la Cour de Cassation rappelle qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les meures critiquées en ce qu’elles concernent les éléments de patrimoine insusceptibles de constituer le produit d’infraction ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de Monsieur X, le juge d’instruction n’avait pas justifié sa décision.
Cet arrêt est intéressant à bien d’un titre.
En premier lieu, il convient de rappeler qu’il appartient au Juge d’instruction de motiver ses décisions et de d’établir le lien, actif par actif, produit par produit entre l’infraction caractérisée et l’actif saisi tout en caractérisant clairement la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect des biens appartenant au mis en examen.
Il ne peut se satisfaire d’une phrase type en indiquant, de manière parfaitement évasive et par une formulation générique, que la mesure de saisie a été ordonnée au regard de la situation personnelle du mis en examen, alors qu’il appartient au juge de caractériser de manière spécifique et développée les raisons de la confiscation.
Par ailleurs, cette jurisprudence rappelle que la mesure prise de confiscation qui est la première étape du droit de la saisie pénale immobilière, n’est qu’une mesure conservatoire et surtout qu’une mesure provisoire qui ne peut durer par nature que jusqu’à ce que la juridiction pénale statue et condamne de manière définitive Monsieur X, des chefs d’infraction qui lui sont reprochés.
En effet, devant la juridiction correctionnelle, la saisie pénale devra être confirmée et réitérée avec une décision de la juridiction pénale qui devrait être immanquablement motivée.
Sans quoi celle-ci ne serait plus valable.
Rappelons à cette fin que la juridiction pénale ne peut reconfirmer la saisie pénale immobilière par une simple substitution de motif de ce qu’a été pris par le Juge des libertés et de la détention, du Juge d’instruction alors qu’il prend un caractère définitif avec une appréhension totale et définitive de l’actif immobilier en question.
La saisie pénale immobilière n’est pas de droit pour le ministère public ni pour le Juge d’instruction ou le Juge des libertés et de la détention.
Elle a vocation à être caractérisée en disposition du Code de procédure pénale aux articles 706-148 et suivants déterminent clairement les conditions dans laquelle la saisie doit être faite.
Elle doit être proportionnée et largement motivée au travers d’un lien direct avec l’infraction pour lequel Monsieur X serait mis en examen ou tel prévenu serait poursuivi, et surtout la mesure n’est que conservatoire et provisoire.
Les moyens de contestations ont nombreux.
Les obligations à la charge du ministère public et du Juge d’instruction le sont tout autant.
Ce qui est autant d’atouts et de points de développement qui doivent être pris en considération pour permettre au mis en examen de se défendre afin de préserver son patrimoine qui n’est pas forcément en lien avec l’infraction pour laquelle celui-ci est mis en examen et qu’on lui reprochait.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,