Il convient de s’intéresser à deux arrêts qui ont été rendus récemment par la Cour de Cassation, en septembre 2014 et en février 2015, et dans lesquels est abordée la question spécifique de l’hypothèse d’une saisie immobilière qui a été diligentée suite à une première procédure de saisie immobilière qui a fait l’objet, tantôt d’une caducité, tantôt d’un désistement, et ce sans retenir l’hypothèse particulière d’une transaction (non analysée ici) qui aurait pu être envisagée entre les parties.
En effet, dans les deux cas, une première procédure de saisie immobilière est envisagée puis, finalement, en l’état d’éventuels accords entre les parties, ou de vicissitudes procédurales, la première procédure est arrêtée,
Cela peut également arriver dans l’hypothèse somme toute assez rare ou le créancier n’aurait pas été suffisamment diligent et sa procédure aurait été rendue caduque, sanctionnant ainsi le demandeur défaillant.
Dans le cadre du premier arrêt, le Crédit Foncier de France avait fait délivrer à Madame et Monsieur X un commandement de payer valant saisie immobilière le 28 février 2009.
Il s’en était suivi tout naturellement une assignation à l’audience d’orientation, puisque le commandement de payer est le préalable indispensable et nécessaire à la procédure de saisie immobilière qui va s’ensuivre, avec des étapes bien précises, ledit commandement de payer valant saisie étant publiée à la Conservation des hypothèques,
Passé cette double étape, le créancier peut assigner le débiteur malheureux devant le juge de l’orientation.
L’assignation à l’audience d’orientation avait été engagée le 29 mai 2009 et il s’en était suivi un jugement de caducité en date du 28 janvier 2010,
En effet, dans cette décision, le juge de l’orientation avait constaté la caducité du commandement.
Cependant, la banque n’entendait pas en rester là,
La banque avait donc engagé une nouvelle procédure afin de faire valoir sa créance et, surtout, afin de procéder à la réalisation de l’actif immobilier de son emprunteur, désormais appelé débiteur.
Ainsi, une nouvelle procédure avait été engagée et la banque avait donc fait délivrer aux consorts X un nouveau commandement de payer aux fins de saisie immobilière le 15 décembre 2011.
Les consorts X ont alors opposé à la banque la prescription biennale consacrée depuis la loi de 2008 et ce au visa de l’article L 137-2 du Code de la consommation, qui rappelle que la prescription est désormais biennale en ce compris en droit immobilier, de telle sorte que la banque ne pouvait donc plus saisir ces derniers dans le cadre de la deuxième procédure de saisie afin de procéder à la réalisation de l’actif.
La banque considère quant à elle que le commandement de payer valant saisie immobilière qui avait été engagé le 15décembre 2011 avait été introduit dans les délais de prescription de telle sorte qu’au visa de article 2241 du Code civil, la première assignation serait interruptive de prescription.
Dans le cadre du pourvoi en cassation, la banque fait preuve d’une imagination et vient distinguer le sort du commandement de payer valant saisie, lequel avait été déclaré caduque, de l’assignation à l’audience d’orientation, laquelle aurait malgré tout maintenu ses effets.
De telle sorte que ladite assignation aux fins de voir le bien vendu aux enchères publiques et aux fins de convoquer le débiteur devant le juge de l’orientation, ne serait quant à elle pas prescrite et aurait bien un effet interruptif de prescription.
Ainsi, aux yeux de la banque, la caducité n’aurait frappé que le seul commandement de payer valant saisie immobilière qui aurait été délivré par la banque.
L’approche est spécieuse, puisqu’il est bien évident que l’assignation à comparaître devant le juge de l’orientation est la suite inévitable et complémentaire du commandement de payer valant saisie immobilière qui, quant à lui, est le « premier acte » qui permet justement de lancer la procédure de saisie immobilière proprement dite.
La Cour de Cassation ne s’y trompe pas,
Elle rappelle qu’au visa de l’article L 311-1 et suivants du Code de la procédure civile d’exécution, ainsi que de l’article 2244 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et des dispositions de l’article L 137-2 du Code de la consommation, la caducité qui frappe un commandement de payer valant saisie-immobilière le prive rétroactivement de tous ses effets, et atteint donc tous les actes de la procédure de saisie qu’il engage.
Dès lors, la procédure de saisie immobilière engagée en 2009 est immanquablement et intégralement caduque et cette décision de caducité ne peut être interruptive de prescription quelle qu’elle soit.
Dans la mesure ou le premier commandement de payer valant saisie immobilière a été déclaré caduque, la banque ne peut signifier un second commandement de payer valant saisie immobilière que dans le même délai légal de deux ans courant depuis le premier impayé, qu’importe la première procédure caduque,
Dès lors, il appartient à l’établissement bancaire de lancer la deuxième procédure dans les délais,
En cas de signification dudit deuxième commandement de payer valant saisie immobilière hors-délai, la prescription est acquise.
Dans le deuxième arrêt, de septembre 2014, la banque s’était prévalue d’une déchéance du terme intervenue le 27 mai 2008 et a fait délivrer à Madame Y, le 24 novembre 2009, un commandement de payer aux fins saisie-vente, ainsi qu’à Monsieur Y, son époux, un premier commandement de payer valant saisie portant sur l’immeuble donné en garantie.
Le juge de l’exécution avait alors ordonné à l’audience d’orientation l’adjudication de l’immeuble et avait constaté in fine, le 30 novembre 2010, la caducité du commandement de payer valant saisie immobilière, faute pour la banque d’avoir finalement requis l’adjudication.
La banque n’en était pas restée là et avait réitéré la procédure de saisie immobilière par un nouveau commandement de payer signifié le 10 novembre 2011 à Monsieur X, qui avait naturellement contesté à l’audience d’orientation la deuxième procédure de saisie immobilière, au motif pris que celle-ci était prescrite.
Ainsi le juge de l’exécution a annulé le deuxième commandement de payer valant saisie immobilière comme se heurtant à la prescription biennale découlant de l’article L 137-2 du Code de la consommation.
Là encore, la deuxième procédure de saisie immobilière est prescrite,
En effet, au visa de l’article R 322-27 du Code de procédure civile d’exécution, ainsi que de l’article 2244 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et de l’article L 137-2 du Code de la consommation, la Cour de Cassation a considéré que la caducité atteignait la mesure d’exécution qui avait été rendue initialement et la privant ainsi rétroactivement de tous ses effets, de telle sorte que la nouvelle action à la banque contre Madame Y, était soumise au délai de prescription de deux ans et qu’il y avait matière à relever que le deuxième commandement de payer valant saisie était immanquablement hors-délai puisque le premier avait été déclaré caduque.
En tout état de cause, le deuxième commandement de payer valant saisie avait été engagé au-delà du délai de prescription.
Ainsi, la jurisprudence est extrêmement claire, en l’état de ces deux arrêts qui ont été rendus par la Cour de Cassation, à moins de six mois d’intervalle.
La caducité qui atteint une mesure d’exécution la prive rétroactivement de tous ses effets, y compris l’effet interruptif de prescription prévu par l’article 2244 du Code civil.
Encours en conséquence la censure l’arrêt qui retient que la caducité d’un commandement de payer valant saisie immobilière, constaté en application de l’article R 322-27 du Code de procédure civile d’exécution, n’avait pas d’effet sur l’interruption de la prescription intervenue à la date du commandement de payer.
Cette jurisprudence relative à la caducité s’applique également en cas de désistement.
Il n’est en effet pas rare qu’un désistement de procédure intervienne, notamment dans l’hypothèse où un prétendu accord aurait été trouvé.
La jurisprudence confirme qu’en présence d’un désistement pur et simple, ledit désistement permet bien de regarder l’interruption de la prescription comme non-avenue, ce que confirme d’ailleurs la jurisprudence et notamment Cour de Cassation, Chambre commerciale du 12 juillet 1994,
Dans l’hypothèse où un désistement pur et simple aurait été acté par le juge de l’orientation, celui-ci ne pourrait être considéré comme interruptif de prescription.
Par voie de conséquence, le délai aurait immanquablement couru dès le dernier impayé antérieur jusqu’à la nouvelle procédure de saisie immobilière, tant bien même une première procédure de saisie immobilière aurait été envisagée et aurait fait l’objet, tantôt d’un désistement, ou tantôt d’une caducité.
Il est bien évident que la procédure de saisie immobilière est une procédure d’exécution qui se comprend comme un tout indivisible,
Dès lors, ni l’établissement bancaire, ni la Cour d’appel ne peuvent considérer que l’assignation à comparaitre devant le juge de l’orientation constitue l’introduction d’une instance autonome, de telle sorte que la caducité du commandement de payer ne peut s’étendre à l’assignation ayant abouti au prononcé de l’arrêt en date du 22 juin 2010,
Il est évident que la caducité du commandement de payer valant saisie au débiteur entraîne également celle de l’ensemble des actes subséquents de la procédure d’exécution et prive donc ces derniers de leur effet interruptif du délai de prescription.
Par voie de conséquence, dans l’hypothèse ou l’établissement bancaire engage une première procédure de saisie immobilière qui s’achève par une décision de caducité ou bien encore de désistement, celle-ci ne peut envisager d’engager une deuxième procédure de saisie en respectant bien le délai de prescription,
Car il ressort justement des deux arrêts étudiés que la caducité ou bien encore le désistement de la première procédure de saisie immobilière lui enlève tout caractère interruptif au sein du délai de prescription biennale,
De même, ces deux jurisprudences viennent également sanctionner certaines pratiques qui amèneraient les établissement bancaires à engager des mesures d’exécution pour obtenir un accord ou un paiement, pour ensuite stopper la mesure et la relancer en cas de nouveau mécontentement de la banque, ce qui assujettirait en permanence l’emprunteur, devenu désormais débiteur, à une menace de saisie immobilière quasi perpétuelle.
Dès lors, ces jurisprudences viennent rééquilibrer le rapport de force bien souvent inégalitaire entre la banque toute puissante et l’emprunteur devenu débiteur,
Elles rappellent surtout que l’emprunteur malheureux a des droits et qu’il dispose de nombreux moyens de fait et de droit pour se défendre, dits moyens qu’il doit les manifester au plus tard devant le juge de l’orientation.