Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation du 28 mars 2024 qui vient aborder le droit spécifique du surendettement des particuliers et qui permet, en cas de difficulté, à la commission de surendettement de saisir le Juge du contentieux et de la protection aux fins d’annuler les mesures d’exécutions.
Il importe également de préciser que le débiteur, lui-même étant mis en difficulté par des créanciers qui essayent de l’exécuter, a aussi la possibilité de saisir lui-même, soit le Juge du contentieux et de la protection, soit le Juge de l’exécution afin de bénéficier de l’arrêt des poursuites individuelles propres au droit du surendettement.
Juge du contentieux et de la protection ou juge de l’exécution ?
La Cour de cassation, dans sa jurisprudence, rappelant que lorsque la décision de recevabilité à la procédure de surendettement a été prononcée, il est interdit au créancier de prendre toute garantie, sûreté, ou mesure conservatoire sur les biens du débiteur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, par décision du 19 juin 2019, la commission de surendettement avait déclaré recevable la demande des consorts X tendant au traitement de leur situation financière.
Or, le 07 août 2019, soit à peine deux mois après, les consorts Y, créanciers des consorts X, ont pris, sur autorisation préalable du Juge de l’exécution, une inscription hypothécaire provisoire sur le bien appartenant à ces derniers.
Saisie d’une contestation par les consorts X, le Juge de l’exécution les a déboutés de leurs demandes d’annulation de l’hypothèque judiciaire provisoire.
C’est dans ces circonstances que les consorts X ont frappés d’appel la décision en litige et la Cour d’appel a ordonné la main levée de l’hypothèque judiciaire provisoire.
C’est dans ces circonstances que les consorts Y se pourvoient en cassation et tentent de combattre les effets pourtant protecteurs du droit du surendettement des particuliers.
À hauteur de Cour de cassation, les consorts Y faisaient griefs à la Cour d’appel de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à voir déclarer irrecevable la contestation de la mesure d’hypothèque judiciaire provisoire pris par les consorts X.
Ces derniers considéraient qu’il résulte de l’article L 761-2 du Code de la consommation que seule la commission de surendettement est compétente pour saisir le Juge des contentieux et de la protection d’une demande d’annulation de toute acte effectué en violation des articles L 722-2 et L 722-5 du Code de la consommation.
Une saisine du juge de l’exécution par la Commission de surendettement
Selon eux, cette compétence du Juge du contentieux et de la protection est une compétence exclusive, de telle sorte que les consorts X ne pouvaient valablement saisir le Juge de l’exécution afin justement de voir lever cette hypothèque judiciaire provisoire.
Or, la Cour d’appel avait considéré, à la lueur de l’article L 722-5 du code de la consommation, qui instaure comme corolaire aux suspensions et interdictions dans le cadre de la procédure de surendettement des procédures d’exécutions diligentées à l’encontre des biens du débiteur, l’interdiction pour celui-ci d’aggraver son insolvabilité.
Pour autant, selon les consorts X, aucune disposition légale n’emporte un dessaisissement du débiteur pour agir en justice.
Par ailleurs, les consorts Y faisaient encore griefs à l’arrêt d’avoir déclaré leurs demandes tendant à voir déclarer inopposable la décision de recevabilité de la commission de surendettement à l’égard des intimés.
Une procédure de surendettement déclarée recevable
En effet, ces derniers considéraient qu’il appartenait à ces derniers, sur un terrain plus procédural et au visa des articles 908 à 910 du Code de procédure civile, de soulever avant toute prétention au fond des demandes tendant à voir déclarer l’adversaire irrecevable dans sa demande, ce qui n’avait pas été fait.
Pour autant, un pourvoi avait également été fait par les consorts X.
En effet, ces derniers reprochaient à la Cour d’appel de les avoir déboutés de leurs demandes d’annulation de l’inscription de l’hypothèque judiciaire provisoire prise sur leur bien immobilier au profit des fameux consorts Y pour une somme de 51 932.00 €.
La demande de main levée de l’hypothèque judiciaire provisoire
Les consorts X, débiteurs en surendettement, se fondaient sur les dispositions de l’article L 722-5 du Code de la consommation qui prohibe toute prise de sûreté ou de garantie sur un bien d’un débiteur postérieurement à la suspension des mesures d’exécutions consécutives à la recevabilité d’un dossier de surendettement du débiteur.
Selon les consorts X, cet article impose une interdiction générale de telle sûreté ou garantie sans limiter son application aux seuls actes pris par le débiteur.
L’interdiction générale de prise de sureté et de garantie en droit du surendettement
Or, force est de constater que par ordonnance sur requête en date du 02 juillet 2019, soit postérieurement à la décision en date du 19 juin 2019 prise par la commission de surendettement déclarant la procédure de surendettement recevable, une hypothèque judiciaire conservatoire avait été accordée aux consorts Y.
Ces derniers considéraient que c’était à tort que la Cour d’appel avait rejeté leurs demandes d’annulation de l’hypothèque judiciaire conservatoire, la Cour d’appel ayant retenu que l’interdiction était limitée aux seules sûretés et garanties accordées par le débiteur et que l’article L 722-5 du Code de la consommation n’interdisait pas la constitution d’une hypothèque conservatoire judiciaire à la demande d’un créancier.
Selon les consorts X, cette motivation de la Cour d’appel, relativement spécieuse il faut bien l’admettre, sont contraires à la lecture de l’article L 722-5 du Code de la consommation tout comme des objectifs de législateur en ce qu’ils permettaient justement l’acquisition par un créancier d’un droit de préférence sur un bien du débiteur postérieurement à la décision de recevabilité.
Or, cela est immanquablement contraire au sacrosaint principe de l’arrêt des poursuites individuelles édictées aussi bien en droit de la faillite au niveau commercial qu’en droit de surendettement des particuliers.
L’arrêt des poursuites individuelles en droit du surendettement
La Cour de cassation apporte un certain nombre de réponses constructives sur ce point et met en exergue le principe de l’arrêt des poursuites individuelles, ce qui n’est pas négligeable.
Concernant la question relative au choix procédural entre le Juge du contentieux de la protection saisi par la commission de surendettement ou le Juge de l’exécution saisi par le débiteur, la Cour de cassation rappelle que, selon l’article 31 du Code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention sous réserves des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention pour défendre un intérêt déterminé.
Plus précisément, il résulte de l’article L 761-2 du Code de la consommation que tout acte effectué en violation de l’article L 722-2 du même Code posant le principe de l’interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur peut être annulée par le Juge des contentieux de la protection à la demande de la commission de surendettement présentée pendant le délai d’un an à compter de la date du paiement de la créance.
La compétence du juge des contentieux de la protection
Au terme des deux premiers alinéas de l’article L 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, le Juge de l’exécution connait de manière exclusive des difficultés relatives au titre exécutoire et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée même si elle porte sur le fond du droit, à moins qu’elle n’échappe à la compétence des juridictions dès lors judiciaires.
Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connait des contestations relatives à leur mise en œuvre.
Il en résulte, pour la Cour de cassation, que la faculté pour la commission de surendettement de saisir le Juge du contentieux et de la protection afin d’annulation de la mesure ne fait absolument pas obstacle au droit du débiteur de contester une mesure conservatoire devant le Juge de l’exécution.
La compétence du juge de l’exécution saisi directement par le débiteur
Ainsi, les consorts X disposaient bien d’un intérêt légitime à voir ordonner la main levée de l’hypothèque judiciaire provisoire et retenu à bon droit qu’aucune disposition légale n’emporte dans les procédures de surendettement le dessaisissement du débiteur pour agir en justice car effectivement le débiteur demeure plénipotentiaire de ses droits, celui-ci n’est pas dessaisi au profit de la commission de surendettement.
Et, qu’à défaut de réponse dans les délais légaux de la commission de surendettement qui avait effectivement la faculté de saisir le Juge du contentieux et de la protection, rien n’empêche le débiteur de saisir le Juge de l’exécution pour faire état de cet arrêt des principes individuels et ordonner la main levée de l’hypothèque judiciaire provisoire.
Bien plus, la Cour de cassation précise encore, au visa des articles L 722-2 et L 722-5 du Code de la consommation qu’aux termes du premier de ces textes, la recevabilité de la demande de surendettement emporte suspension et interdiction des procédures d’exécutions diligentées à l’encontre des biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunérations consenties par celui-ci et portant sur les dettes autre que alimentaires.
Les effets attachés à la demande de surendettement
Selon le deuxième article, L 722-5 du Code de la consommation, la suspension à l’interdiction des procédures d’exécutions diligentées à l’encontre des biens du débiteur emporte interdiction pour celui-ci de faire tout acte qui aggraverait son insolvabilité, de payer en tout ou en partie une créance autre qu’alimentaire y compris les découverts mentionnés au 10 et 11 de l’article L 311-1 nés antérieurement à la suspension à l’interdiction de désintéresser les cautions qui acquitteraient des créances nées antérieurement à la suspension à l’interdiction de faire un acte de disposition étranger à la gestion normale du patrimoine, elles emportent aussi interdiction de prendre toute garantie ou sûreté.
Pour la Cour de cassation, il résulte de la combinaison de ces textes que lorsque la décision de recevabilité à la procédure de surendettement a été prononcée, il est interdit au créancier de prendre toute garantie, sûreté ou mesures conservatoires sur les biens du débiteur.
Dès lors, la Cour de cassation, dans sa sagesse, considère que la Cour d’appel a violé les textes susvisés en rejetant la demande de l’annulation de l’hypothèque judiciaire provisoire, ce qui est extrêmement satisfaisant.
L’annulation de l’hypothèque judiciaire provisoire ordonnée
Cette jurisprudence, certes un peu technique au niveau procédural, rappelle quand même que lorsque les créanciers s’acharnent contre un débiteur en difficulté et que celui-ci fait le choix stratégique et économique de se placer sous le coup des mesures de protection du droit du surendettement des particuliers ne doit justement pas permettre aux créanciers de poursuivre ces mesures d’exécutions et d’accentuer les difficultés à l’encontre du débiteur qui vient justement chercher un souffle devant la commission de surendettement et des solutions pratiques qui lui permettront de faire face à ses engagements tout en préservant en même temps ses actifs personnels et sa résidence principale si besoin était.
Les avantages du droit du surendettement
Dès lors, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle permet de rappeler au débiteur en difficulté que le droit du surendettement offre des portes de sortie rassurantes, lui permettant bien sûr de faire face à ses engagements tout comme il peut aussi contester les créances réclamées par les différents créanciers qui peuvent être remises en question.
Et, surtout, il peut obtenir des délais afin de faire face à ses engagements ou de trouver des solutions dans la longueur qui lui permettront surtout de conserver son actif personnel.
Ce qui est quand même intéressant et, dans l’hypothèse où par extraordinaire un créancier aurait l’idée saugrenue de s’acharner nonobstant la recevabilité de la procédure de surendettement, aussi bien la commission de surendettement pourra saisir le Juge du contentieux et de la protection pour obtenir la main levée de ces mesures prises par ce créancier acharné, mais à défaut, le débiteur sera aussi lui-même en mesure de saisir le Juge de l’exécution pour contester ces mesures d’exécutions acharnées.
Ce qui est extrêmement rassurant.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,