Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 30 mai 2024, N°2024/131, et qui vient aborder l’hypothèse assez rare finalement d’une tierce-opposition faite par un créancier hypothécaire souhaitant s’opposer à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire par le débiteur qui souhaite échapper à une procédure de saisie immobilière, ce dernier souhaitant se prévaloir des dispositions particulièrement protectrices du droit de l’entreprise en difficulté.
En effet, le débiteur placé en redressement judiciaire souhaitant bénéficier de l’arrêt des poursuites attaché à l’ouverture de la procédure collective.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, Monsieur F, ancien promoteur immobilier dans le Var, avait fait l’objet d’une procédure de saisie immobilière enclenchée par l’établissement bancaire mais également par un créancier particulier qui avait apporté des fonds importants à Monsieur F.
C’est dans ces circonstances qu’un arrêt avait été rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence et qui avait débouté Monsieur F de l’ensemble de ses moyens de contestation dans le cadre de la procédure de saisie immobilière dont il était frappé et pour lequel Monsieur L, créancier hypothécaire, avait sollicité la vente aux enchères publiques du bien.
La vente aux enchères publiques du domicile du débiteur ordonnée
Monsieur F étant professionnel de l’immobilier et exerçant une activité de marchand de biens, ce dernier, afin d’éviter l’audience d’adjudication et donc la vente aux enchère publiques du bien, a su solliciter du Tribunal de commerce une procédure de redressement judiciaire.
Il convient de rappeler, qu’au titre du sacrosaint principe de l’arrêt des poursuites individuelles, tout créancier qui envisage des mesures d’exécution à l’encontre du débiteur voit ses procédures suspendues le temps des opérations de redressement judiciaire, empêchant par la même les créanciers de réaliser l’actif immobilier dudit débiteur dans le cadre de la procédure de saisie immobilière.
C’est dans ces circonstances que par jugement en date du 09 mai 2022 le Tribunal de commerce de Fréjus avait ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de Monsieur F, lequel exerçait une activité de marchand de biens.
Le 19 juillet 2022, Monsieur L, créancier hypothécaire de Monsieur F, avait formé tierce opposition à l’encontre de cette décision et, par jugement en date du 26 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Fréjus avait déclaré la tierce opposition de Monsieur L irrecevable pour avoir été faite hors délai.
Une tierce opposition du créancier contre le jugement de redressement judiciaire
Dans un premier temps, le Tribunal de commerce a, à juste titre, débouté le créancier de son opposition.
En effet, les premiers Juges relevant que le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de Monsieur F avait été publié au BODACC le 13 mai 2022, de telle sorte qu’en application des dispositions de l’article R 651-2 du Code du commerce, Monsieur L disposait à compter de cette date d’un délai de dix jours pour former tierce opposition.
Cette tierce opposition initiée par Monsieur L étant intervenue le 19 juillet 2022, celle-ci était immanquablement hors délai.
C’est dans ces circonstances que Monsieur L a interjeté appel de la décision en question.
Monsieur L soutenait que la tierce opposition au jugement du 26 septembre 2022, qu’il a formé par déclaration au greffe le 19 juillet 2022, était parfaitement recevable.
Le délai strict de la tierce opposition en procédure collective
Monsieur L exposait que le délai de dix jours, à compter de la publication du jugement au BODACC visé à l’article R 661-2 du Code du commerce et par application des dispositions de l’article 643 du Code de procédure civile, augmentait d’un délai de deux mois lorsque le demandeur à la tierce opposition demeurait à l’étranger.
Or dans la mesure où celui-ci était domicilié en Côte d’Ivoire il disposait donc, à compter du 13 mai 2022 date de la publication du jugement de la procédure collective au BODACC, d’un délai de deux mois et de dix jours, soit, jusqu’au 23 juillet 2022.
A bien y comprendre, sa tierce opposition formée par déclaration au greffe le 19 juillet 2022 devait être déclarée recevable.
Ce dernier précisant encore que le délai supplémentaire de deux mois de l’article 643 du Code de procédure civile est établi par une loi, tandis que le délai dérogatoire de dix jours en matière de procédure collective est prévu par décret, relevant donc de normes inférieures.
Et, qu’en tout état de cause, le refus de lui accorder un délai supplémentaire violerait l’article 6-1 de la convention Européenne des Droits de l’Homme qui prévoit le principe fondamental du droit à un procès équitable.
Le bien-fondé de la tierce opposition
Sur le bien-fondé de cette tierce opposition, Monsieur L rappelait que Monsieur F s’était réimmatriculé le 06 mai 2022 pour être ensuite mis en procédure collective le 09 mai 2022, soit, un mois avant la vente aux enchères publiques de l’actif immobilier lui appartenant.
De telle sorte que ce dernier avait réalisé une manœuvre dolosive dans le seul but d’échapper à ses créanciers hypothécaires.
Que l’état de cessation des paiements n’était pas vérifié et que s’il avait existé, les quarante-cinq jours pour saisir le Tribunal de commerce était largement dépassé puisque Monsieur F avait arrêté de rembourser ses créanciers en 2019.
De telle sorte que la demande de procédure collective faite par Monsieur F relevait immanquablement de la fraude manifeste.
Demande de redressement judiciaire, fraude manifeste ?
Monsieur L soutenait encore que le jugement d’ouverture de la procédure collective lui portait griefs puisqu’elle était en procédure de saisie immobilière contre Monsieur F et que la mise en place de la procédure collective avait annulé ses chances de recouvrement rapide de sa créance.
Rappelant par ailleurs que la Cour de cassation avait admis que le créancier est fondé à agir sur une perte de chance au titre d’un préjudice qui relevait de son intérêt personnel.
Monsieur L soutenant que Monsieur F use un droit d’une voie de droit de manière totalement dilatoire afin de ne pas régler ses créanciers et constate à cet égard qu’il n’a produit aucun élément comptable.
Ce qui laisse planer un doute certain sur l’existence de cette difficulté économique.
Une cessation des paiements non démontrée
Il se considère dès lors victime d’une fraude de ses droits puisque, du fait de la procédure collective, il se retrouve dans l’impossibilité de recouvrer sa créance qu’il estimait s’élever à la somme de 1 132 600.00 €.
Très curieusement, Monsieur F, quant à lui débiteur saisi qui a su se placer sous le bénéfice des dispositions protectrices du droit de l’entreprise en difficulté, soutenait que Monsieur L ne justifiait pas d’avoir déposé sa tierce opposition dans les délais, dont il ne conteste pas qu’elle a été faite par déclaration de greffe avant le 24 mai 2022, soit, en dehors du délai de dix jours à compter de la publication BODACC du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Il en déduit qu’elle est irrecevable au regard des dispositions de l’article R 661-2 du Code du commerce.
Une tierce opposition irrecevable car hors délais ?
Le débiteur expose par ailleurs que si Monsieur L n’était ni présent, ni représenté à l’audience, il n’en demeurait pas moins que par le jeu d’une fiction juridique propre aux entreprises en difficulté, les créanciers sont censés être représentés par le débiteur selon la théorie de la représentation mutuelle des créanciers, sauf à justifier, en application de l’article 583 alinéa 2 du Code de procédure civile, d’une fraude à ses droits ou d’un moyen propre.
Monsieur F soutient que ni l’un ni l’autre ne sont en l’espèce démontré.
Ajoutant par ailleurs que la créance de Monsieur L était déjà abordée au jour même de l’ouverture de la procédure collective et que par conséquent seul l’appel était recevable.
Monsieur F rappelle encore que si l’état de cessation des paiements est caractérisé, le Tribunal doit accéder à la demande du débiteur en ouverture de procédure collective et qu’en l’espèce, l’appelant ne démontre pas en quoi Monsieur F n’avait pas vocation à se protéger et à se mettre sous le bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire, laquelle a tout son sens dès lors que le passif exigible est largement couvert par l’intégralité de l’actif.
Très curieusement, le ministère public a donné son avis le 12 février 2024 qui n’est pas, je dirais, dans la droite habitude du Ministère public.
En effet, dans son avis du 12 février 2024, le ministère public sollicite l’infirmation du jugement relevant que, Monsieur L étant domicilié à l’étranger, il disposait, en application des dispositions de l’article 643 du Code de procédure civile, d’un délai de deux mois et de dix jours pour former la tierce opposition.
Sur le fond, le Ministère public s’en remet à la Cour pour apprécier le bien-fondé de la procédure de redressement judiciaire, ce qui, finalement, effectivement pouvait sembler bien curieux puisque par habitude, dès lors que la cessation des paiements est caractérisée, le Ministère public vient plutôt solliciter la confirmation du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Une réserve du Ministère public surprenante
Cette réserve émise par le Ministère public risquait de permettre de croire à une réformation de la décision d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, ce qui pouvait effectivement sembler à la fois curieuse et inquiétante.
Car, cela aurait replacé Monsieur F en dehors des dispositions protectrices du Code du commerce et, à ce moment-là, son bien aurait pu être adjugé dans des conditions catastrophiques dans le cadre d’une audience de vente aux enchères publiques.
Les conséquences désastreuses d’une réformation
Pour autant, la Cour d’appel ne partage pas, ni la position du ministère public, ni la position de Monsieur L.
L’encadrement des délais de tierce opposition,
En effet, il s’évince des dispositions de l’article R 661-2 du Code du commerce que la tierce opposition à une décision de redressement judiciaire est formée par déclaration de greffe dans un délai de dix jours à compter de la publication bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.
L’article 643 du Code de procédure civile inséré dans le titre « délai acte huissier de justice et notification » dispose que, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France Métropolitaine, les délais de tierce opposition dans l’hypothèse prévue à l’article 586 alinéa 3 sont augmentés de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.
Il se déduit de cette disposition législative et dictant un délai supplémentaire général d’ordre public que les personnes résidant à l’étranger bénéficient pour former tierce opposition d’une prorogation de deux mois de délais fixés à dis jours en matière de procédure collective.
Il est constant que le jugement d’ouverture du redressement judiciaire rendu par le Tribunal de commerce en date du 09 mai 2022 contre lequel Monsieur L a formé tierce opposition a été publié au BODACC le 13 mai 2022.
Il résulte des éléments de la procédure et n’est pas contesté que Monsieur L est domicilié à l’étranger en l’espèce à Abidjan.
En application des dispositions susvisées, Monsieur L disposait donc d’un délai de deux mois et dix jours à compter du 13 mai 2022 pour former tierce opposition.
Il en résulte que la tierce opposition formée par ce dernier, le 19 juillet 2022, n’est pas, contrairement à ce qu’ont retenus les premiers Juges, hors délai.
L’article 583 du Code de procédure civile dispose qu’est recevable à former tierce opposition toute personne qui a intérêt, à la condition qu’elle n’a été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque.
L’intérêt à agir en tierce opposition, quels critères ?
Les créanciers et les autres ayants causes d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leur droit ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
Pour la Cour d’appel, il s’en déduit que le créancier, autre que le créancier assignant qui est une partie et qui est à ce titre recevable à former appel, peut agir sous le fondement de l’article 583 du Code de procédure civile dès lors qu’il est démontré :
- Soit, l’existence de moyens propres,
- Soit, l’existence d’une fraude.
Il résulte des éléments de la procédure par Monsieur L que Monsieur L est détendeur d’une créance hypothécaire en vertu d’un acte notarié du 01er mars 2017 par lequel il a consenti à Monsieur F un prêt professionnel d’un montant de 600 000.00 € garanti par une hypothèque sur la résidence principale de ce dernier.
Cette créance a d’ailleurs fait l’objet, le 24 janvier 2022, d’une déclaration de créance auprès du mandataire judiciaire.
Au regard de sa qualité de créancier, Monsieur L doit démontrer pour être recevable en sa tierce opposition qu’il se trouve dans l’une des deux hypothèses prévues par la loi.
Le fait que l’ouverture d’une procédure collective a pour conséquence de priver d’effet la procédure de saisie immobilière en cours ne peut constituer un moyen propre différent de celui de la collectivité des créanciers.
Dès lors que tout créancier antérieur subit les conséquences de l’interdiction des voies d’exécutions.
Il n’est pas d’avantage démontré que le jugement d’ouverture de la procédure collective ait été rendu en fraude des droits de Monsieur L.
La Cour constate que si les faits et la chronologie démontrés par Monsieur L, soit, l’inscription au RCS de Fréjus le 06 mai 2022, soit, trois jours avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et alors que la date de la vente aux enchères publiques du bien immobilier est déjà fixée, étayée par des éléments de la procédure, peuvent faire suspecter l’éventualité d’une fraude, il n’est pas justifié de l’absence, en l’état de cessation des paiements conditions d’ouverture de redressement judiciaire, au jour où le Tribunal de commerce a statué, par décision du 09 mai 2022 qui n’est pas transmise à la Cour.
Une absence de fraude en l’état de la cessation des paiements
L’affirmation selon laquelle le débiteur disposerait d’un important patrimoine n’est étayée d’ailleurs pas aucun élément probant.
Il résulte, en revanche, d’un rapport du Juge commissaire en date du 17 août 2022 qu’au jour de l’ouverture de la procédure le débiteur n’était plus en mesure de faire face à son passif exigible établi à la « modique » somme de 1 755 100.25 € avec son actif disponible s’élevant à 0.
La Cour d’appel relève en outre que cet état de cessation des paiements a été confirmé par la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, selon jugement en date du 08 juin 2023.
De telle sorte que, pour la Cour, il s’en déduit que la tierce opposition formée par Monsieur L n’est pas recevable.
La décision corrélée est donc confirmée par substitution de motif.
Cette jurisprudence est intéressante à plus d’un titre.
La procédure collective, un panel de stratégie ?
Premièrement, elle démontre la possibilité qu’a effectivement le débiteur saisi, notamment dans le cadre d’une saisie immobilière de protéger son actif en se plaçant sous le coup d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
L’idée est simple, c’est effectivement de pouvoir bénéficier du principe de l’arrêt des poursuites individuelles et de bloquer la procédure de saisie immobilière.
Un arrêt des poursuites individuelles bloquant la saisie immobilière
Bien sûr, cela ne préserve pas pour autant, le débiteur qui doit, à ce moment-là, trouver des alternatives à cette saisie immobilière en présentant un plan de sauvegarde ou un plan de redressement, ce qui lui permet certes de conserver l’actif mais quand même de régler ses créanciers sur un plan de dix ans.
Ce qui, notamment dans le cadre d’un contentieux bancaire, a quand même son avantage puisque cela permettrait d’obtenir un nouvel échéancier sur dix ans, octroyé dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire par le Tribunal de commerce qui donnerait sa confiance au débiteur alors que la banque s’y est toujours refusée.
Un plan de redressement sur 10 ans préservant l’actif immobilier
Bien sûr, en cas de non-paiement, le débiteur saisi sera placé en liquidation judiciaire, ce qui permettra au mandataire judiciaire, par la suite, de réaliser l’actif immobilier.
Ce qui, du coup, n’est pas si salvateur.
À charge donc pour le débiteur de s’assurer que celui-ci peut présenter un plan.
Enfin, n’oublions pas que dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire, ce dernier peut vendre le bien à l’amiable dans de bonnes conditions, avec un appel d’offres organisé par le mandataire liquidateur.
Une vente amiable du bien organisée paisiblement par les organes de la procédure
Ce qui permet, là-encore, d’envisager non pas une vente aux enchères publiques du bien vendu à vil prix dans des conditions parfois catastrophiques mais de vendre le bien à l’amiable dans le cadre d’une organisation paisible de cette vente amiable.
Ce qui permettra de désintéresser les créanciers et, au besoin, de laisser un bonni parfois important au débiteur saisi.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,