En effet, cette procédure de vente en viager permet au vendeur, également appelé crédirentier, de conserver l’usufruit ou à tout le moins, jusqu’à son décès, un droit d’usage et d’habitation du bien immobilier.
L’acheteur, également appelé débirentier, bénéficiant quant à lui de la nue propriété, à charge pour lui de payer un bouquet à la signature de l’acte et une rente au vendeur, d’où le nom de crédirentier, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Toutefois, dans l’hypothèse où l’acheteur, qui a vocation à payer la rente tous les mois, tomberait en liquidation judiciaire, il convient de s’intéresser aux conséquences juridiques, car le vendeur se retrouverait lésé, puisqu’il ne serait pas payé de sa rente mensuelle et cela peut avoir des conséquences dramatiques.
Notamment, lorsque celle-ci sert à payer la maison de retraite de ce dernier.
L’imbrication entre droit de la rente viagère et la liquidation judiciaire génère un certain nombre de questions.
Il convient de d’abord s’intéresser à la créance.
En effet, quel montant doit être déclaré par le vendeur.
Doit-il déclarer les seules créances qui auraient pu être dues jusqu’au jour de l’ouverture de la procédure collective ? Ou est-il également tenu de déclarer l’ensemble des créances à échoir, qui ont vocation à être payées au mois le mois ?
Nous sommes en présence d’une créance qui a une origine antérieure à la liquidation judiciaire, puisque nous partons du principe que l’acte de vente en viager, qui est un acte de cession, a été fait avant le prononcé de la liquidation judiciaire.
Nous pouvons donc considérer que l’origine de la créance est antérieure à l’ouverture de la procédure collective. Dès lors, le Code du Commerce est extrêmement clair. Toute créance antérieure ne peut faire l’objet d’un paiement.
Le créancier est donc obligé de déclarer sa créance au passif pour les rentes qui n’auraient pas été payées jusqu’à ce jour, mais surtout, rien n’oblige le preneur du viager à régler les échéances mensuelles, puisque justement la procédure collective interdit le paiement de toute créance ayant un origine antérieure à son prononcé.
Dès lors, il appartient au vendeur en viager de déclarer sa créance pour les rentes qui n’auraient pas été payés jusqu’au jour de la liquidation judiciaire, mais il doit également faire une projection sur l’ensemble des règlements de rentes à venir jusqu’à son décès.
Le caractère quasi morbide de la situation n’échappera pas au lecteur.
Le croisement de ces deux droits entraîne un paradoxe.
Le vendeur en viager, qui bien souvent vend son bien en viager pour s’assurer un complément de retraite, non seulement parce qu’il n’a personne à qui transmettre le bien, ou qu’il ne souhaite pas le transmettre à d’éventuels héritiers, mais encore et surtout, car, par le biais de ces rentes, il a vocation à bénéficier d’un revenu complémentaire qui lui apporte un confort financier dans le cadre de sa retraite, pour d’éventuels soins médicaux, voire de mise en maison de retraite ou en établissement de soins spécialisé.
Le minimum de confort, qu’il a souhaité obtenir par le biais de cette vente en viager, disparaît.
Il ne pourrait finalement obtenir ces sommes là qu’après son décès, et que par là même, le mandataire judiciaire sera alors en mesure de vendre l’actif de la procédure collective, à savoir le bien, qui, de par le décès du vendeur, ne sera plus en usufruit, mais sera vendu par le liquidateur, en bien en pleine propriété, pour rémunérer le vendeur en viager.
Le paradoxe est évident.
Parallèlement à cela, il serait loisible pour le vendeur, de considérer que, faute de paiement, il serait en mesure de solliciter la résiliation de cette cession, afin de pouvoir justement récupérer son actif et tous les droits attachés au bien immobilier, pour éventuellement, soit le revendre « normalement », soit le revendre par le biais d’un nouveau viager.
Ce qui lui permettrait à ce moment là de se réassurer un nouveau complément de retraite.
Toutefois, là-encore, il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, pour le vendeur d’actionner en résolution de la vente.
Pourquoi ?
Parce que la liquidation judiciaire et les principes attachés à l’ouverture de la procédure collective, interdisent toute action en paiement et arrêtent toute action en résiliation de contrat.
De telle sorte, que le non paiement des rentes antérieures à la liquidation judiciaire ne permet pas au vendeur en viager d’obtenir la résiliation de la vente.
Le vendeur en viager est nécessairement tenu et coincé, en ce qu’il ne peut pas obtenir le paiement avant son décès et qu’il ne peut même pas obtenir la résiliation de cette vente, en l’état justement de ces non-paiements, avant son décès.
Cela est extrêmement dangereux et délicat pour un vendeur en viager.
Il apparaît donc extrêmement important, que les agents immobiliers en charge de ces ventes spécifiques prennent le soin et le temps d’informer le client sur les risques et les conséquences dramatiques qui peuvent être attachés à la liquidation judiciaire de l’acheteur.
Il n’est donc pas possible pour le vendeur d’annuler cette vente, pour la simple et bonne raison que l’acte authentique qui a constaté cette vente en viager emporte vente.
Nonobstant le fait que des rentes mensuelles soient payées tous les mois, nous ne sommes pas sur le terrain du contrat en cours mais sur le terrain d’une vente définitive, qui a été passée avant l’ouverture de la procédure collective, et il n’est donc pas possible de la remettre en question d’une manière ou d’une autre.
Des jurisprudences un peu anciennes certes, mais parfaitement d’actualité, viennent entériner cette analyse.
Ainsi il est loisible de citer un arrêt de la Cour de Cassation, chambre commerciale, du 2 mars 1999, n° 96-19.743, qui précise bien qu’il n’est pas possible de délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire.
La Cour de Cassation précise bien, dans cet arrêt, que si un créancier, dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, ne peut exercer d’action en résolution, ou tendant à faire constater l’acquisition d’une clause résolutoire, pour défaut de paiement d’une somme d’argent, s’il s’agit des sommes échues après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire du débiteur et qui sont dues en vertu d’un contrat en cours, au sens de l’article 37 de la Loi précitée (art. 37 L 25/01/1985 codifié entre temps et toujours en vigueur sous une nouvelle nomenclature depuis la Loi de 2005 et l’ordonnance de 2008),
que la créance des époux a pour les arrérages échus antérieurement et postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de Madame Y, ayant son origine dans le contrat de vente conclus antérieurement. Celui-ci n’étant plus en cours au sens du texte précité, dès lors que le transfert de propriété de l’immeuble vendu s’était en l’espèce réalisé à compter du 21 décembre 1988, la résolution du contrat de vente, pour non-paiement de ces arrérages, ne pouvait qu’être écartée à défaut de constatation de la mise en œuvre de la clause résolutoire par une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture.
Les choses sont extrêmement claires. Dès lors que la résolution du contrat n’est pas acquise définitivement avant l’ouverture de la procédure collective, il n’est donc plus loisible au titre du principe de l’arrêt des poursuites individuelles, d’obtenir la résolution de la vente. Le vendeur engagé peut déclarer au passif de la procédure pour une créance qui doit courir jusqu’à son décès et ne peut pas obtenir la résiliation de la vente.
Il est pareillement loisible de citer un arrêt de la Cour de Cassation, chambre commerciale, du 5 janvier 1999, n° 96-21.186, dans lequel la Cour de Cassation reprend cette argumentation.
Elle précise notamment, que, « attendu que pour prononcer la résolution de la vente, l’arrêt retient qu’aucun paiement n’a été fait depuis avril 1993 et que la règle de la suspension des poursuites en résolution de la vente n’est pas applicable lorsque les créances impayées sont échues postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective. Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la règle de suspension des poursuites individuelles faisait obstacle à la demande de résolution du contrat pour défaut de paiement des arrérages échus antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé ».
Il est bien évident que ces jurisprudences me paraissent effectivement fondées en Droit et correspondent aux grands principes édictés en droit des entreprises en difficulté.
Toujours est-il que la situation est extrêmement préjudiciable et contestable, car elle ne laisse d’autres choix au vendeur en viager de ne rien percevoir et d’être ancré dans une situation irrémédiable jusqu’à son décès, qui devient finalement le point d’axe libératoire permettant la vente de l’actif et le paiement de la créance.
La situation peut alors paraître complètement inversée, c’est à croire que « nous marchons sur la tête ».