Pourquoi de nombreux clubs ont-ils été rétrogradés par le « gendarme financier » de la DNCG puis évoluent finalement dans la division de laquelle ils avaient été rétrogradés ? Pour une raison simple : le juge administratif a largement interprété les textes en faveur de la remontada du club rétrogradé par la DNCG en première instance (pour le rappel de l’architecture générale et des voies de recours, voir ici : https://www.legavox.fr/blog/maitre-sylvain-bouchon/droit-football-retrogradation-dncg-cnosf-32656.htm)
Imaginons un club historique de Ligue 1 qui serait relégué sportivement et qui n’aurait pas vraiment anticipé comptablement la descente en Ligue 2, probablement car il pensait que son passé glorieux, même quelque peu écorné, le mettrait à l’abri des affres de la relégation.
Dans ces conditions, il y a fort à parier que l’audition devant la DNCG soit quelque peu douloureuse et que les experts-comptables de la juridiction ne se contentent guère de belles paroles. Si le dossier n’est clairement pas ficelé, la sanction tombera, aussi abrupte qu’une décision de la VAR : relégation. Avec effet immédiat nonobstant appel, gueule de bois des supporters et soirées angoissantes en perspective chez les salariés du club qui voient pointer le spectre du dépôt de bilan.
Pour autant, une fois passé cette douloureuse première confrontation, on n’est qu’à la mi-temps. Autant dire que chaque supporter de foot en a vu d’autres.
Car à partir de là, sans dire que cela devient facile, la procédure est nettement orientée dans le but de favoriser le club relégué administrativement.
Tout d’abord, un peu de temps a passé et la situation financière du club peut s’être arrangée. Surtout, la décision de rétrogradation de la DNCG est parfaitement motivée si bien que le club, en lisant la décision une fois notifiée par recommandé, comprend ce qui lui est reproché… et ce sur quoi il doit plancher d’ici l’appel devant la Commission d’Appel de la DNCG. Il part donc avec une base de travail et n’est plus dans le flou comme cela avait pu être le cas devant la DNCG. Il « suffit », entre douze guillemets, de corriger le tir.
Mais revenons au droit : l’annexe FFF/LFP relative à la procédure devant la DNCG et la commission d’appel de la DNCG est claire : le club peut fournir tout nouveau document jusqu’à l’audience de la Commission d’appel, avec, on l’imagine, obligation de faire parapher le document par le greffier d’audience s’il n’a pas été communiqué plus tôt. Que veut dire ce charabia juridique abscons ? Très simple : si l’audience a lieu à 17h00, et qu’un actionnaire du club débloque 30 millions d’euros à 16h59, soit 9h59 heure de New York, le représentant du club peut fournir le document à la Commission d’appel de la DNCG. L’instruction est donc close à l’audience, ce qui est nettement plus favorable au club que si elle était close trois jours plus tôt. C’est un peu comme si à a fin d’un match l’arbitre accordait 15 minutes d’arrêt de jeu : forcément, l’équipe menée au score et qui n’a plus rien à perdre a plus de chance d’égaliser. Voilà le genre de subtilité juridique qui rend le droit administratif aussi passionnant que la Ligue 1.
Et les petites faveurs juridiques susceptibles de tout changer telles des passes décisives cassant les lignes ne s’arrêtent pas là.
Après la DNCG et l’appel devant la Commission d’appel, le club a encore la possibilité de saisir le CNOSF (Comité National olympique et sportif français). Juridiquement, il s’agit d’un recours administratif préalable obligatoire indispensable à la future saisine du Tribunal Administratif, mais qui a la particularité d’être organisé sous forme de conciliation. D’un côté, le club, de l’autre, la FFF, et le conciliateur désigné au milieu qui essaye de concilier, c’est-à-dire de trouver une solution amiable. En clair, d’arranger tout le monde. De refaire le match. Le conciliateur prend en compte, naturellement, les éléments comptables fournis à la DNCG et à la Commission d’appel, mais il doit aussi statuer en équité. C’est-à-dire qu’il est beaucoup moins regardant sur les aspects comptables que la DNCG et d’ailleurs, le conciliateur n’est pas lui-même comptable, sauf improbable hasard.
Donc équité + comptabilité au rabais + temps qui a passé depuis la DNCG et permis probablement d’avancer sur le dossier de la part du club = nettement plus de chances pour ce dernier d’éviter la rétrogradation. Pour faire un parallèle avec la saison, c’est un peu comme si une équipe éliminée en coupe de France pouvait demander à rejouer le match en récupérant ses 5 meilleurs joueurs et avec un arbitre qui aurait oublié ses cartons au vestiaire. Ce n’est plus tout à fait le même sport.
Et ce n’est pas fini : le juge administratif lui-même est venu au secours des clubs sur un dernier petit geste technique bien senti.
En effet, l’annexe LFP/FFF relatif à la DNCG prévoit qu’aucun nouveau document ne peut être communiqué après l’audience de la commission d’appel de la DNCG, et ce à peine d’irrecevabilité. En clair, devant le CNOSF, aucun document nouveau ne peut être présenté par les parties, ce qui veut dire que le club ne peut plus se prévaloir de l’arrangement de sa situation financière postérieurement à l’audience devant la commission d’appel.
La décision du comité exécutif de la FFF suite à la conciliation ne devrait donc pas pouvoir se fonder sur de nouvelles pièces communiquées au CNOSF, si le règlement était interprété à la lettre.
Certes, il ressort des statuts généraux que le Comité exécutif de la FFF peut évoquer, c’est-à-dire se dispenser de respecter ses propres règles quand ça l’arrange, mais uniquement s’il constate une violation des statuts ou qu’il en va de l’intérêt supérieur du football, ce qui n’est pas le cas puisque dans notre exemple, il s’agirait du seul intérêt d’un club, et qui plus est au détriment d’un autre qui pourrait se maintenir ou accéder à l’échelon supérieur au bénéfice des repêchages.
Et c’est là que le Juge administratif intervient du Diable vauvert au soutien des intérêts de club menacé de rétrogradation : par un tripatouillage juridique digne de la Main de Dieu au Mundial 86, le Conseil d’Etat estime que le Comité exécutif n’agit pas dans le cadre de son pouvoir d’évocation, mais de son pouvoir général de l’article 18 des statuts de la FFF. Un geste technique digne d’une Madjer ou d’un retourné acrobatique d’Amara Simba sous les couleurs de l’AS Cannes à ne pas tenter par des amateurs.
Cette solution (Conseil d’Etat, 29 juillet 2020, 2e et 7e chambres réunies, n°426357), en réalité, a surtout servi à sauver la procédure qui avait permis de maintenir l’équipe du Mans en Ligue 2 en 2012. Suite à la conciliation du CNOSF, une décision de maintien avait été prise par le Comité exécutif de la FFF alors que la DNCG et Commission d’appel avaient rétrogradé le club en National. Le Mans avait terminé 17e de ligue 2 et le FC Metz, 18e, relégué sportivement, aurait été repêché en Ligue 2 si Le Mans avait été rétrogradé. Le club grenat, estimant que Le Mans aurait dû être rétrogradé à sa place, avait contesté la régularité de la procédure de la FFF mais le Conseil d’Etat lui a donné tort et a refusé de l’indemniser à hauteur de sa demande de plus de onze millions d’euros.
A noter que cette procédure ne concerne pas que les clubs professionnels : il y a des DNCG pour les clubs allant de National à Régional 1.
Il faut donc sauver le soldat Goliath, fut-ce au détriment de David et de la rigueur financière, et le droit y contribue largement, rendant bien relative la première décision de la DNCG fondée sur la rigueur comptable.
Morale de l'histoire : Un club qui serait rétrogradé au terme de toute cette procédure… n’était tout simplement pas sauvable.
Plus d'infos sur la chaîne Youtube :
https://youtu.be/grQNqPBUlKs?si=aGxD68FdYsVrGK-U
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Me Sylvain Bouchon
Avocat au Barreau de Bordeaux
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