I) Le droit à la scolarisation tel qu’il ressort des textes
Si on ne regarde que les textes, il n’y a pas de mystère. Le droit à la scolarisation des enfants en situation de handicap ne fait aucun débat. L’éducation étant la première priorité nationale, selon l’article L.111-1 du Code de l’Education, l’Etat doit veiller à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Le Droit à la scolarisation est un droit opposable à l’Etat, un droit dit « créance », protégé constitutionnellement et affirmé noir sur blanc dans différentes dispositions du Code de l’Education. Les enfants en situation de handicap doivent être scolarisés le plus normalement possible, dans l’établissement de secteur en premier lieu.
Mais d’une manière générale, dans tous les pans du Droit, le droit théorique passe à la moulinette des règles de droit générales, des règles de procédure et des règles de preuve, lesquelles peuvent en restreindre très largement l’application.
II) Le droit à la scolarisation tel qu’appliqué en Justice
L’Etat a donc une obligation de scolariser les enfants en situation de handicap. Voilà une formule péremptoire, mais qui ne veut rien dire en pratique. En effet, cette obligation est-elle une obligation de moyens ou de résultats ? SI l’Etat n’a qu’une obligation de moyens, il doit simplement tout mettre en œuvre pour scolariser les enfants en situation de handicap. Le fait d’essayer de bonne foi de scolariser un enfant suffit à remplir cette obligation. Si l’Etat n’y arrive pas, pour autant, il ne peut être jugé responsable et sa responsabilité ne peut être engagée.
Mais si l’obligation est de résultat, l’Etat est jugé sur ses résultats, et sa responsabilité peut être engagée si un enfant demeure sans scolarisation, peu important que l’Etat ait fait ce qu’il pouvait pour trouver une solution de scolarisation.
L’arrêt de principe en la matière, l’arrêt Laruelle (CE, 9 avril 2009) a établi le principe de l’obligation de résultat. Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que l’Etat n’avait qu’une obligation de moyens, « définie comme celle de faire toutes les diligences nécessaires ». Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat, qui évoque le « caractère effectif au droit et à l’obligation de recevoir une éducation adaptée ».
La règle de l’obligation de résultat dégagée par le Conseil d’Etat semble conforme à l’esprit des textes en la matière.
L’Etat n’a donc pas le choix : il doit trouver des solutions pour scolariser les enfants handicapés.
Mais une fois cette solution de principe établie, encore convient-il de faire preuve de nuance, pour deux raisons.
En premier lieu, il convient de garder à l’esprit que la matière est complexe. Par exemple, dans certaines circonstances, la décision d’orientation quant à la scolarisation peut faire intervenir plusieurs parties prenantes : les services de l’éducation nationale, les ARS, les CDAPH qui sont des services départementaux… Cette complexité administrative peut entraîner des erreurs dont certaines ne sont objectivement pas imputables à l’état.
En second lieu, ce n’est pas parce que le débiteur d’une obligation est tenu d’une obligation de résultat que sa responsabilité est engagée automatiquement. Il existe encore quelques causes d’exonération.
Notons tout d’abord que la jurisprudence nationale mais également celle de la Cour européenne des droits de l’homme assimile la scolarité à le prise en charge en structure médico-sociale. Ainsi, le CEDH a jugé que le placement d’un enfant autiste en IME et non en milieu scolaire ne viole pas le droit à l’éducation (CEDH, 18 décembre 2018).
Dans un jugement du 15 juillet 2015, le Tribunal administratif de Paris condamnait l’Etat sur le fondement de l’obligation de résultat, mais dessinait les contours des causes exonératoires : le refus des établissements d’accueillir des enfants non pas en raison du manque de place mais d’autres motifs ou lorsque les parents estiment que la prise en charge de l’établissement désigné par la CDAPH n’est pas suffisante, ou encore lorsque les parents n’ont engagé aucune démarche auprès de la CDAPH.
Ainsi, l’attitude des parents sera scrupuleusement observée. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 19 juillet 2022, indiquait clairement que le comportement des responsables légaux de l’enfant est susceptible de l’exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. En l’espèce, les parents n’avaient pas immédiatement contacté les structures vers lesquelles la CDAPH avait orienté leur enfant. Ils avaient toutefois multiplié les démarches auprès de l’ARS, de la MDPH et des services de l’académie. Le Conseil d’Etat estime qu’en l’espèce, le comportement des parents avait été suffisamment diligent et n’était pas de nature a exonérer l’Etat de sa responsabilité.
Le régime juridique de l’obligation de l’Etat en matière de scolarisation des enfants handicapés est donc très largement issu des jurisprudences du Juge administratif, lequel essaye de trouver l’équilibre entre les textes et les comportements de chacun des acteurs.
Il est donc arrivé plusieurs fois ces dernières années que l’Etat soit condamné en raison du défaut de scolarisation, et tenu d’indemniser l’enfant en question et, éventuellement, ses parents. Seulement, faire condamner l’Etat après des années de procédure est une chose, agir en justice pour tenter de trouver des solutions en urgence en est une autre.
III) Le droit à la scolarisation devant le Juge des référés
Afin d’agir sans attendre le terme de la procédure normale devant le Juge administratif, laquelle dure de longs mois, voire de longues années, il est possible -sous conditions- de saisir le tribunal en référé. Cette procédure d’urgence étant une procédure d’exception, les conditions pour l’emporter sont globalement plus complexes que dans la procédure normale.
Ainsi a-t-il été jugé, dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, que si la privation de scolarisation est susceptible de constituer une atteinte à une liberté fondamentale, encore faut-il qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention du Juge des référés, étant précisé que le caractère de la gravité et de l’illégalité de l’atteinte à cette liberté fondamentale s’apprécie entre autres au regard des diligences accomplies par l’Etat (Conseil d’Etat, 01/08/2018).
De même, le Juge des référés n’est pas compétent pour une mesure qui, dans les faits, reviendrait à demander la modification de l’organisation administrative, les diligences accomplies consistant en un accueil provisoire dégradé étant considérées comme suffisantes pour ne pas porter atteinte à la liberté fondamentale de scolarisation (Conseil d’Etat, 27 juillet 2023). Le Juge des référés décline également sa compétence concernant la demande de création d’une place supplémentaire en institut médico-éducatif (Conseil d’Etat, 28 décembre 2020).
En résumé, si le droit à la scolarisation ou à la prise en charge en structure médico-sociale est garantie par les textes, l’Etat peut être condamné devant le Tribunal administratif mais dispose d’un régime d’exonération impliquant d’analyser le comportement de chacun des acteurs. Enfin, en référé, c’est-à-dire dans l’urgence, il est particulièrement complexe de faire condamner l’Etat dès lors que la demande consiste à solliciter une modification de l’organisation administrative.
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Me Sylvain BOUCHON
Avocat au Barreau de Bordeaux
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