Le droit au silence lors des procédures disciplinaires : précisions du Conseil d'Etat

Publié le 14/01/2025 Vu 69 fois 0
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Dans un arrêt du 19 décembre 2024, le Conseil d’Etat précise la portée et les contours du droit au silence d’une personne poursuivie disciplinairement (étudiants, professions publiques, professions médicales).

Dans un arrêt du 19 décembre 2024, le Conseil d’Etat précise la portée et les contours du droit au silen

Le droit au silence lors des procédures disciplinaires : précisions du Conseil d'Etat

C’est peu dire que l’arrêt du Conseil d’Etat en matière de droit au silence était attendu.

Le contexte

Le droit au silence, applicable sans restriction en matière de droit pénal, a fait une apparition progressive dans les procédures disciplinaires, sous l’impulsion du Conseil Constitutionnel (QPC du 8 décembre 2023, n°2023-1074).

D’ailleurs, la formulation « droit au silence » est trompeuse. En réalité, ce qui est en jeu, ce n’est pas le principe du droit de se taire, mais l’obligation à la charge de l’administration d’informer la personne soupçonnée d’infraction disciplinaire qu’elle peut conserver le silence.

Ce principe est issu de l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et constitue une déclinaison de la présomption d’innocence.

La présomption d’innocence étant avant tout une règle de preuve, qui veut que la charge de la preuve incombe à la partie accusatrice, il est logique que la personne poursuivie ne contribue pas à sa propre incrimination. Elle a donc le droit de se taire (et de mentir accessoirement). Et le droit de se taire doit être notifié à cette personne. Le but n’est pas forcément de rajouter des couches de contraintes à la charge des administrations, mais de s’assurer que les sanctions soient prononcées après que toutes les garanties de la défense aient été mises en œuvre : la sanction s’en retrouvant renforcée.

Le problème, c’est que l’administration n’a pas cette culture – et il est difficile de reprocher à une administration de ne pas avoir les réflexes d’un tribunal correctionnel. Le risque est donc que toutes les procédures disciplinaires soient annulées. Cela en fait, des sanctions : entre les étudiants, les élèves, tous les fonctionnaires et agents publics, les professions règlementées (notaires, Commissaires de justice, taxis, etc) et toutes les professions médicales, ce type de procédure concerne des centaines de milliers de personnes et des milliers de procédures. Tout annuler serait source d’insécurité juridique, le temps, au moins, que la notification du droit au silence entre dans les mœurs de l’administration. Mais cela peut être le prix à payer pour que les procédures deviennent réellement garantes des droits fondamentaux.

Des précisions attendues

Sur le terrain judiciaire, plusieurs Tribunaux administratifs ont annulé des procédures ces derniers mois tandis que d’autres s’y refusèrent, si bien que la portée exacte de l’application du droit au silence demeurait en suspens dans l’attente d’une décision du Conseil d’Etat, juridiction administrative suprême.

Avec la décision du 19 décembre 2024 (n°490952), le Conseil d’Etat précise assez clairement la portée de l’obligation de notification du droit de garder le silence.

L’affaire concernait un vétérinaire sanctionné par la chambre régionale de discipline d’une suspension d’exercice pendant deux ans.

La notification du droit de garder le silence n’avait jamais été réalisée au stade de l’instruction du dossier devant la chambre disciplinaire, pas davantage que lors de l’audience de jugement de la chambre.

Le Conseil d’Etat commence par citer l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 et qu’il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle de droit de se taire. Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

Il en déduit fort logiquement que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne comparaît à l’audience sans avoir été préalablement informée du droit de se taire.

Si le Conseil d’Etat ouvre ainsi la porte à des annulations en masse, il assortit toutefois le principe d’une exception de taille : s’il est établi que pendant l’audience, la personne poursuivie n’a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier, l’absence de notification n’est pas une cause d’annulation. Il faut donc que l’absence de notification cause un grief. Faute de grief, point de nullité : il s’agit d’une nuance de taille. Nuance qui rappelle la procédure pénale : dans certains cas, les nullités ne peuvent être retenues que si elles portent grief à la personne mise en cause.

Autre principe dégagé dans l’arrêt, la juridiction disciplinaire ne peut fonder sa sanction sur des propos tenus lors de l’instruction devant les rapporteurs, si la personne mise en cause n’avait pas été informée de son droit au silence.

Mais ce n’est pas tout : le Conseil d’Etat annule la sanction en l’espèce faute de notification du droit au silence au cours de l’instruction, mais, statuant lui-même au fond, il inflige une sanction disciplinaire un peu moins importante, en se fondant sur les éléments autres que la reconnaissance des faits par l’individu. Autrement dit, si la preuve des faits ne provient pas des révélations ou aveux, fussent-ils révélés sans notification du droit au silence, la sanction peut être prononcée… et la procédure sauvée par les juges du fond.

La notion clé de grief

En résumé, si l’absence de notification du droit au silence ne fait pas grief, alors il n’y a pas de raison d’annuler la sanction. Cette conception est éminemment critiquable, car elle revient à dire que la procédure disciplinaire n’a strictement aucune utilité. Il suffit de constater les faits, finalement, sans tenir compte des éléments issus de la discussion contradictoire ! La protection du droit au silence ne s’appliquerait au final que dans un cas bien précis : celui dans lequel la seule preuve provient d’aveux. Faute de notification préalable de droit au silence, ces aveux ne pourraient fonder une sanction.

L’arrêt du Conseil d’Etat apporte une précision spécifique aux procédures disciplinaires des vétérinaires

Tout d’abord, la notification du droit au silence n’est pas exigée dans le cadre de la conciliation, phase préalable à la procédure proprement dite. En effet, les propos qui y sont tenus, indique le Conseil, ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.

Enfin, dernier apport, dans le cas des procédures disciplinaires soumises à appel (notamment les procédures disciplinaires des professions médicales), en cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir notification du droit au silence.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat tente de trouver un équilibre global entre la protection du droit fondamental de ne pas contribuer à sa propre incrimination et l’effectivité des procédures disciplinaires. En articulant, en réalité, la portée du droit au silence autour du concept de grief, il réduit significativement les possibilités d’annulation des procédures.

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Me Sylvain Bouchon

Avocat au Barreau de Bordeaux

https://www.bouchon-avocat.fr

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