L’interdiction de déplacement des supporters des clubs de football

Publié le 27/10/2024 Vu 122 fois 0
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L’interdiction de déplacement des supporters fait l’objet d’un contentieux nourri. Risques d’atteintes à la sécurité publique vs restriction de Liberté : le point d’équilibre n’est pas facile à trouver.

L’interdiction de déplacement des supporters fait l’objet d’un contentieux nourri. Risques d’atteinte

L’interdiction de déplacement des supporters des clubs de football

Des tribunes aux tribunaux. Face aux risques d’atteinte à l’ordre public, il n’est pas rare que les autorités interdisent ou limitent fortement les déplacements des supporters d’un club de football lorsque celui-ci jour à l’extérieur. Il est difficile de nier que les déplacements de supporters donnent parfois lieu à des affrontements, parfois violents, qui causent un certain émoi dans l’opinion publique. Une promenade aux abords d’un stade de Ligue 1 un jour de match permet également de se rendre compte du nombre de CRS et du dispositif de sécurité nécessaire à la bonne tenue d’une rencontre. Certaines voix souhaitent interdire systématiquement le déplacement des supporters. Ce n’est pas aussi simple : outre que cette punition collective sanctionnerait aveuglément l’immense majorité des supporters qui se comporte normalement, juridiquement cela revient à porter une atteinte systématique à plusieurs libertés fondamentales : liberté d’aller et venir et liberté de réunion, notamment. La rencontre explosive se tient donc sur terrain judiciaire.

Un match Sécurité vs Libertés

Il convient donc de concilier l’exercice de ces libertés avec la sécurité publique. C’est ce que tente de faire l’Etat, et tel est l’objet du contrôle le juge administratif, saisi par l’Association Nationale des Supporters, dont les multiples recours contribuent à faire avancer la jurisprudence.

Cette jurisprudence, justement, comporte à peu près la même glorieuse incertitude que l’issue d’un match. On pourrait instituer les paris sur les référés contestant les arrêtés d’interdiction de déplacement : parfois le juge annule, parfois il confirme, sans qu’il soit possible de tracer avec certitude les critères de partage. A bien y réfléchir, rien de plus logique : chaque situation est différente. Il est difficile de comparer un OM/PSG à un Troyes/Auxerre ou Saumur/Bordeaux, par exemple. 

Les dispositions du Code du Sport donnent pouvoir au Ministre de l’Intérieur d’interdire, par arrêté, le déplacement de personnes se prévalant de la qualité de supporter ou se comportant comme tel, dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves à l’ordre public. Le Préfet de Département (ou Préfet de Police à Paris) peut restreindre la liberté d’aller et venir de ces mêmes supporters, pour les mêmes motifs. L’arrêté préfectoral peut intervenir seul ou en complément de l’arrêté ministériel.

Encore convient-il de s’accorder sur la définition même du supporter, au termes de ces dispositions : le Conseil d’Etat s’est prononcé récemment sur cette question.

Ces deux arrêtés doivent être limités dans le temps et le Ministère et la Préfecture doivent le motiver précisément. Le Ministère de l’intérieur doit notamment indiquer en quoi il est obligé d’en arriver à une telle extrémité.

Le Juge administratif, un arbitre sans la VAR

Cet arrêté peut ensuite être attaqué devant le juge administratif, en référé. Le Conseil d’Etat sera compétent pour contester un arrêté ministériel, le tribunal administratif pour un arrêté préfectoral.

Le juge des référés commence, dans chaque décision étudiée, par définir son office, qu’il limite au contrôle de l’illégalité manifeste.

Le Juge des référés exige de l’administration qu’elle justifie la réalité des troubles graves à l’ordre public ainsi que la proportionnalité des mesures. Le Juge des référés apprécie ensuite les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce, et n’ordonne l’annulation de l’arrêté que lorsque l’illégalité invoquée présente une illégalité manifeste.

L’office du Juge administratif n’est pas simple. En cas d’annulation de l’arrêté suivi de troubles à l’ordre public, l’administration n’hésitera pas à lui faire le coup (du port) de chapeau, invoquant le supposé laxisme judiciaire. D’un autre côté, la culture de l’interdit ne peut être la règle systématique : si on tue dans l’œuf le moindre risque de risque, autant arrêter de respirer sur le champ.  

Le Coup pas franc de l’arrêté au-delà du temps règlementaire

Notons que la tardiveté de la parution des arrêtés ministériels ou préfectoraux – habitude récurrente et objectivement horripilante – n’est pas en tant que tel considéré comme un élément d’illégalité manifeste. Le juge des référés tackle le Ministère de l’Intérieur avec une formule sibylline, mais sans sortir le carton : « quelque regrettable que soit le caractère tardif de l’édiction et de la publication de l’arrêté » (Par exemple, CE, ref, 14 mai 2024). Dans un arrêt dans lequel les supporters lillois avaient été interdits de déplacement au stade vélodrome par deux arrêtés publié la veille et le jour même du match, le juge des référés a tout d’abord considéré que l’interdiction de déplacement était probablement disproportionnée eu égard à un risque limité de troubles à l’ordre public. Par ailleurs, le Juge des référés indiquait que la publication tardive de ces arrêtés en limitaient la justification, puisque les supporters du club nordiste étaient déjà probablement sur place. Toutefois, malgré les doutes sur la légalité des arrêtés, le Juge des référés, qui a dû lui-même statuer à vitesse Grand V, ne les annule pas, au motif que la modification du dispositif de sécurité à quelques heures du match pourrait elle-même constituer un trouble à l’ordre public (CE, ref, 4 novembre 2023) ! La position du Conseil d’Etat est probablement pragmatique, mais elle n’en constitue pas moins un véritable encouragement adressé à l’Etat pour prendre des arrêtés à la dernière minute, rendant complexe la défense des supporters par leur Conseil, et impossible la décision des juges mis devant le fait accompli… De fait, la tardiveté de la décision administrative empêche le contrôle du juge, ce qui, dans un état de droit, n’a rien de  glorieux. Ce n’est pas comme si les rencontres n’étaient pas prévues longtemps à l’avance. Dans l’ordonnance en question, le Juge des référés ne manque pas de faire remarquer que les échanges préparatoires avaient prévu la présence des supporters lillois en parcage jusqu’à 48h avant la rencontre.

Les arrêtés validés

Dans un certain nombre de cas, le juge des référés n’a pas fait droit aux demandes de suspension des arrêtés interdisant les déplacements de supporters ou limitant leur présence.

Par exemple, l’interdiction des supporters du PSG pour un déplacement à Nice en mai 2024. Le Juge note que les déplacements des supporters parisiens continuent de se signaler par un usage d’engins pyrotechniques, des rixes et des altercations. Quant aux supporters de Nice, il ressort également du dossier des rixes et des altercations (CE, ref, 14 mai 2025).

En septembre 2024, un arrêté interdisait non pas le déplacement des supporters messins mais leur présence aux abords du stade Charléty, lieu du sommet de ligue 2 contre l’autre club parisien, le Paris Football Club. Là encore, le dossier de la Préfecture a convaincu le Juge, en raison d’incidents commis par les supporters des deux clubs et un risque que des supporters du PSG se mêle à leurs homologues du PFC pour en découdre avec les supporters messins (CE, 13 septembre 2024).

Les supporters bordelais ont également été interdits de déplacement aux abords du stade Charléty pour les mêmes raisons en novembre 2023 (CE, 24 novembre 2023). Maintenant que le club au scapulaire est en National 2, les déplacements sont systématiquement interdits, les stades de leurs adversaires étant trop petits pour accueillir deux groupes de supporters concurrents qui se sont affrontés l’an passé.

Le Ministère de l’Intérieur fait souvent référence à des incidents remontant à plusieurs années. Le doute existe sur l’actualité de risques au moment de l’arrêté. Néanmoins, rappelons que le juge des référés se contente d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Ainsi, des faits, même relativement anciens, suffisent à éviter de tomber sous le coup de l’erreur manifeste d’appréciation.

Autre élément concret pris en compte par le Juge des référés : la mobilisation des forces de l’ordre pour d’autres événements concomitants (par exemple, pour justifier une interdiction des supporters nantais au Vélodrome, CE, 9 mars 2024).

 

Carton rouge judiciaire et suspension immédiate de l’arrêté

Parfois, au contraire, les juridictions administratives ont annulé les interdictions de déplacement.

Ainsi, en Ligue des Champions, le Conseil d’Etat a suspendu l’interdiction des déplacements des supporters espagnols de Séville, en raison de l’absence de rivalité entre les deux clubs et entre les supporters. Le juge note que le déplacement de deux mille spectateurs lensois en Andalousie au match aller s’était déroulé sans incident et que l’un des groupe de supporters lensois avait proposé de céder sa tribune aux spectateurs sévillans. Par ailleurs, le dispositif de sécurité exceptionnel au stade Bollaert, notamment via des drones, permettait de garantir la sécurité du match et des spectateurs (Conseil d’Etat, 12 décembre 2023).

De même, le juge des référés a annulé d’un coup quatre décisions d’interdiction de déplacements : il s’agissait de déplacements de supporters des girondins de Bordeaux à Angoulême, de supporters auxerrois à Troyes, de supporters rémois à Nice et de supporters lensois à Montpellier. A chaque fois, le Juge a estimé qu’aucun risque particulier ne pesait sur ces rencontres, en l’absence de rivalité exacerbée, et du faible nombre de supporters en déplacement (Conseil d’Etat, 8 décembre 2023).

Il y a fort à parier que cette jurisprudence va continuer à évoluer et à se préciser.

Mon cabinet se tient à votre disposition pour toute action ou tout recours et intervient dans toute la France.

Me Sylvain Bouchon

Avocat au Barreau de Bordeaux

Droit administratif du sport

bouchonavocat@gmail.com

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