S’il y a une notion complexe à appréhender en droit de la fonction publique, c’est bien la NBI (nouvelle bonification indiciaire). Complexe, car elle fait bouger les certitudes en matière de droit du travail des fonctionnaires en introduisant des différences dans un secteur égalitaire, fondé sur une logique de corps ou cadre d’emplois, de grade et d’échelon. Depuis que la NBI, créée dans les années 90 est passée dans les mœurs, deux fonctionnaires de niveau parfaitement égal (corps/grade/échelon) peuvent désormais avoir deux traitements différents.
La NBI, contrairement aux autres primes, donne des points d’indice supplémentaires, comme son nom l’indique, et est prise en compte pour le calcul de la pension de retraite.
La NBI n’est pas un avantage statutaire : il n’y a aucun droit au maintien de la NBI si l’emploi disparaît de la liste des emplois y donnant droit.
Autre particularité, et non des moindres : La NBI est déconnectée du statut. Ce n’est pas le corps ou cadre d’emploi qui compte, ni le grade, ni l’échelon : ce qui compte, c’est l’emploi exercé lui-même. Les critères légaux de l’attribution de la NBI sont la responsabilité et la technicité que comportent cet emploi. La NBI n’est donc pas réservée, par exemple, aux fonctionnaires d’un corps déterminé, ou soumise à une condition de diplôme. Les critères sont pratiques, concrets, répétés à longueur de jugement et d’arrêts des juridictions administratives : la responsabilité et la technicité de l’emploi.
En pratique, mille questions se posent, d’où le volume de contentieux.
Quid, par exemple, si un emploi donne lieu à NBI et qu’il est exercé par deux agents à mi-temps ? Quid si le fonctionnaire est en arrêt-maladie et n’occupe pas l’emploi ? Y a-t-il encore droit ? Et son remplaçant ? Quid en cas de détachement ??
Par ailleurs, la NBI doit se concilier avec d’autres principes juridiques, et notamment celui de l’égalité. Certes, la NBI est inégalitaire par nature, mais est-il possible de justifier une rupture d’égalité quand plusieurs emplois comportent la même technicité et la même responsabilité ?
Enfin, thème d’actualité, comment l’administration peut-elle gérer l’attribution de la NBI en situation de limitation des crédits voire de restrictions budgétaires ?
Le présent article vise à apporter quelques éclaircissements.
I) NBI et effectivité de l’emploi
Puisque la NBI est liée aux technicités et aux responsabilités inhérentes à l’emploi occupé, la première condition à remplir pour percevoir la NBI est donc, logiquement, l’exercice effectif de l’emploi en question.
Or, dans certaines situations, il n’est pas si simple de déterminer l’effectivité de l’emploi.
Par exemple, un fonctionnaire muté ne peut plus bénéficier de la NBI car il n’exerce plus ses fonctions. Mais si cette mutation est ensuite annulée suite à un recours devant un tribunal administratif, peut-il percevoir la NBI pour la période concernée ? Non, dit la jurisprudence : pendant la période de mutation, quand bien même celle-ci a été annulée, le fonctionnaire n’exerçait pas effectivement l’emploi ouvrant droit à NBI (CE, 26 janvier 2007).
Autre cas de figure, la période durant laquelle le fonctionnaire n’exerce pas son emploi en raison d’une maladie.
Les dispositions légales et règlementaires disposent que les fonctionnaires placés en congé de longue maladie ou de longue durée n’ont pas droit au maintien des indemnités attachées à l’exercice des fonctions, hors cas où le congé résulte d’un accident ou d’une maladie imputable au service. A contrario, les agents placés en congé de maladie ordinaire conservent le droit à NBI (Conseil d’Etat, 4 juillet 2024).
Il en va de même pour les agents pendant les courtes périodes de formation.
Une autre question fréquente en pratique consiste à savoir si l’emploi exercé qui donne lieu à NBI doit être exercé à titre principal, ou si l’exercice à titre accessoire est suffisant pour ouvrir le droit à NBI.
Dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, un technicien territorial exerçait les fonctions de gestionnaire bâtiment, dans lequel il était amené à réaliser des activités de dessinateur, la fonction de dessinateur ouvrant droit à NBI.
La Cour administrative d’appel répond par la négative : les activités de dessinateur étant exercées à titre accessoire, elles ne donnent pas droit à NBI (CAA Lyon, 19 avril 2022).
II) NBI et égalité
Le principe d’égalité impose à l’administration de traiter de la même manière deux fonctionnaires placés dans la même situation. Ainsi, tous les fonctionnaires qui exercent un emploi présentant la même technicité et les mêmes responsabilités doivent percevoir la NBI, quand bien même les textes auraient prévu le contraire.
La jurisprudence administrative a ainsi permis d’élargir largement le champ de la NBI aux agents que les textes ne désignaient pas comme bénéficiaire.
Par exemple, le bénéfice de la NBI était prévu pour les greffiers d’une Cour d’assises en Corse du Sud, mais pas pour les greffiers de la Cour d’Assises de Haute Corse, en raison d’un nombre supérieur de dossiers traités, précisait le Ministère de la Justice. Le Conseil d’Etat relevait que le nombre de dossiers, en réalité, était supérieur en Haute-Corse et annulait la décision de refus de NBI opposé aux greffiers de Haute-Corse (Conseil d’Etat, 30 janvier 2012).
Plus récemment, le Conseil d’Etat a jugé que la différence de technicité et de responsabilité existant entre les fonctions d’infirmier en bloc opératoire, d’une part, et les infirmiers et infirmiers en soins généraux, dans le cadre d’un exercice exclusif en bloc opératoire, pour réelles qu’elles soient, ne justifient pas que les premiers soient les seuls à bénéficier de la NBI (Conseil d’Etat, 19 juillet 2023).
Toujours en vertu du principe d’égalité et de l’absence de référence au statut, les fonctionnaires stagiaires exerçant des fonctions donnant droit à NBI doivent la percevoir.
En revanche, les agents contractuels sont exclus de la NBI.
Cette solution n’a rien d’évident. Certes, les textes limitent la NBI aux fonctionnaires. Mais, en vertu du principe d’égalité et de non référence, in fine, au statut pour se focaliser sur l’emploi exercé, il aurait pu paraître logique d’en étendre le bénéfice aux agents contractuels. Certaines décisions sont un temps allées dans ce sens (CAA Nancy, 17 novembre 2005). Telle n’est pas la solution retenue par le Conseil d’Etat, qui estime que les agents contractuels ne sont pas dans la même situation que les fonctionnaires, notamment parce que leur rémunération peut être déterminée en fonction de la technicité ou de la responsabilité de leur emploi, contrairement aux fonctionnaires (Conseil d’Etat, 26 juin 2023).
III) NBI, égalité et limitation des budgets
Le bénéfice de la NBI peut souffrir des conjonctures budgétaires.
En effet, la jurisprudence considère que l’agent public n’a aucun droit au bénéfice de la NBI et qu’il est loisible à l’administration de retirer un emploi de la liste.
En vertu du principe d’égalité, tous les emplois avec la même technicité et la même responsabilité, même non concernés par la suppression, devraient alors, en toute logique, être privés de NBI.
Tel n’est pas exactement le point de vue de la jurisprudence, forcée de concilier les limites de crédits budgétaires des employeurs publics et le principe d’égalité.
Si un emploi est supprimé, le principe d’égalité demeure applicable (Conseil d’Etat, 26 mai 2010).
Si, dans ce cas, l’emploi supprimé a la même technicité et la même responsabilité qu’un emploi qui n’est pas supprimé, l’administration ne peut pas supprimer cet emploi, ou, plus précisément, le juge annulera la supression de cet emploi.
Mais toujours est-il que les budgets, par hypothèse, sont limités, et le juge n’a pas le pouvoir de faire augmenter les lignes de crédit budgétaires. Alors comment Diable concilier l’égalité et les plafonds de crédit ? La réponse relève du bon sens : l’administration doit alors répartir équitablement le nombre de points total entre tous les agents placés dans une même situation.
En ce sens, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le recours d’un fonctionnaire qui contestait l’attribution d’une NBI « tournante » en considération de l’augmentation du nombre de postes de bénéficiaires « alors que l’augmentation des crédits y afférent est demeurée inchangée » (Tribunal Administratif de Bordeaux, 19 septembre 2024).
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Me Sylvain BOUCHON,
Avocat au Barreau de Bordeaux