Vous le savez peut-être, certains de mes Consoeurs et Confrères travaillent pour un ou plusieurs de leurs Consoeurs ou Confrères tout en pouvant développer une clientèle personnelle. Ils sont collaborateurs.
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Le statut de collaborateur est défini à l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 qui renvoit à la loi du 2 août 2005.
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Le collaborateur n'est pas salarié, il exerce son activité en toute indépendance et peut développer une clientèle personnelle.
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Les cabinets qui engagent les collaborateurs doivent leur fournir le "matériel" pour exercer leur fonctions: ordinateur,bureau,timbres, papier, stylos...
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Le collaborateur travaillera certains dossiers de son Confrère en échange d'une rétrocession ( à Bordeaux, la rétrocession minimum est de 1900 euros). Avec cette rétrocession, il devra régler ses charges sociales: URSSAF, cotisations à l'ordre,assurance maladie,taxe pofessionnelle...
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Il pourra développer sa clientèle personnelle pendant sa collaboration.
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Lorsque les parties jouent le jeu, elles en tirent chacune un bénéfice: la Consoeur ou le Confrère qui emploie le collaborateur bénéficiera d'un soutien de qualité, un collaborateur qui ira plaider certains dossiers et en conclura d'autres. Il rémunérera moins ce collaborateur qu'un salarié puisqu'il n'aura pas à payer les charges sociales. Le collaborateur, quant à lui, sera intégré à un structure dans laquelle il se formera et il pourra développer sa clientèle personnelle pour s'installer ou s'associer plus tard.
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Lorsque les parties ne jouent pas le jeu, cela se complique... Il arrive parfois que le Confrère qui a décidé de recruter un collaborateur n'y voit qu'un seul avantage, celui de le payer moins qu'un salarié. Il l'engagera en qualité de collaborateur et le considérera comme un salarié en l'empêchant de développer une clientèle personnelle.
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Ces pratiques sont régulièrement condamnées par les Bâtonniers, les Cours d'appel et la Cour de cassation.
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Cette dernière a rendu un arrêt important le 14 mai 2009, en affirmant à nouveau que le critère de la collaboration est la possibilité de développer une clientèle personnelle.
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"Mais attendu que, si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle ; qu'ayant relevé que Mme X... n'avait pu traiter que cinq dossiers personnels en cinq ans de collaboration avec le cabinet Jacques Bret, que la plupart des rendez-vous et appels téléphoniques, nécessaires au traitement de ces rares dossiers personnels, se passaient hors du cabinet et après vingt heures ou pendant le week-end, que Mme X... partageait son bureau avec un autre avocat et pouvait difficilement trouver un lieu pour recevoir ses propres clients, la salle de réunion ne permettant l'accès ni à l'outil informatique ni au téléphone, et que les témoignages recueillis faisaient état de l'attitude générale du cabinet tendant à dissuader les collaborateurs à développer une clientèle personnelle, et que Mme X... était privée de l'indépendance technique propre au collaborateur libéral, la cour d'appel, qui en a souverainement déduit que les conditions réelles d'exercice de l'activité de Mme X... ne lui avaient effectivement pas permis de se consacrer à sa clientèle et que le cabinet Bret avait manifestement omis de mettre à sa disposition les moyens matériels et humains lui permettant de développer sa clientèle personnelle, a, dès lors, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de requalifier le contrat de collaboration libérale conclu entre les parties en contrat de travail "
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Cass.Civ 1. 14 mai 2009, n° 08-12.966.
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Monsieur le Bâtonnier du Barreau de Bordeaux a dû trancher une telle affaire opposant un grand cabinet bordelais à un de ses anciens collaborateur.
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Le SAF, syndicat des avocats de France et défenseur des intérêts collectifs de la profession est intervenu à l'instance, je l'ai représenté lors de l'audience.
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Ce collaborateur a obtenu gain de cause, son contrat de collaboration a été requalifié par Monsieur le Bâtonnier en contrat de travail et le Cabinet d'avocats a été condamné entre autre à lui verser une indemnité pour travail dissimulé.
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Extraits SUD OUEST ci-dessous. (Sud-ouest du 30 juillet 2009).
Les avocats sont eux aussi concernés par le droit social et le Code du travail. Même les spécialistes en la matière. Une société d'avocats, véritable « firm » à l'américaine qui dispose d'un établissement secondaire à Bordeaux, vient ainsi d'être rappelée à l'ordre par le bâtonnier en exercice au barreau de Bordeaux (...)
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La firme en question, la Selafa Taj, conseille les plus grosses sociétés du CAC 40 sur tous les aspects juridiques, financiers et comptables. Début juillet, elle a été condamnée au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un de ses collaborateurs et en réparation du préjudice subi par lui pour ne pas avoir bénéficié des avantages liés à la qualité de salarié. Elle devra également payer diverses indemnités dont une pour... travail dissimulé (par dissimulation d'emploi salarié).
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Cabinet de prestige
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Le dossier se situe au coeur du statut professionnel des avocats. Celui de libéral, séculaire, revendiqué pour son indépendance. Ou celui de salarié qui consacre un lien de subordination avec un employeur et correspond souvent davantage à la réalité, notamment pour les débutants. Il concerne quelque 10 % des avocats et a tendance à s'étendre au sein d'une profession qui se paupérise. La loi encadre parfaitement les deux cas de figure.
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Recruté en avril 2007 via une petite annonce qui proposait un CDI, un avocat parisien a cependant accepté de travailler sous statut libéral pour la Selafa Taj. « En termes d'image et de puissance de feu, intégrer un cabinet de prestige comme celui-ci, cela ne se refuse pas », commente-t-il.
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Mais ce statut libéral est censé offrir quelques compensations. Le fait d'avoir les moyens matériels et humains de développer une clientèle personnelle et de la recevoir, de s'appuyer sur le renom du cabinet en apposant sa plaque sur l'immeuble, d'avoir son nom propre en en-tête des courriers...
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Or dans ce cas précis, la réalité pratique était bien loin de la théorie. L'avocat devenu bordelais n'avait que les inconvénients des deux statuts. Pas de treizième mois, de RTT, de congés payés, de participation, de comité d'entreprise, de tickets-restaurant attachés à un contrat salarié. Et pas de possibilité d'avoir sa clientèle, notamment au regard du temps passé à démarcher des clients pour le cabinet.
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Rupture de contrat
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Ajoutez à cela le paiement des charges personnelles, un lien de dépendance, un contrôle horaire et de charge de travail, une clause « manifestement léonine » selon le bâtonnier lui imposant un reversement de 85 % d'honoraires qu'il pourrait tirer d'un client personnel.
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« La formule est plus souple en termes de gestion du personnel », ironise l'avocat, qui s'estimait pourtant davantage salarié que collaborateur libéral. Constatant qu'il n'avait aucune perspective, il a décidé de partir au bout de deux ans. Non sans avoir pris acte de la rupture de son contrat et demandé au bâtonnier de trancher.
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« Il n'est pas sérieusement contestable que la Selafa Taj, dont les compétences juridiques sont certaines, a sciemment voulu se soustraire aux conséquences liées à la conclusion d'un contrat de travail », note le bâtonnier après examen des moyens de défense. Un statut plus protecteur pour l'avocat et plus onéreux pour la société.
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« L'inexécution fautive du contrat par la Selafa Taj est réparée par la requalification (du contrat de collaboration libérale en contrat de travail) et les conséquences indemnitaires qui s'y attachent », conclut la décision. (...)