J’ai publié plusieurs billets sur la prestation compensatoire: ICI et LA entre autre.
Cette prestation compensatoire doit être versée en principe en capital.
Cependant suivant l’article 274 du Code civil, la prestation compensatoire peut être versée également sous la forme de l’attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.
Cela signifie que dans l’hypothèse où l’époux ou l’épouse qui est redevable d’une prestation compensatoire et qu’il ou elle ne peut pas la verser en capital, il ou elle pourra s’en acquitter en abandonnant ses droits de propriété sur un bien immobilier qui sera attribué à son époux ou l’épouse qui a droit à la prestation.
Si le juge décide que la prestation compensatoire s’exécutera par cette attribution d’un bien, cela peut-être très mal vécu par la partie qui doit abandonner ce bien … souvent c’est la maison familiale dans laquelle le débiteur de la prestation a peut-être effectué des travaux, a investi de l’argent issu de donations mais ne l’a pas forcément indiqué dans l’acte d’achat du bien…
Cette attribution peut faire l’objet de contentieux et plusieurs juridictions ont statué:
- tout d’abord le Conseil Constitutionnel, saisi par une QPC en 2011, celui-ci a dû examiner si l’atteinte à la propriété était justifiée. Il a considéré: « que l’atteinte au droit de propriété qui résulte de l’attribution forcée prévue par le 2° de [l'article 274] ne peut être regardée comme une mesure proportionnée au but d’intérêt général poursuivi que si elle constitue une modalité subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire en capital ; que, par conséquent, elle ne saurait être ordonnée par le juge que dans le cas où, au regard des circonstances de l’espèce, les modalités prévues au 1° [du même article] n’apparaissent pas suffisantes pour garantir le versement de cette prestation » Cons. const., décision n° 2011-151 QPC, du 13 juillet 2011
- puis la Cour de cassation a statué également, elle a précisé que l’attribution d’un bien à titre de prestation compensatoire ne peut être ordonnée par le juge qu’à titre subsidiaire, le juge doit avoir constaté que les autres modalités d’exécution n’étaient pas suffisantes pour garantir le versement de la prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 28 mai 2014, n° 13-15.760, F-P+B+I )
Les juridictions nationales ne sont pas défavorables à cette prestation compensatoire sous forme d’attribution d’un bien.
Les juridictions européennes n’avaient pas été saisies de la question jusqu’à très récemment.
En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie d’un divorce dont la procédure était en cours depuis 2001… ( La CEDH vient de rendre sa décision, en juillet 2014 soit 13 ans de procédure !)
L’affaire est allée jusqu’en cassation, a été renvoyée à la Cour d’appel pour finalement revenir devant la Cour de cassation.
En résumé:
Le couple est marié depuis plus de 30 ans, ils n’ont pas d’enfants:
- Madame âgée de 57 ans perçoit des revenus d’environ 11 000 euros par an
- Monsieur âgée de 71 ans bénéficie d’un important patrimoine immobilier, appartements à Cannes, au Cannet et le domicile conjugal qui est situé à Valbonne. Il vit de ses revenus fonciers.
Madame sollicite le prononcé du divorce pour faute aux torts exclusifs de l’époux qui aurait été infidèle, des dommages et intérêts d’un montant de 80 000 euros ainsi qu’une prestation compensatoire d’un 1 166 235 euros sous forme d’attribution de biens qui dans le cas d’espèce n’appartiennent qu’à l’époux.
Après un passage du dossier en cassation, un renvoi vers la Cour d’appel, cette dernière confirme les décisions dans cette affaire: la prestation compensatoire s’exécutera sous la forme de l’abandon de l’époux sur un de ses biens, ce sera le domicile conjugal, la fameuse villa à Valbonne d’une valeur de 800 000 euros.
L’époux n’accepte pas la décision et saisi la CEDH en se fondant sur la Protocole n°1: » Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (…) »
Il ajoute que l’arrêt litigieux ne lui permettait pas d’exercer pleinement son droit de propriété puisqu’il ne pouvait choisir librement des éléments de son patrimoine dont il comptait se défaire et considère que l’article 274 n’apportait pas des garanties suffisantes du fait que ce soit le juge qui évalue seul la valeur du bien sans recourir à un professionnel rompu à ce type d’exercice.
La France est condamnée en juillet 2014, la CEDH rappelle que pour être compatible avec l’article 1 du Protocole n°1, une mesure de privation de propriété doit remplir trois conditions:
- être effectuée, « dans les conditions prévues par la loi », ce qui exclut une action arbitraire de la part des autorités nationales ;
- intervenir « pour cause d’utilité publique » ;
- ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l’Etat, y compris pour les mesures privant une personne de sa propriété.
CEDH, 10 juillet 2014, Req. 4944/11
Les apports de cette décision.
Pour répondre à mon titre et à la question que j’ai posée, non, ce n’est pas la fin de la prestation compensatoire sous la forme de l’attribution d’un bien…
En effet, l’arrêt de la CEDH s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et de celle de la Cour de cassation.
Le législateur a instauré le principe que la prestation compensatoire doit être versée en capital… à défaut et si cette modalité d’exécution n’est pas possible, le juge a la possibilité d’ordonner l’exécution sous la forme de l’attribution d’un bien.
Toutefois, si comme en l’espèce le débiteur est à la tête d’un patrimoine immobilier important, il devra être libre de choisir de laisser tel ou tel bien au tire de la prestation compensatoire et ne pas se voir imposer le bien qu’il devra céder.
Il faut préciser qu’en l’espèce la Villa de Valbonne était une maison à laquelle l’époux était sans doute attaché puisqu’elle était construite un terrain qui a appartenu à sa mère…
En conclusion: l’attribution d’un bien au titre de la prestation compensatoire doit être SUBSIDIAIRE, le principe restant et demeurant le versement d’un capital.