Le texte de mon intervention à l'assemblée générale du Barreau de Bordeaux, le 9 novembre 2009.
Avant toute chose, il s'agit de définir ce qu'est l'avocat en entreprise selon le rapport Darrois.
C'est un salarié de l'entreprise qui bénéficierait du titre d'avocat mais qui ne plaiderait pas, qui ne pourrait pas développer une clientèle personnelle et qui serait soumis au pouvoir de direction de son employeur.
Il relèverait de notre déontologie et de notre discipline. Cependant, son inscription figurait sur un tableau B et cet avocat « à part » n'assumerait aucune mission de service public (commission d'office, consultations gratuites...).
Il nous est apparu que ce débat ressemble étrangement à celui qui a animé notre profession il y a maintenant 3 ans sur l'intégration des juristes d'entreprises. A l'époque, les termes de la discussion étaient les mêmes.
Rappelez-vous de la décision de la Conférence des Bâtonniers qui l'avait massivement rejetée.
La raison de ce rejet: l'existence d'une passerelle inscrite dans le décret du 27 novembre 1991 permettant aux juristes d'entreprises après au moins huit ans de pratique professionnelle au sein d'un service juridique de devenir avocat tout en étant dispensé de l'obligation d'obtenir le CAPA.
Notre profession n'est dès lors pas hermétique ni conservatrice ni même corporatiste.
Pour contourner cette opposition massive de la profession, le rapport DARROIS prétend renouveler la question en changeant de vocabulaire et en décalant légèrement le problème. Il s'agit plus d'intégration des juristes d'entreprise dans la profession d'avocat mais de l'intégration de l'avocat dans l'entreprise elle-même.
Le projet de réforme proposé n'est pas pensé dans l'intérêt des avocats mais plutôt dans celui des grandes entreprises qui convoitent notre secret professionnel pour mener à bien leurs activités.
En quoi sommes-nous concernés ?
Il apparait que les avantages que l'on nous fait miroiter (développement économique, installation de nouvelles entreprises et nouveaux débouchés professionnels pour les avocats...) sont de la poudre aux yeux.
En revanche, les dangers pour notre profession sont réels : perte d'identité et d'unité de notre profession.
Ainsi, le SAF refuse la proposition du rapport DARROIS relative à la création de ce statut d'avocat en entreprise.
Pour vous convaincre de notre position, je développerai 3 points:
- LE DESSEIN DE CETTE REFORME : le seul objectif de la réforme est de donner le secret professionnel aux entreprises ( ce n'est pas notre problème)
- LA CONSEQUENCE DE CETTE REFORME : le dévoiement de l'identité de notre profession ( c'est notre problème)
- L'INTERET DE CETTE REFORME : aucun avantage ou intérêt pour la profession.
I- Le seul objectif de cette réforme c'est de donner le secret professionnel aux grandes entreprises.
Le rapport DARROIS veut accorder aux entreprises françaises le bénéfice de notre secret professionnel.
ll s'agit de satisfaire une vieille revendication des chefs d'entreprises qui se plaignaient de ne pas être à égalité avec leurs concurrents anglo-saxonnes qui bénéficient du fameux legal privilege.
Dans les systèmes de droit anglo-saxons, la procédure civile impose aux parties de communiquer tous les documents qui les servent ou desservent. Une exception est prévue: c'est le legal privelege qui les dispense de communiquer certains documents, leur accordant une certaine confidentialité.
Or, dans la procédure française, les parties n'ont pas obligation de communiquer l'intégralité de leurs pièces mais seulement les pièces sur lesquelles elles fondent leur argumentation.
Dès lors notre procédure française tant décriée ménage une sorte de "legal privilege" car dans nos procédures civiles, les entreprises ne sont pas tenues de livrer les documents qu'elles souhaitent maintenir secret.
Il est vrai, notre secret professionnel qui est général, absolu et illimité est plus attractif que le legal privilege pour qui voudrait faire échec à certaines dispositions législatives en droit de la concurrence par exemple qui prohibe les abus de position dominante, les ententes, en droit de l'environnement, ou en droit du travail...
Or, si nous bénéficions de ce privilège du secret professionnel, ce n'est pas pour servir la prospérité des entreprises mais pour notre activité de défense.
Tel le rappelle la CJCE dans une décision importante AM&S 1984 et le Tribunal de Première Instance en 2007 ( AKZO NOBEL).
Ces décisions reconnaissent la confidentialité des communications entre avocats et clients dans la mesure où il s'agit d'un complément nécessaire au plein exercice des droits de la défense.
Le TPICE estime qu'il ne peut y avoir de confidentialité des communications des avocats et des juristes exerçant en entreprise car un conseil fourni en toute indépendance ne peut être considéré comme tel que si l'avocat est "structurellement, hiérarchiquement et fonctionnellement un tiers par rapport à l'entreprise qui bénéficie de cette assistance".
Très clairement, le rapport DARROIS est contraire à la jurisprudence communautaire actuelle.
II. La conséquence de cette réforme : le dévoiement de l'identité de notre profession.
Devons-nous accepter l'avocat exerçant en entreprise en sacrifiant l'indépendance et l'unité de notre profession ?
a- Sacrifier notre indépendance en se mettant au service d'une entreprise à la fois employeur et client de l'avocat.
Nous prêtons serment d'exercer notre activité en toute indépendance.
Il est évident qu'un avocat salarié d'entreprise n'est pas un avocat indépendant puisqu'il est soumis hiérarchiquement, structurellement et fonctionnellement à l'entreprise qui l'emploie et le paie.
La pirouette du rapport DARROIS de dire que seul prime l'indépendance intellectuelle est une hypocrisie.
Le parallèle avec l'avocat salarié d'un avocat n'est pas pertinent car celui-ci est indépendant par rapport aux clients du cabinet qui l'emploie. Il est subordonné juridiquement à un avocat et non à un client alors qu'un avocat d'entreprise est subordonné à une entreprise qui se trouve être à la fois son seul client et son employeur.
b- Sacrifier l'unité de notre profession en instaurant une déontologie à géométrie variable.
Par ailleurs, l'unité de la profession est menacée. Cette réforme créée des avocats à statuts différents: les uns plaident, les autres plaident pas encore, les uns ont une clientèle, les autres n'ont pas le droit d'en avoir une, les uns sont soumis à l'autorité du Bâtonnier et aux organes de discipline alors que les autres sont soumis à une double autorité concurrente celle de leur employeur qui se trouve être l'unique client et celui qui paie le salaire et celles de nos organes disciplinaires. Il est bien évident que l'autorité qui primera sera celle de l'employeur.
L'avocat d'entreprise n'assumera pas les missions de service public.
Que reste-t-il de l'avocat ? Qu'est un avocat sans robe, dépendant et sans clientèle ?
III. Une réforme sans (et pas cent...) avantages pour la profession.
Les promoteurs de cette réforme nous font miroiter des avantages illusoires qui sont:
- l'attractivité plus importante de la France pour l'installation des sièges sociaux étrangers des grands groupes qui permettrait aux avocats de bénéficier d'une plus grande activité et aux cabinets de prospérer.
- les nouveaux débouchés notamment pour les jeunes avocats sortant de l'école.
- le renforcement de la position du droit français dans le monde par rapport au droit anglo-saxons dominant dans les affaires.
1- l'attractivité plus importante de la France (installation d'entreprises étrangères en France) : un argument simpliste.
Le secret professionnel n'est pas un atout déterminant pour le choix d'implantation de sièges sociaux étrangers.
Les stratégies d'installation des sièges sociaux étrangers sont bien plus élaborées et tiennent compte de plusieurs facteurs dont le principal est loin d'être le secret professionnel mais la qualité des infrastructures, la stabilité du pays, la productivité des salariés....
2- Les nouveaux débouchés pour les avocats : un argument illusoire.
L'avocat en entreprise n'est pas une solution pour le manque de débouchés de certains de nos jeunes Confrères.
Cette réforme n'augmentera pas d'un coup de baguette magique les propositions de poste.
Ceci d'autant plus qu'une période transitoire de 8 ans est prévue à l'issue de laquelle les juristes d'entreprise pourront intégrer directement notre profession. Aussi, les entreprises préféreront que leur Directeur juridique devienne avocat plutôt que d'engager un jeune sorti de l'école d'avocat.
3- Le renforcement de la position du droit français dans le monde : un argument hypocrite.
L'avocat en entreprise ou la création d'une communauté de juristes n'est pas un facteur de renforcement et de rayonnement d'un système juridique.
Historiquement, c'est la position de domination d'un état qui lui permet d'imposer son système juridique.
Il est surprenant que les pouvoirs publics s'intéressent à la position du droit français dans le monde alors qu'ils abandonnent leur propre système juridique au profit du droit anglo-saxon.
La procédure pénale nous offre des exemples par milliers : les peines planchers, le plaider coupable, le rapport léger et la disparition du juge d'instruction...
En Conclusion : Le SAF n'est pas opposé à ce qu'il soit accordé aux entreprises françaises un legal privilege.
Cependant, le SAF est fermement opposé au dévoiement de notre statut et à l'instrumentalisation de notre profession dans l'intérêt des seules grandes entreprises.
L'avocat exerçant en entreprise n'apportera rien à la profession, bien au contraire, ces avocats d'entreprise seront des concurrents des cabinets d'avocats défendant des institutionnels et la profession risque de perdre de la clientèle.
Vous aurez compris la position du SAF et notre mot d'ordre : Préservons l'indépendance des avocats et refusons l'avocat exerçant en entreprise.