I. SIGNALEMENT DE PERSONNE EN DANGER
Désormais tout signalement émanant d'un citoyen, des services sociaux, des établissements de soins ou médicosociaux, ne peuvent plus être adressés au juge des tutelles mais doivent être effectués directement auprès du procureur de la République (Palais de Justice -Tribunal de Grande Instance).
Les options qui s'offrent alors au parquet varient en fonction de l’auteur du signalement.
1ère option : renvoi à saisir directement le juge des tutelles
Si le signalement émane de l’entourage de la personne à protéger (C. civ. art. 430), le procureur invitera l’auteur du signalement à s’adresser directement au juge des tutelles.
La demande est accompagnée, à peine d'irrecevabilité, d'un certificat circonstancié (coût 160 €) rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République (C. civ. art. 431).
2ème option : recueil de renseignements complémentaires pour étayer le signalement
Lorsque les informations transmises sur la situation d’une personne vulnérable apparaissent inquiétantes mais insuffisantes pour fonder une requête au juge des tutelles, le procureur peut solliciter, notamment auprès des services sociaux, des renseignements complémentaires : isolement de la personne, état de son logement, environnement familial, social et professionnel…
3ème option : réorientation vers les services sociaux
Les éléments recueillis peuvent aussi conduire le ministère public à réorienter directement l’auteur du signalement vers les services sociaux du conseil général, afin que soit envisagée la mise en place d’une mesure d’accompagnement social personnalisé (MASP) ou de toute autre mesure sociale plus adaptée.
4ème option : le classement
Le parquet peut également considérer au vu des éléments obtenus, qu’une mesure de protection n’est pas nécessaire ou que des dispositifs suffisants sont déjà en place pour protéger la personne vulnérable : procurations auprès des proches fonctionnant dans de bonnes conditions, époux judiciairement habilité à agir, mise en œuvre d’un mandat de protection future …
5ème option : requête au juge des tutelles
Si la protection juridique s’avère nécessaire le procureur doit alors transmettre au juge des tutelles les éléments pertinents qui permettront une instruction plus rapide et plus efficace de la situation.
Des conditions s’imposent au juge des tutelles pour prononcer une mesure de protection.
o conditions de fond : une protection nécessaire et sans autre alternative (C. civ. art. 428)
o conditions de forme : une requête complète est nécessaire (C.P.C. art. 1218 et 1218-1).
Cette procédure aboutira au placement de la personne protégée sous sauvegarde de justice, sous curatelle ou sous tutelle.
II. PROTECTION JURIDIQUE : SAUVEGARDE DE JUSTICE, CURATELLE OU TUTELLE
L’ouverture d’un régime de protection du type sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle n’est jamais automatique.
C’est au vu du certificat médical circonstancié; après audition de la personne vulnérable (C. civ. art. 432) et le cas échéant des personnes de son entourage (C. civ. art. 430), que le juge des tutelles peut prononcer une mesure de protection juridique.
Les mandats varient en fonction des besoins de protection :
- Besoin d’assistance ou de représentation temporaire avec une mission déterminée dans le cadre d’une sauvegarde de justice (C. civ. art. 433 a. 1);
La loi permet également au juge de nommer un mandataire spécial pour l’accomplissement :
- d’actes ponctuels d’administration ou de disposition du patrimoine : vente du domicile ou de la maison de campagne, acceptation d’une succession…
- et/ou d’actes importants touchant à la protection de la personne : accompagnement lors d’un changement de résidence avec éloignement géographique ou modification importante de l’environnement social et relationnel… (C. civ. art. 433 al.2).
La sauvegarde de justice peut aussi être prononcée pour la durée de l’instance (C. civ. art. 437) (TI Toulouse, 20 octobre 2010).
- Besoin d’assistance ou de contrôle continu pour l’accomplissement des actes importants de la vie civile : curatelle (C. civ. art. 440 al.1er) :
« Attendu qu’il est établi par l’ensemble du dossier que et plus spécialement par les éléments médicaux que la personne à protéger, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin d’être assistée et contrôlée dans les actes importants de la vie civile (…) ;
Dit que cette mesure s’appliquera tant à la personne protégée qu’à ses intérêts patrimoniaux ». (TI Toulouse 26 janvier 2011).
- Besoin de représentation continue pour tous les actes de la vie civile : tutelle (C. civ. art. 440 al. 4) :
« Attendu qu’il résulte des éléments de la procédure, et notamment des éléments médicaux que la personne à protéger présente une altération des facultés mentales et corporelles caractérisée par une maladie et un affaiblissement dû à l’âge qui l’empêche de pourvoir seule à ses intérêts ; qu’elle a ainsi besoin d’être représentée de manière continue dans les actes de la vie civile » ;
Dit que cette mesure s’appliquera tant à la personne protégée qu’à ses intérêts patrimoniaux, sous réserve des actes strictement personnels définis à l’article 458 du Code civil qui ne peuvent donner lieu ni à assistance, ni à représentation (TI Toulouse, 26 janvier 2011).
- Besoin d’assistance ou représentation avec mission très spécifique : curatelle ou tutelle ad hoc
« Assister Mme G. dans l’acceptation de la succession de M. G. et dans l’acceptation des attributions faites aux termes de l’acte de donation-partage » (TI Toulouse, 9 mars 2011).
Dans tous les cas, la mesure judiciaire ne doit enfreindre la capacité juridique, les droits et libertés de la personne protégée que dans la limite nécessaire pour atteindre le but de l’intervention, tout en favorisant son autonomie.
III. RESPONSABILITES DES MANDATAIRES
1. Responsabilité civile du mandataire judiciaire, curateur ou tuteur
"Tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction" (C. civ. art.421).
Concrètement, la personne directement lésée ou ses héritiers pourront demander à la juridiction civile (tribunal d’instance ou tribunal de grande instance) l’indemnisation de leur préjudice financier à la condition qu’il existe une faute dans l’exercice du mandat en lien avec le dommage.
Les tribunaux se livrent à une appréciation au cas par cas et souvent, la faute consiste à omettre ou mal accomplir un acte indispensable (souscrire une assurance, faire une déclaration fiscale..).
Les professionnels ont désormais l’obligation de souscrire une assurance couvrant ces risques de responsabilité civile.
De plus, le procureur de la République exerce une mission de surveillance des mesures de protection et le juge des tutelles contrôle chaque année, la gestion des comptes de la personne protégée.
2. Responsabilité pénale du mandataire, curateur ou tuteur
En matière de gestion patrimoniale, tout conflit d’intérêt, tout usage de biens du majeurs à d’autres fins que ses propres intérêts doit être absolument proscrit (vol, escroquerie, abus de confiance…).
IV. AUTRES RESPONSABILITES EN CAS DE FAIBLESSE
1. Abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse (C. pénal art. 223-15-2)
Faits punissables - l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse :
- d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur,
- ou d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement,
- pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Peines encourues - trois ans d'emprisonnement et 375000 euros d'amende, la peine peut être alourdie en cas de circonstances aggravantes.
2. Abus de faiblesse (C. consom. art. L122-8 et L122-9)
La loi a également renforcé la protection des consommateurs les plus vulnérables.
Sont concernées les personnes en situation de faiblesse. Il s'agit de personnes qui ne sont pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elles prennent, notamment en raison des ruses ou stratagèmes utilisés pour les convaincre.
Cette faiblesse peut notamment résulter d'un âge avancé, d'un mauvais état de santé, d'une mauvaise compréhension de la langue française...
Toutefois l'abus de faiblesse peut concerner des cas de vulnérabilité "momentanée" du consommateur, compte tenu des circonstances (par exemple dans une situation d'urgence).
Peines encourues : emprisonnement de cinq ans et 9 000 euros d’amende.
Lorsque les conditions de l'abus de faiblesse ne sont pas réunies, la pratique litigieuse peut être appréhendée sous l'angle des pratiques commerciales agressives.
Faits punissables : toute comportement commercial qui consiste à solliciter de façon répétée et insistante le consommateur ou en ayant recours à une contrainte physique ou morale (violence) afin d'altérer sa liberté de choix, d'obtenir son consentement ou d'entraver l'exercice des droits qu'il tire du contrat conclu avec le professionnel (C. cons. art. L122-11).
Peines encourues - emprisonnement de deux ans et 150 000 euros d’amende.
V. ANNULATION ET REPARATION DU PREJUDICE
Enfin et il s’agira du dernier volet de cet article, les personnes directement lésées ou leurs héritiers pourront demander à la juridiction civile d’annuler l’acte litigieux (procuration, donation, assurance-vie, testament…) ou le contrat litigieux (vente, viager…) et demander la réparation de leur entier préjudice financier.
1. Actions civiles de droit commun
Ces actions peuvent être fondées sur les vices du consentement lorsqu’il y a eu :
- dol (C. civ. art. 1116) : tromperie, manœuvres frauduleuses, escroquerie, mise en scène, absence d’information, mensonge…
- ou encore violence physique ou morale (C.civ.art. 1111) : main que l’on tient, menaces, chantage, pression psychologique…
Jurisprudence :
- En assurant une présence quasi permanente auprès du disposant, très gravement malade, en le coupant de sa famille et de ses amis, en assistant à tous ses rendez-vous chez le notaire, alors qu'ils avaient fait sa connaissance depuis moins d'un an, les époux légataires ont usé de manœuvres propres à l'isoler, à le fragiliser et à lui faire perdre toute liberté pour pouvoir capter ses biens, manœuvres sans lesquelles le disposant n'aurait pas testé à leur profit, ce qui caractérise un dol justifiant le nullité du testament (CA Pau, 9 mars 2009).
2. Action en annulation pour trouble mental (C. civ. art. 414-1 & 2)
Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit.
Il est donc possible de faire annuler les actes juridiques accomplis par une personne soumise à un trouble mental au moment de la signature, peu importe l’origine du trouble : âge, accident, maladie, absorption d’alcool, drogue etc….
Jurisprudence :
- Il convient d'annuler le testament pour insanité d'esprit de son auteur. Il ressort des attestations des différents médecins qui l'ont examiné qu'il souffrait d'une psychose maniaco-dépressive pour laquelle il était soigné et connaissait un épisode aigu de crise maniaque (CA Douai, 24 janv. 2011).
- Doivent être annulés pour insanité d'esprit des avenants à des contrats d'assurance-vie, une donation et un testament signés par un majeur souffrant d'une altération de ses capacités physiques et intellectuelles de type maladie d'Alzheimer malgré une mise sous tutelle postérieure à ces actes.
- Doit être également annulé le codicille rédigé par un majeur placé sous curatelle renforcée qui présentait une fragilité et suggestibilité médicalement constatée et qui a été victime de manœuvres frauduleuses ayant déterminé son consentement (Cass. 1re civ., 6 janv. 2010).
- De plus, l'autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d'un majeur protégé ne fait pas obstacle à l'action en annulation, pour insanité d'esprit, de la promesse synallagmatique de vente passée sur l'immeuble concerné.
La nullité d'un tel acte doit être ainsi prononcée dès lors que le majeur protégé n'avait pas toutes ses facultés mentales au moment de la signature de celui-ci (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010).
3. Autres actions possibles dés lors que la personne est placée sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle (C. civ. art. 435)
- l’action en rescision (c'est-à-dire en annulation) pour lésion : vise le cas où le majeur protégé a passé un acte à des conditions qui le désavantagent (exemple : il a vendu un bien immobilier très au dessous de sa valeur réelle). Il suffit qu’il y ait un déséquilibre en défaveur de la personne vulnérable.
- l’action en réduction pour excès : vise le cas où l’acte passé par le majeur protégé ne présente aucun intérêt pour lui ou encore est disproportionné par rapport à ses possibilités financières (exemple : s’il a acheté un bien à un prix trop élevé par rapport à sa valeur sur le marché, le prix pourra être réduit par le tribunal et la personne vulnérable remboursée).
CONCLUSION : LA LOI PROTEGE LES PLUS FAIBLES !
Les nouvelles dispositions légales et les tribunaux tendent à renforcer de façon plus contraignante la protection des personnes les plus vulnérables tout en préservant leur autonomie.
La jurisprudence citée le démontre.
Le juge des tutelles et le ministère public (c'est-à-dire le procureur de la République) jouent un rôle essentiel dans la mise en place et le contrôle de la protection des personnes majeures vulnérables.
A compter du 1er janvier 2012, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (c'est-dire les professionnels investis d’une mission de protection juridique) devront être titulaire d’un Certificat National de Compétence.
Ils travaillent en collaboration avec d’autres praticiens (services sociaux, médecins, auxiliaires de vie…).
Sur le terrain, la coordination de ces compétences devrait permettre de sauvegarder les intérêts de ceux d’entre nous qui ne sont pas (ou plus) en capacité de se protéger contre les affres de la vie.
Claudia CANINI
Avocat à la Cour
www.canini-avocat.com
www.canini-formation.com
A lire également http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/trouble-mental-annulation-actes-juridiques-4177.htm