MADAME LE MINISTRE,
A l’occasion de la célébration de la Journée Internationale des Familles le 15 mai prochain, je souhaite partager avec vous une de ces préoccupations qui font partie des problématiques les plus récurrentes de notre société, celle de la séparation des couples du fait des affectations dans la fonction publique camerounaise.
Mon frère ainé et son épouse se sont mariés à Bamenda. Après, elle, sortie de l’ENIEG, a été affectée à Tcholliré. Ils sont parents de deux enfants. Elle a pris un avec elle, le plus petit ; l’ainée a été placée chez une cousine. Mon frère vit donc seul. A tout casser, il faut à l’un au moins 20 000 FCFA en aller simple pour aller voir l’autre.
J’ai été exécuter une mission d’expertise juridique à Poli ; l’une des personnes ressources pour cette mission m’a dit être enseignant dans un village à la frontière du Nigeria, son épouse et lui étant installés, suite à une affectation, à Poli depuis 5 ans, il a été redéployé dans ce village frontalier. Il a donc laissé son épouse à Poli, avec leurs enfants. Ce monsieur vit donc seul.
Des cas similaires, chaque Camerounais peut en témoigner. Autour de nous, de nombreux couples ont été séparés par l’Etat, bien que pour des raisons professionnelles. Après avoir construit une famille, Ces personnes vivent seules, avec toutes les conséquences qu’entraine cette division du ménage : deux logements, deux rations alimentaires. Bref, cette situation d’éclatement familial engendre deux ménages à entretenir avec approximativement les mêmes moyens qu’avant, même en prenant en considération que l’affection soit consécutive à une promotion.
C’est une Résolution des Nations Unies, suite à son Assemblée générale du 20 septembre 1993, qui a institué le 15 mai de chaque année, Journée Internationale des Familles. Selon cette Résolution, la résolution 47/237, « les familles sont le fidèle reflet à l’échelle de base des forces et faiblesses de l’action menée en matière de protection sociale et de développement durable à tous les niveaux de la société ». Si on s’en tient à cette référence, les familles éclatées, qui se sont considérablement multipliées ces dernières années, constituent un reflet plutôt des faiblesses des actions menées chez nous en matière de protection sociale, voire, sur ce point précis, de l’inertie de l’Etat. Logiquement, si ce paramètre des Nations Unies venait à être évalué chez nous, la protection sociale serait particulièrement mal notée, en supposant que les enquêtes partent de la cellule de base de notre société, qu’est la famille.
Il faut tout de même rappeler que, par ces affectations intempestives, l’Etat contribue impunément à une violation continue de l’article 215 du code civil, qui prévoit précisément que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. La résidence de la famille est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord ». Le non-respect de ces prescriptions est de nature à engendrer une condamnation pénale et civile d’abandon de foyer. Qu’advient-il lorsqu’un l’un des conjoints a été contraint de se séparer de l’autre ? Celui qui exerce cette contrainte ne peut-il pas voir sa responsabilité engagée ? Vous le savez bien, c’est une faute que commet l’Etat, lorsqu’elle oblige les familles à se séparer, familles que tout un ministère a été créé pour assurer la protection… ou la promotion.
Madame le Ministre, je vous convie à prendre en considération ce réel problème social, en passe de devenir une cause de dissolution de fait des mariages, ou de violation de l’engagement de monogamie. La nature ayant horreur du vide, les femmes et les enfants sont très souvent remplacés dans le nouveau lieu d’habitation, ce qui engendre d’intenses crises familiales très loin des yeux de l’Etat. Afin d’assurer une protection aux familles de fonctionnaires et autres agents contractuels, il vous revient, d’ « étudier et de proposer les stratégies et mesures visant à renforcer l'harmonie dans les familles » comme le prévoit l’article 1er in fine d’un Décret, que vous connaissez très bien, le Décret n° 2005/088 du 29 mars 2005 portant organisation du Ministère de Promotion de la Femme et de la Famille. Ces séparations sont loin de contribuer à l’harmonie des familles camerounaises que vous servez.
Vous vous préparez à présider les activités de la Journée Internationale des Familles le 15 mai prochain. Je voudrais vous dire que de nombreuses familles camerounaises ne se sentiront pas concernées par cette célébration, pour la simple raison qu’elles n’ont de famille que le nom. Le thème de cette année 2016 « Les familles, une vie saine et un avenir durable » m’a notablement interpellé sur vos actions en direction des familles séparées par l’Etat. Celles-ci n’ont pas vraiment une vie saine, encore moins un avenir durable.
En ce moment, Madame le Ministre, mon frère cherche « le réseau » de l’affectation, afin que l’Etat ramène son épouse dans la même ville que lui, à Bafoussam… pour vivre enfin leur article 215 du code civil !