VOICI POURQUOI LE DROIT DE LA CONSOMMATION DOIT ABSOLUMENT ETRE APPLIQUE DANS LES PROCEDURES EN RESPONSABILITE CONSECUTIVES AU DERAILLEMENT DU TRAIN 152 LE 21 OCTOBRE 2016 A ESEKA
Trois semaines après le drame historique du déraillement du train INTER CITY 152 le 21 octobre 2016 dernier, le deuil se poursuit dans les familles … les interrogations sur la question de la responsabilité aussi. Le mot « responsabilité » est éminemment juridique, d’où la somme des interventions d’experts en droit qui ont pris leur « responsabilité » d’intellectuels pour apporter un éclairage de plus en plus fin sur l’ensemble des questions en cause. Des spécialistes du droit des contrats et du droit des transports ont ainsi ouvert des pistes méritant d’être étudiées pour consolider l’argumentation à apporter aux juges, si les procédures amiables, de l’ordre, par exemple, des transactions, n’aboutissent pas. Ceci est une réflexion visant le même objectif, à savoir, concourir à une indemnisation juste et équitable, à la fois de toutes les victimes et de tous les chefs de préjudices. Nous n’allons pas ici évoquer le préjudice moral collectif de tous les Camerounais, qui mérite au moins la reconnaissance judiciaire par condamnation au franc symbolique... par Camerounais. Nous n’allons pas non plus évoquer le préjudice du Président de la République et Madame qui ont toute de même dû suspendre un séjour en Europe pour revenir faire le deuil. Comme on ne sait pas vraiment ce qu’ils n’ont pas eu le temps de terminer, cette suspension pourrait coûter au contribuable un autre voyage du couple présidentiel, ce qui rallonge encore la liste des préjudices. Qui trop embrasse mal étreint…
Si au moins, à l’allure où va le droit au Cameroun, les droits des victimes les plus directes étaient reconnus, ce serait déjà un commencement de réparation du préjudice moral collectif. Ce propos s’inscrit donc dans le sillage des réflexions médiatisées ou non sur la question de la réparation de ces victimes. L’objectif visé ici est d’expliquer pourquoi le droit de la consommation devrait absolument être pris en compte dans ces procédures chaque fois que les conditions en seront réunies. En effet, le droit de la consommation est un droit spécial de protection, qui doit être appliqué de manière dérogatoire au droit commun. Les juristes connaissent ce principe « Specialia generalibus derogant ». Mais, les domaines du droit étant de plus en plus affinés, il est possible que la protection spéciale dont le consommateur camerounais est pourvu par la loi soit ignorée dans les stratégies de défense que les conseils développeront dans les procédures qui pourraient bientôt s’ouvrir devant les juridictions, voire même dans différents bureaux, en phase amiable. Il faut donc les rappeler, à toutes fins utiles : « la loi est un outil qui ne s’use que lorsque on s’en sert pas », mais en soulignant à traits rouges que le droit de la consommation vient s’ajouter au droit commun. Celui-ci ne s’applique pas chaque fois qu’il y existe une disposition plus favorable au consommateur : une bonne majorité de ces dispositions plus favorables se trouvent dans la loi du 6 mai 2011.
L’adoption de la loi cadre n° 2011/012 du 06 mai 2011 portant protection du consommateur a marqué un tournant décisif de la politique nationale de protection du consommateur au Cameroun. Cette loi constitue un acquis juridique pour les citoyens. Deux conditions sont déterminantes : le produit ou le service consommé et par qui.
Concernant le produit ou le service consommé : l’article 1er de la loi du 6 mai 2011 donne le champ d’application. D’abord, selon cet article, la loi « s’applique à toutes les transactions relatives à la fourniture, la distribution, la vente, l’échange de technologies, de biens et de services portant sur la protection du consommateur ». Pour plus de précision, l’article 1 alinéa 2 ajoute que la loi en question vise les transactions concernant « (…) notamment les secteurs de la santé, la pharmacie, l’alimentation, l’eau, l’habitat, l’éducation, les services financiers, bancaires, le transport, l’énergie et les communications ». Les services de transport sont bien concernés par la loi du 6 mai 2011.
Concernant la personne qui consomme : c’est également l’article 1er qui désigne le bénéficiaire de la loi du 6 mai 2011 : « La présente loi fixe le cadre général de la protection du consommateur ». L’article 2 définit ce premier sujet du droit de la consommation. Il s‘agit de « toute personne qui utilise des produits pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes à sa charge et non pour les revendre, transformer ou les utiliser dans le cadre de sa profession, ou toute personne qui bénéficie des prestations de service ». Une ces conclusions à tirer de cette définition est que les victimes qui voyageaient pour des raisons professionnelles n’ont pas le statut de consommateur : c’est le cas, par exemple… du personnel de Camrail. Donc, ce propos ne pourrait contribuer à la défense de leurs intérêts.
On peut conclure que les services ou produits énumérés par la loi du 6 mai 2011 incluent le domaine du transport. Dans l’affaire du déraillement du train 152 en date du 21 octobre 2016, s’il faut appliquer les règles du droit des transports, rien ne permet de mettre à l’écart celle du droit de la consommation, bien au contraire. Il faut cependant déjà relever que contrairement à ce que nombre d’experts ont indiqué comme piste de réparation, le Code CIMA pourrait ne pas trouver à s’appliquer, car l’article 203 (voir aussi l’article 600) de ce Code exclut de son champ de compétence les dommages causés par « les chemins de fer et les tramways ». D’autres principes clairs favorisent une réparation juste et équitable de l’ensemble des victimes et de l’ensemble des chefs de préjudice. Les analysent commencent par le lien juridique entre chaque victime et CAMRAIL, ensuite les types de préjudices à prendre en compte et enfin, la juridiction compétente.
LE RAPPORT JURIDIQUE ENTRE CHAQUE VICTIME ET CAMRAIL
En principe, le litige de consommation est sur un contrat de consommation. La preuve de la relation contractuelle doit être établie entre chaque victime et la CAMRAIL. Il peut suffire de relever que le contrat de transport peut être écrit ou verbal. Certes, ce droit concerne le transport terrestre de personnes. Ainsi, concernant le droit du transport ferroviaire, on constate qu’en réalité, CAMRAIL recourt à ces deux modalités. Elle propose l’achat de ticket à ses guichets, même via ses différents partenaires, pour un paiement antérieurement au départ du train. Ainsi, pour les victimes ayant perdu leur ticket, le manifeste du train INTERCITY 152 peut servir de preuve de la régularité de leur situation. Mais, sur cette voie interurbaine, une pratique usuelle permet aux voyageurs d’entrer dans les wagons sans ticket, CAMRAIL ayant d’ailleurs préposé du personnel au recouvrement du prix du ticket postérieurement au départ du train auprès des voyageurs concernés, sans frais ajouté. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter pour la preuve de la relation contractuelle concernant les victimes (vives ou mortes) sans ticket. Il faut absolument faire attention à cette orientation de notre droit car le droit français, nationalité du concessionnaire de notre réseau routier, n’est pas dans ce sens. Une inquiétude peut demeurer concernant leur qualité de consommateur. Il revient à CAMRAIL d’établir la preuve du contraire en cas de difficulté sur ce point. L’article 28 fait partie des plus grands privilèges processuels reconnus au consommateur, car il décharge le consommateur de la corvée de la preuve, en considération de sa posture de partie faible face à la puissante économique de l’entreprise : « Dans le cadre de l’instruction de toute procédure relative à la protection du consommateur, la charge de la preuve contraire des faits allégués incombe au vendeur, fournisseur ou prestataire de service ». Ainsi, par exemple, si les conseils de CAMRAIL apportent la preuve que tel journaliste ou tel fonctionnaire voyageait dans le cadre d’une mission, ils sont bel et bien des victimes, ticket ou pas, mais, ils n’auront pas le statut de consommateur.
 On doit ici souligner que le contrat de transport liant CAMRAIL et ses passagers est un contrat d’adhésion. Ce type de contrat, dans lequel le client n’a rien négocié, est assujetti à un régime particulier pour prendre en compte le fait que l’entreprise a unilatéralement défini les clauses et ne doit pas nuire aux droits de ses cocontractants. Le régime principal de protection du consommateur lié par un contrat d’adhésion est la nullité de principe des clauses dites abusives.
 LE RESPONSABLE A POURSUIVRE
 En droit, le responsable, c’est celui qui doit réparer les préjudices issus d’un dommage. Les préjudices issus d’un accident de circulation obéissent à un régime particulier, liés à la nature de l’obligation mise sur le dos du professionnel. Concernant le transport de personnes, il s’agit d’une obligation de résultat double d’une obligation de sécurité car le transporteur doit transporter le passager « sain et sauf » du lieu de départ jusqu’au lieu de destination. CAMRAIL est un concessionnaire du service public de transport ferroviaire. Le contrat de concession ainsi que le cahier des charges qui l’accompagnent permettent d’établir les engagements d’un côté de l’Etat et de l’autre, le concessionnaire. C’est un enjeu angulaire de toutes les questions autour de la réparation des préjudices des victimes du déraillement du 21 octobre 2016 dernier. En effet, le seul fait qu’il s’agisse d’une concession publique appelle, d’abord, la responsabilité de l’Etat. Mais, dans une application stricte du droit, le cocontractant des victimes, c’est la CAMRAIL. En matière de responsabilité, une procédure efficace est celle qui permet de poursuivre 1) le bon responsable et 2) en cas de pluralité, le responsable le plus solvable en en cas de pluralité, et 3) le responsable couvert par une compagnie d’assurance… avantageuse et elle-même solvable. Dans le doute, aucune loi n’empêche de poursuivre tous ces responsables dans le cadre de procédures parallèles devant les juridictions idoines. Cependant, les procédures contre l’Etat pourraient s’avérer difficultueuses pour indiquer avec précision ce qu’on reproche à l’Etat. Seule l’expertise technique pourrait, en établissant les manquements et défaillances à l’origine du déraillement, indiquer avec un minimum d’appréciation hypothétique, qui, du concessionnaire ou de l’Etat, a manqué à ses obligations telles que convenues à la fois dans le contrat de concession et le cahier des charges.
LA JURIDICTION COMPETENTE
Cette question ne se posera que si les procédures non juridictionnelles sont mises en échec, soit qu’elles ont été rejetées, soit qu’elles n’ont pas abouties. La loi du 6 mai 2011 permet le recours au tribunal arbitral et aux juridictions de droit commun. La procédure efficace est celle qui permettra d’accorder aux victimes ayant le statut de consommateur le bénéfice d’une justice rapide, en lui évitant de perdre les droits reconnus à tout autre citoyen. Il est donc possible que des offres financières de réparation soient proposées aux familles de victimes. Certes, un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès, mais, cet adage ne correspond pas à l’esprit de l’article 3 c ni à de celle de l’article 26 qui prévoit ces modes de règlement des litiges de consommation. Ces deux textes réunissent les conditions d’une réparation complète des dommages de consommation, que le législateur souhaite équitable. Pour cette raison, il permet au consommateur d’engager soit des procédures individuelles, soit des procédures collectives (article 27 (4)).
La détermination de la juridiction compétente est un point névralgique des litiges de consommation. Si l’option est de poursuivre l’Etat, les juridictions administratives du domicile des victimes seront saisies. Autrement, la plupart des sociétés de transport de personnes indiquent une juridiction, celle de Yaoundé, comme juridiction compétente en cas de litige. On doit marteler que ces clauses attributives de compétence ne peuvent s’appliquer au consommateur que si elles rejoignent les principes du droit processuel relatifs aux compétences des juridictions (articles 7, 8 etc. du code de procédure civile et commerciale du Cameroun), sinon elles sont abusives.
Dans l’affaire qui nous préoccupe, concernant particulièrement le lieu (compétence ratione loci), le consommateur peut choisir entre le siège social de l’entreprise CAMRAIL et toute juridiction où l’entreprise dispose d’une succursale. L’accident étant le prototype du quasi-délit, on peut également envisager la compétence des juridictions d’Eséka en application de l’article 8 in fine du code de procédure civile et commerciale. Ces options sont bénéfiques, car, plus proche est la juridiction, plus aisés seront l’engagement et le suivi des procédures. On pense ici aux compatriotes résidant à Eséka que le train a surpris, les transformant en victimes alors qu’ils n’étaient pas des passagers. Toute clause ou offre dérogatoire de droit commun doit être considéré comme abusive en application de l’article 6 de la loi du 6 mai 2011.
LES PREJUDICESÂ REPARABLES
Le droit de la consommation n’a pas de dispositif particulier concernant la réparation des préjudices de consommation. La protection du consommateur réside dans le rappel de son droit à une « réparation complète des torts pour les dommages subis » (article 3 al. 2). Cependant, il faut s’assurer que le droit des assurances applicable à ces victimes soit respectueux du droit de la consommation. Par exemple, l’article 35 interdit les clauses de limitation de responsabilité ou de garantie « Est nulle, toute clause d’exonération ou de limitation de responsabilité ou réduisant la portée des garanties contenues dans le contrat de vente, de fourniture des biens ou technologies, de prestation de service à un consommateur ». Les conseils devraient, au cas par cas, apprécier tous les chefs de préjudices, des préjudices patrimoniaux aux préjudices extrapatrimoniaux de chacune des victimes.
Ceci permet de rappeler que les clauses des conventions d’assurance ne vont s’appliquer à la victime ayant le statut de consommateur que si ces conventions ont été portées à sa connaissance. C’est ce que prévoit l’article 6: (« 1) Les accords-standards ou contrats d’adhésion doivent être rédigés en français et en anglais en caractères visibles et lisibles à première vue par toute personne ayant une vue normale. Ils doivent être réglementés et contrôlés pour assurer une protection légitime au consommateur. (2) Les accords ou contrats visés à l’alinéa 1 ci-dessus doivent en outre contenir des termes clairs et compréhensibles pour le grand public, sans faire référence à d’autres contrats, règles, pratiques, textes et documents non connus du public ou non mis à sa disposition avant ou pendant l’exécution desdits contrats (…)». Ce texte n’invite pas les conseils à rejeter les propositions de l’assureur, mais, il faut savoir qu’ils ont le droit de remettre le contrat d’assurance en question, surtout si ces propositions ne participent pas à une réparation complète des dommages de leurs clients.
Par ailleurs, il y a une possibilité juridique d’obtenir le double des indemnités concernant les victimes ayant le statut de consommateur, en application de l’article 34 de la loi du 6 mai 2011, si « des informations erronées sur la qualité des technologies, biens et services » ont été fournies au consommateur. Des experts ont évoqué la présence sur le rail de wagons dotés d’un système de freinage incompatible. A moins qu’il ne s’agisse de chinoiserie d’experts, il est possible que le déraillement du 21 octobre 2016 interpelle l’application de l’article 32 qu’il faut absolument citer : « (1) Est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de deux cent mille à un million de francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui fournit des informations erronées sur la qualité des technologies, biens ou services fournis à un consommateur. (2) Est puni des peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus, celui qui donne de fausses informations aux autorités compétentes ou toute à structure, organisme ou association des consommateurs au cours d’une enquête menée dans le cadre de la présente loi ».
Ainsi, les résultats des enquêtes de tout bord sont particulièrement attendus. A côté de la commission d’enquête « présidentielle », au moins deux procureurs de la république (au centre et au littoral) auraient déjà dû ouvrir une enquête d’ordre pénal pour mettre en évidence ou non les infractions prévues au chapitre VII de la loi du 6 mai 2011. Peut-être n’ont-ils pas jugé ceci … opportun, alors que ce cumul d’enquêtes n’aurait certainement pas nui à la manifestation de la vérité.
Par nature, l’accident de circulation engendre des victimes directes, mais aussi des victimes par ricochet qui se comptent parmi les ascendants, les descendants et les conjoints.
D’abord, concernant les victimes décédées : l’exemple vaut mieux que la leçon. Soit un homme de 45 ans, décédé suite à cet accident. La réparation de la perte que sa famille a subi ne se confond pas avec la réparation des préjudices moral et matériel de la veuve ou des orphelins, encore moins celui de ses parents, qui sera d’autant plus importante que le défunt leurs procurait des subsides. On ne s’est pas suffisamment interrogé sur la nature juridique du montant de 1.500. 000 Francs CFA unilatéralement défini (?) et versé aux familles des victimes par CAMRAIL pour, dit-elle, les funérailles. A-t-elle ainsi commencé le processus de réparation des préjudices, ou est-ce un acte de bienfaisance ? On va en tout cas ignorer le fait que ce montant n’a pas tenu compte des réalités locales. On sait qu’en langue française, les funérailles correspondent aux obsèques, mais au Cameroun, on sait que c’est après l’enterrement que les funérailles commencent…
Ensuite, les victimes survivantes : le préjudice des victimes blessées, mutilées, sera apprécié à l’aune des certificats médicaux établissant le degré d’invalidité. La prise en charge médicale assurée gratuitement par l’Etat pourrait s’interrompre, une fois la victime partie du milieu hospitalier. Il faudrait donc déjà solliciter des provisions pour assurer la poursuite des soins. Les conseils veilleront à argumenter dans le détail tous les chefs de préjudice d’atteinte à l’intégrité physique (jusqu’au préjudice esthétique s’il y a lieu) et moral et matériel (ex : les bagages des victimes). La réparation du préjudice par ricochet des parents de victimes survivantes sera assez complexe voire contextuelle. Le plus certain, c’est la réparation du préjudice des victimes par ricochet découlant de l’incapacité totale ou partielle d’une victime directe qui ne peut plus subvenir aux besoins de famille.