LE DECLENCHEMENT DES REFORMES INSTITUTIONNELLES DANS NOTRE COMMUNAUTE
A partir de 2005, plus d’une décennie après la création de la CEMAC, le déficit voire l’échec de l’intégration commence à devenir une évidence, source d’une grande déception tous azimuts. Le Marché Commun tarde à se mettre en place. Le baromètre usuel, la libre circulation, et dans une moindre mesure, le libre établissement, restent toujours un rêve, s’ils ne deviennent des cauchemars. On peut donner en référence l’exigence continuelle d’un visa d’entrée aux Cemaciennes et Cemaciens à l’intérieur de la CEMAC, les conditions d’implantation d’entreprises imposées aux non nationaux bien qu’originaires d’un autre Etat membre de la CEMAC, le constant des refoulements vécus aux frontières des Etats membres, les contrôles de police que des citoyens originaires d’autres Etats membres subissent de la part des agents nationaux en contradiction totale avec le droit communautaire, que beaucoup « ignorent ».
LE POINT DE DEPART DES REFORMES INSTITUTIONNELLES AU SEIN DE LA CEMAC
Pour trouver des solutions efficientes à son inertie, la CEMAC commande en 2005 un audit « institutionnel, fonctionnel et organisationnel de la CEMAC ». Ce rapport d’audit (largement diffusé sur Internet) déposé en février 2006, a fait quatre constats relativement au système institutionnel :
1. Une répartition des responsabilités non équilibrée au sein des institutions communautaires ;
2. Un manque de cohérence du dispositif institutionnel ;
3. Des capacités du Secrétariat Exécutif insuffisantes pour jouer son rôle de locomotive de l’intégration ;
4. Un déficit de bonne gouvernance.
Ce rapport d’audit préconise d’en finir avec le statu quo et d’intégrer les pratiques suivantes au sien des institutions communautaires :
• La rotation : tout « verrouillage » de poste au niveau d’une institution rend difficile toute mutation dans les autres institutions. Ainsi, des ressortissants de tous les pays doivent pouvoir être appelés un jour ou l’autre à diriger chacune des institutions.
• La concurrence dans les recrutements : la rotation doit s’accompagner d’une mise en concurrence des postes, sur la base de critères décrivant le profil requis pour chaque poste. Un panel de sélection doit être mis en place, chargé de remonter aux Chefs d’Etat les meilleures candidatures de chaque pays, quelles que soient leur nationalité.
• L’équilibre entre les Etats Membres dans l’Exécutif des grandes institutions.
Le rapport d’audit de février 2006 préconise la mise sur pieds d’un Comité de pilotage (Copil) des réformes institutionnelles au sein de la CEMAC. Ce Copil sera institué par acte de la Conférence des Chefs d’Etats en mars 2006 et placé sous la direction du Président Equato-guinéen OBIANG GUEMA, qui est ainsi sacré Président dédié au Programme des Réformes Institutionnelles (PRI). Il reçoit à ce titre en mars 2007 un premier rapport d’étape qui propose d’inscrire dans l’urgence CINQ AXES de réformes impulsées par le rapport d’audit de 2006, parmi lesquels deux nous interpellent dans le cadre de cette problématique :
PREMIER AXE DE REFORME :
ASSURER UNE REPARTITION EQUILIBREE DES POSTES DE DIRIGEANTS AU NIVEAU DE TOUTES LES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES
Selon le premier Rapport du Copil de mars 2007, le tout premier axe de réforme exige que chaque Etat membre dirige au moins une des grandes Institutions suivantes : le Secrétariat Exécutif/future Commission, la BEAC, la BDEAC, la COBAC, la COSUMAF, la Cour de Justice Communautaire et le Parlement. Le même principe d’équilibre s’impose également à la direction des Institutions Spécialisées financées par les ressources de la Communauté.
Des précisions particulières sont proposées en ce qui concerne spécialement la BEAC. Le Rapport recommande, relativement à cette Institution, la présence dans le gouvernement de la banque d’un ressortissant de chaque Etat membre nommé par la Conférence des Chefs d’Etat avec, sous l’autorité du Gouverneur, un premier Vice-gouverneur qui seconde et supplée le Gouverneur et quatre Vice-gouverneurs chargés eux de domaines spécifiques.
DEUXIEME AXE :
INSTITUER UNE ROTATION ALPHABETIQUE POUR LES POSTES DE RESPONSABILITE
Le Rapport de mars 2007 précise que cette rotation devrait permettre à tous les Etats membres d’assurer successivement la Présidence des Institutions. En accompagnement à cette proposition, le Comité de Pilotage recommande également que la question des sièges des institutions soit réexaminée à cette occasion. C’est en lien avec ses propositions que l’Histoire de notre droit communautaire est convoquée par la remise en question du fameux consensus de FORT-LAMY dont la fin est ardemment sollicitée par les deux Rapports précédemment cités via la solution de la Rotation.
LA REMISE EN QUESTION DU CONSENSUS DE FORT LAMY
Rappel du Consensus de Fort-Lamy
Lorsqu’en 1972 l’actuelle Banque des Etats de l’Afrique Centrale est créée, pour continuer l’émission du Franc Cfa, devenu Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale "F CFA", les services Centraux se trouvent à Paris. L’UDEAC existe déjà depuis 1964 et fédère cinq Etats : Le Cameroun, la République Centrafricaine, le Gabon, le Congo et le Tchad. C’est une Convention de coopération monétaire signée le 22 novembre 1972 par la France et ces cinq Etats qui vient faire de la BEAC l’institution d’émission de la Monnaie au sein de l’UDEAC. La Guinée Equatoriale, qui entre dans l’UDEAC seulement en 1983, signe cette Convention en 1984.
La BEAC devient ainsi le pilier de notre système d’intégration. Ces anciennes colonies françaises membres de l’UDEAC ont accédé à l’indépendance depuis plus d’une décennie, et la question du siège de la BEAC est en grande discussion. C’est seulement en 1973 que la France accepte le principe du déplacement des services centraux de la BEAC de Paris pour l’un des Etats membres de l’UDEAC. Les discussions sont donc menées au sein de l’UDEAC pour s’accorder sur l’Etat qui accueillera le siège de la BEAC.
Au cours de la même année, les chefs d’Etats de l’UDEAC se retrouvent au Sommet de FORT-LAMY, dénomination de la capitale du Tchad jusqu’en fin 1973. La question de l’attribution du siège de la BEAC est le point central à l’ordre du jour. Les Etats finissent par s’accorder sur un consensus final qui est le suivant :
- Le siège de la BEAC est attribué au Cameroun ;
- le poste de Gouverneur est confié au Gabon ;
- les postes de Vice-gouverneurs au Congo et au Tchad.
La Centrafrique se tient tranquille : elle a décroché le siège du Secrétariat de l’UDEAC en 1964. On se souvient qu’à cette date, la Guinée Equatoriale n’est pas encore partie à la Convention instituant la BEAC.
Le consensus de FORT-LAMY est ainsi acquis. Pour l’Histoire, c’est seulement en 1977 que les services centraux de Paris sont fermés et la BEAC ouvre ses portes Avenue Vogt à Yaoundé au Cameroun. Ce consensus a fortement influencé l’attribution des accords de sièges et la répartition des postes au sein des futures institutions communautaires. On note spécialement que l’Etat siège ne saurait faire partie de l’instance dirigeante d’une institution communautaire.
Pourquoi la remise en question du consensus de FORT-LAMY ?
Nous avons déjà évoqué le problème de l’inertie de l’appareil institutionnel communautaire, comme cause première du déclenchement des réformes institutionnelles. Les différents Rapports d’audit que nous avons référencés établissent un lien étroit entre la répartition des postes au sein de cette institution et la question de la gouvernance au sein des institutions qui affichent une inertie totale et celles qui affichent un dynamisme négatif. On pourrait en conclure à une impunité manifeste. Les réformes institutionnelles, la redéfinition de l’attribution des postes et le principe de Rotation des nationalités à la tête des instances dirigeantes sont les solutions présentées comme sine qua none pour sauver le fonctionnement de la Communauté.
LE BILAN DES REFORMES A CE JOUR
Les réformes préconisées dans les deux Rapports de 2006 et 2007 sont inscrites dans l’urgence, la rapidité dans l’exécution des ces réformes faisant partie intégrante des éléments de la solution. Elles concernent les normes communautaires, les institutions communautaires au sens large et la répartition des postes au sein des institutions communautaires.
LA REFORME DES NORMES COMMUNAUTAIRES
Voici un récapitulatif des nouveaux textes à cette date :
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l’Additif portant Transformation du Secrétariat Exécutif en Commission de la CEMAC (25 avril 2007).
Le futur nouveau Traité et ses Conventions ont été adoptés le 25 juin 2008 et le 29 janvier 2009. Ils sont en cours de ratification des les Parlements nationaux. Il s’agit :
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du Traité révisé de la CEMAC ;
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de la Convention révisée régissant l’Union économique de l’Afrique Centrale (UEAC) ;
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de la Convention révisée régissant l’Union monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC);
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de la Convention révisée régissant le Parlement Communautaire ;
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de la Convention révisée régissant la Cour de justice ;
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de La convention régissant la Cour des comptes.
Ces textes sont accessibles sur le site internet officiel de la CEMAC. Le Traité révisé, qui, sur la forme, fusionne l’ancien Traité du 16 mars 1994 et son Additif de 1996 relatif au système institutionnel de la CEMAC, cristallise quant au fond un nouvel ordre juridique communautaire, eu égard à la formalisation des innovations préconisées comme déterminantes pour l’essor de la Communauté. On notera, entre autres :
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la régularisation normative de la transformation du Secrétariat Exécutif en Commission de la CEMAC (article 10 alinéa 2): cette transformation était intervenue en force en 2007 ;
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la restructuration des organes communautaires ;
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la réforme du système juridictionnel de la Communauté par l’éclatement de l’actuelle Cour de justice communautaire en deux Cours : la Cour de Justice et la Cour des comptes (article 10);
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l’introduction du recours en manquement devant la Cour de justice de la CEMAC (article 4 al. 2).
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l’érection de la Cour de justice communautaire en centre d’accueil de l’arbitrage, en plus de ses compétences arbitrales antérieures.
-
Etc.
LES REFORMES INSTITUTIONNELLES
CINQ INSTITUTIONS :
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L’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC, siège de la Commission, Bangui Centrafrique).
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l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC, siège BEAC, Yaoundé, Cameroun).
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le Parlement Communautaire (Malabo, Guinée Equatoriale).
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la Cour de justice communautaire à (N’djamena, Tchad) ;
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la Cour des comptes communautaire à (N’djamena, Tchad).
7 ORGANES :
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la Conférence des Chefs d’Etats,
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le Conseil des ministres ;
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le Comité ministériel ;
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La Commission de la CEMAC ;
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la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) ;
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la banque de développement de l’Afrique Centrale (BDEAC) ;
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la Commission Bancaire de l’Afrique centrale (COBAC).
L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE LA ROTATION: LA REDISTRIBUTION DES POSTES.
Le principe dorénavant est celui de la Rotation à la tête des institutions communautaires au sens large. il faut préciser que des Institutions comme la Cour dispose déjà d’un mode de rotation basée sur l’élection et la limitation de mandat. Comme la Conférence des Chefs d’Etats, l’UEAC et l’UMAC sont régies par une règle de rotation annuelle des Etats membres par ordre alphabétique.
La Résolution qui met à mort le fameux Consensus, qui aura duré 37 ans, est rédigée de la manière suivante dans le Communiqué final de la Conférence des chefs d’Etats du 15 au 17 janvier 2010 (largement diffusé sur Internet):
« Instituer le principe de la rotation, par ordre alphabétique des Etats membres, au niveau de toutes les Institutions, Organes et Institutions spécialisées de la Communauté, mettant ainsi fin au consensus de Fort-Lamy ».
En application de cette Résolution - et surtout, il faut en convenir - en guise de commencement de solution aux crises des deux Banques communautaires, les premiers responsables des deux Banques sous régionales (BEAC et BDEAC) ont été remplacés en application des Actes additionnels pris par la Conférence des Chefs d’Etat.