1) Faits et procédure
Le comité social et économique de Groupama assurances mutuelles a décidé, lors de la réunion du 10 septembre 2019 consacrée aux activités sociales et culturelles, de modifier l'article 1.1.2 du règlement général relatif aux activités sociales et culturelles afin d'instaurer un délai de carence de six mois avant de permettre aux salariés nouvellement embauchés de bénéficier des activités sociales et culturelles et ce à compter du 1er janvier 2020.
Le 12 février 2020, le syndicat a fait assigner le comité et la caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama devant le tribunal judiciaire en demandant au tribunal de dire illicite cet article 1.1.2 et de l'annuler.
Dans un arrêt du 24 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a jugé que la condition d’ancienneté était valide.
Le syndicat a alors formé un pourvoi en cassation.
2) Moyens
Le syndicat affirme au soutien de son pourvoi que :
- La seule qualité de salarié ouvre droit au bénéfice des activités sociales et culturelles ;
- Si le comité social et économique peut instaurer des critères de modulation pour l'attribution des activités sociales et culturelles, il ne peut exclure totalement un salarié du bénéfice de ces activités ;
- Qu’en l'espèce, il est constant que le comité a conditionné l'attribution des activités sociales et culturelles à l'acquisition d'une ancienneté minimale, ce dont il résultait que les salariés n'ayant pas acquis cette ancienneté étaient exclus du bénéfice des activités sociales et culturelles, nonobstant l'instauration d'une période de latence de trois mois permettant seulement de conserver un statut d'ouvrant droit ;
- Qu’en refusant d'annuler la disposition litigieuse, quand il résultait de ses propres constatations que ce critère conduisait à exclure des salariés du bénéfice des activités sociales et culturelles, la cour d'appel a violé les articles L. 2312-78 et R. 2312-35 du code du travail.
3) Solution
La Cour de cassation suit le raisonnement du syndicat et casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
La chambre sociale commence par rappeler les termes de deux articles du Code du travail :
- L’article L. 2312-78 selon lequel le comité social et économique assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, quel qu'en soit le mode de financement, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.
- L’article R. 2312-35 du même code selon lequel les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise au bénéfice des salariés ou anciens salariés de l'entreprise et de leur famille comprennent :
1° Des institutions sociales de prévoyance et d'entraide, telles que les institutions de retraites et les sociétés de secours mutuels ;
2° Les activités sociales et culturelles tendant à l'amélioration des conditions de bien-être, telles que les cantines, les coopératives de consommation, les logements, les jardins familiaux, les crèches, les colonies de vacances ;
3° Les activités sociales et culturelles ayant pour objet l'utilisation des loisirs et l'organisation sportive ;
4° Les institutions d'ordre professionnel ou éducatif attachées à l'entreprise ou dépendant d'elle, telles que les centres d'apprentissage et de formation professionnelle, les bibliothèques, les cercles d'études, les cours de culture générale ;
5° Les services sociaux chargés :
a) De veiller au bien-être du salarié dans l'entreprise, de faciliter son adaptation à son travail et de collaborer avec le service de santé au travail de l'entreprise ;
b) De coordonner et de promouvoir les réalisations sociales décidées par le comité social et économique et par l'employeur ;
6° Le service de santé au travail institué dans l'entreprise.
Les juges de la haute Cour affirment ensuite que « Il résulte de ces textes que, s'il appartient au comité social et économique de définir ses actions en matière d'activités sociales et culturelles, l'ouverture du droit de l'ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l'entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d'ancienneté ».
Or, en l’espèce, la Cour d’appel de Paris avait considéré que la condition tenant à une ancienneté de six mois dans l’entreprise pour bénéficier des activités sociales et culturelles n’étaient pas discriminatoire et permettait, dans l’intérêt même des salariés, d’éviter un effet d’aubaine.
4) Analyse
Cette solution apparait pour beaucoup comme très surprenante, notamment car l’Urssaf prévoyait expressément sur son site internet et dans son « Guide CSE » la possibilité de réserver le bénéfice des activités sociales et cultures aux salariés ayant une certaine ancienneté minimale, dans la limite de six mois.
Sur ce fondement, de nombreux CSE réservent le bénéfice des activités sociales et culturelles aux salariés ayant une ancienneté minimale au sein de l’entreprise.
Ainsi, cet arrêt va contraindre de nombreux CSE à changer leur pratique et à modifier leur règlement intérieur.
Toutefois, cette décision est conforme à la position du ministère du Travail qui considère que « la différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes, ce qui n’apparaît pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, compatible avec des critères en lien avec l’activité professionnelle tels que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise » (Rép. min., JOAN question n° 43931, 6 mai 2014).
En outre, cette position semble en meilleure adéquation avec le texte de l’article L. 2312-78 du Code du travail, qui prévoit que le CSE doit assurer la gestion des activités sociales et culturelles « prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires ».
En effet, les stagiaires ne pouvant effectuer un stage que pour une période maximale de six mois, la condition d’ancienneté de six mois excluait d’office les stagiaires du bénéfice des activités sociales et culturelles, et ce en contradiction avec l’article L. 2312-78 qui les vise expressément.
Sources
Cass. soc., 3 avril 2024, n° 22-16.812https://www.courdecassation.fr/decision/660cf1457c1ccb0008628aed
Les règles applicables aux prestations versées par le CSE
Urssaf - Guide pratique 2024 – Comité social et économique
Principes applicables en matière de cotisations sur les prestations
https://www.urssaf.fr/files/live/sites/urssaffr/files/outils-documentation/guides/Guide-CSE.pdf
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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