1) Faits et procédure
La société X est une officine pharmaceutique qui emploie moins de 11 salariés.
Madame C a été embauchée le 2 mars 2017 par la société X en qualité de Pharmacienne Adjointe, par contrat à durée indéterminée écrit.
Le contrat est soumis aux dispositions de la Convention Collective nationale de la pharmacie d’officine.
Au terme de l’article 6 du contrat de travail de Madame C, la durée hebdomadaire du travail était fixée à 35 heures, étant précisé que les heures supplémentaires effectuées à la demande de l’employeur lui seraient rémunérées, ainsi que les services de garde.
Les bulletins de paie de Madame C font état d’un salaire de base mensualisé à 151,67 heures.
Madame C expose qu’à compter de janvier 2019, les heures supplémentaires et les gardes qu’elle effectuait à la demande de la société X ont cessé de lui être payées.
Au moyen d’une lettre remise en main propre contre décharge datée du 27 janvier 2021, Madame C notifiait sa démission à la société X.
Les documents légaux et sociaux formalisant la fin de la relation contractuelle étaient établis par la société X en date du 27 février 2021.
Au moyen d’une lettre recommandée avec A.R datée du 24 novembre 2021, Madame C réclamait à la société X le paiement de ses heures supplémentaires et de ses gardes de nuit et de week-end, à hauteur de 54.761 €.
Le 22 janvier 2022, Madame C saisissait la formation de référé du Conseil de prud’hommes de céans en formulant les demandes ci-dessus énoncées, sous l’invocation des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile.
Le 24 janvier 2022, Madame C saisissait au fond le Conseil de prud’hommes de céans en vue d’obtenir la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul.
Madame C affirme, tant dans ses écritures qu’à la barre, que ne disposant pas des relevés de ses heures de travail pour déterminer avec exactitude la quantité d’heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées par la société X, il est indispensable que lui soient communiqués les extraits du logiciel Z lui permettant de présenter un état précis desdites heures supplémentaires à l’audience du Bureau de Conciliation et d’Orientation du Conseil de prud’hommes de céans, audience qui devra se tenir le 6 mars 2023.
En réplique et tant dans ses écritures qu’à la barre, la société X affirme que les demandes de Madame C doivent être rejetées par la formation de référé du Conseil de prud’hommes de céans, arguant d’une part que le référé probatoire n’est pas admis lorsque le demandeur dispose déjà d’éléments de preuve suffisants pour étayer ses demandes, ce qui selon l’employeur serait le cas en l’espèce, et d’autre part que selon les dispositions de l’article L. 3171-4 du Code du travail, le régime probatoire en matière d’heures supplémentaires prévoit qu’il appartient d’abord au salarié de présenter lui-même au juge les éléments de nature à étayer sa demande.
Le 25 mars 2022, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, statuant en sa formation de référé, par jugement contradictoire :
- Ordonne à la société X de communiquer à Madame C l’extraction du logiciel Z utilisé par l’officine pour enregistrer les heures et dates de chacune des ventes, ainsi que les actes, commandes et mouvements de stocks effectués par Madame C sous son code opérateur « W », dans le but de lui permettre de pouvoir déterminer avec précision la quantité de ses heures de travail pour la période allant du 1er janvier 2019 au 27 février 2021, ceci sans astreinte ;
- Ordonne à la société X de verser à Madame C la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Fixe les dépens à la charge de la société X et rejette sa demande reconventionnelle ;
- Rappelle que les ordonnances de référé sont exécutoires de droit à titre provisoire (articles 489 et 514 du Code de procédure civile).
2) Ordonnance du 22 mars 2022 du conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt (non définitive)
2.1) L’obligation de la société de fournir à la salariée les informations extraites du logiciel d’enregistrement des heures et dates des ventes n’est pas sérieusement contestable
Le Conseil de prud’hommes, siégeant en sa formation de référé, rappelle en premier lieu les dispositions des articles R. 1455-5, R. 1455-6, R. 1455-7 du Code du travail, l’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution et l’article 145 du Code de procédure civile.
Il affirme ensuite qu’il est établi que Madame C a saisi sa formation sous l’invocation des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, avant de saisir le juge du fond.
Interrogée à la barre à ce sujet, la société X a formellement reconnu qu’il n’existe au sein de l’officine aucun outil de suivi des horaires de travail effectués par ses salariés, tels que badgeuses, feuilles de présence ou tout autre système manuel ou électronique déclaratif ou automatique de suivi des heures de travail.
Dans ces conditions, la société X ne peut pas prétendre que Madame C détiendrait déjà suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses demandes.
La demande de Madame C de faire produire par la société X une extraction du logiciel Z utilisé par l’officine pour enregistrer les heures et dates de chacune des ventes, ainsi que les actes, commandes et mouvements de stocks effectués exclusivement sous son code opérateur personnel identifié par les initiales « W» ne risque pas de porter atteinte à la confidentialité des données personnelles des autres salariés de la société X.
La société X n’a aucun motif légitime pour s’opposer à la présente demande de Madame C, d’autant moins que la société pourrait utiliser de son côté les mêmes informations que celles demandées par Madame C, dans le cadre de l’audience du 6 mars 2023 devant le Bureau de Conciliation et d’orientation du Conseil de prud’hommes de céans, si elle avait le cas échéant l’intention de contester la demande de paiement d’heures supplémentaires de sa salariée.
A l’évidence en l’espèce, l’obligation de la société X de fournir à Madame C les informations qu’elle demande n’étant pas sérieusement contestable, la formation de référé est habilitée à en ordonner l’exécution.
En conséquence, le Conseil de prud’hommes de céans, siégeant en formation de référé, juge que la demande de Madame C est parfaitement recevable et il sera ordonné à la société X de lui communiquer l’extraction du logiciel Z utilisé par l’officine pour enregistrer les heures et dates de chacune des ventes, ainsi que les actes, commandes et mouvements de stocks effectués sous son code opérateur « W » entre le 1er janvier 2019 et le 27 février 2021.
2.2) L’indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
Le juge des référés affirme qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame C la totalité des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour faire valoir ses droits et condamne la société X à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700.
2.3) Sur l’astreinte
Le Conseil de prud’hommes affirme qu’en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’ordonner une astreinte.
Sur l’article 145 du Code de procédure civile, voir aussi :
. Salariés, cadres : comment obtenir la communication des preuves détenues par votre employeur ? (https://www.village-justice.com/articles/salaries-cadres-comment-obtenir-communication-des-preuves-detenues-par-votre,30295.html) ;
. Référé article 145 du CPC : une dessinatrice obtient les bulletins de paie de ses 8 collègues (https://www.village-justice.com/articles/refere-probatoire-une-dessinatrice-obtient-les-bulletins-paie-collegues-pour,37837.html) ;
. Référé article 145 du CPC : les données transmises par l’employeur n’ont pas à être anonymisées (https://www.village-justice.com/articles/refere-article-145-cpc-les-donnees-transmises-par-employeur-ont-pas-etre,38952.html).
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Annaëlle ZERBIB M2 DPRT Paris Saclay
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
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