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Audiovisuel – requalification des 16 ans de CDDU en CDI et licenciement sans cause d’un truquiste de Red Bee Media France (CPH Boulogne Billancourt 28/06/24)

Publié le 11/09/2024 Vu 1 055 fois 0
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Dans un jugement de départage du 28 juin 2024, le Conseil de prud’hommes requalifie les 16 ans de CDDU d’un truquiste, intermittent du spectacle de RED BEE MEDIA FRANCE en CDI.

Dans un jugement de départage du 28 juin 2024, le Conseil de prud’hommes requalifie les 16 ans de CDDU d’

Audiovisuel – requalification des 16 ans de CDDU en CDI et licenciement sans cause d’un truquiste de Red Bee Media France (CPH Boulogne Billancourt 28/06/24)

Il juge que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause.

Au total, il obtient 35 000 euros.

1)      EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur X a été engagé par la société VCT THEMATIQUES, puis par la société TECHNICOLOR NETWORK SERVICES France, devenue ensuite la société ERICSSON BROADCAST SERVICES France, et nouvellement dénommée SAS RED BEE MEDIA FRANCE, par contrats à durée déterminée d'usage successifs en qualité de « truquiste AV » à compter du 30 octobre 2006.

Le contrat est soumis à la Convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l'événement (ci-après « ETSCE »).

Par requête reçue le 27 octobre 2022, Monsieur X a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d'obtenir la requalification de ses contrats à durée déterminée d'usage en contrat à durée indéterminée, la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Les parties ont été convoquées devant le bureau de jugement à l'audience du 23 février 2023. A l'issue un procès-verbal de partage des voix a été dressé le 22 juin 2023.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 26 avril 2024 sous la présidence du juge départiteur.

A l'audience de départage, Monsieur X, comparant et assisté, a oralement soutenu par l'intermédiaire de son conseil ses écritures visées le 26 avril 2024.

La SAS RED BEE MEDIA FRANCE, représentée par son directeur général et assistée par son conseil, a oralement soutenu ses conclusion visées le même jour.

2)      MOTIVATION

Dans son jugement du 28 juin 2024, le juge départiteur, statuant seul, après avoir recueilli l'avis des deux conseillers présents à l'audience de départage,

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée d'usage de X en un contrat à durée indéterminée avec In SAS RED BEE MEDIA FRANCE à compter du 30 octobre 2006 ;

DIT que la rupture de la collaboration entre X et la SAS RED BEE MEDIA France s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SAS RED BEE MEDIA FRANCE à verser à X les sommes suivantes :

o   2000 euros à titre d'indemnité de requalification ;

o   5 365,24 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 536,52 euros au titre des congés payés afférents ;

o   11 624,67 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

o   14 307,28 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

RAPPELLE que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter à compter du présent jugement et ce jusqu'à parfait paiement;

ORDONNE la capitalisation des intérêts;

ORDONNE à la SAS RED BEE MEDIA FRANCE de remettre à X l'intégralité des documents de rupture conformes à la présente décision (attestation France Travail, certificat de travail, solde de tout compte, bulletin de paie);

ORDONNE le remboursement par la SAS RED BEE MEDIA FRANCE aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées à X à compter du jour de son licenciement jusqu'au jour de la présente décision, à concurrence de six mois;

DÉBOUTE X de ses autres demandes;

CONDAMNE la SAS RED BEE MEDIA FRANCE aux dépens de la présente procédure:

CONDAMNE la SAS RED BEE MEDIA FRANCE à verser à X la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

ORDONNE l'exécution provisoire.

Les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

2.1) Sur le prêt de main d’œuvre illicite

En vertu de l'article L.8241-1 du code du travail, « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite. Une opération de prêt de main-d’œuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition que les rémunérations versées au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés au salarié au titre de la mise à disposition. »

Le fait de procéder à une opération de prêt illicite de main-d'œuvre en méconnaissance des dispositions de l'article L. 8241-1 du travail, est constitutif du délit visé à l'article L. 8243-1 du même code.

Sont ainsi prohibées les opérations qui se présentent comme des prestations de services ou des sous-traitances alors qu'elles dissimulent une mise à disposition à but lucratif de salariés hors des cas permis par la loi.

Une prestation de service est définie comme la convention par laquelle un employeur offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste place sous sa direction et sa responsabilité et qui a pour objet l'exécution d'une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire.

Les critères permettant de distinguer les opérations licites des opérations illicites sont le maintien ou non du lien de subordination avec l'entreprise d'origine du salarié, le fait que la mise à disposition du salarié soit ou non à prix coûtant ou encore qu'elle soit forfaitaire ou au temps passé par le salarié mis à disposition, le fait que le salarié mis à disposition exerce ou non une activité spécifique distincte de celle de l'entreprise bénéficiaire de son travail et qu'il lui apporte ou non un savoir-faire particulier.

En l'espèce, Monsieur X soutient avoir fait l'objet d'une mise à disposition de la société FRANCE MEDIA MONDE par la société RED BEE MEDIA FRANCE durant 24 ans, qu'il qualifie de prêt de main d'œuvre illicite pour ne pas avoir donné son accord express et écrit.

Monsieur X expose notamment avoir été intégré dans l'équipe de la chaîne France 24 au sein de la société FRANCE MEDIA MONDE. II explique que son responsable hiérarchique Y était « responsable de site France 24 » et possédait deux adresses de courriel professionnelles, dont une appartenant à France 24, que dans un courrier du 30 septembre 2010, ce dernier décrit les conditions du lien de subordination liant les salariés mis à disposition et la chaine France 24 et que seule cette dernière donne des ordres quotidiennement aux techniciens. Il ajoute que les plannings mentionnent France 24 en sus du logo de la société RED BEE MEDIA FRANCE. II affirme qu'il travaillait exclusivement avec du matériel appartenant à la société FRANCE MEDIA MONDE, il conteste le fait que la formation des intermittents ait été assurée par la société RED BEE MEDIA FRANCE et ajoute que cette dernière ne démontre pas l'existence d'un savoir-faire spécifique et qu'elle ne délivre pas de prestation de service.

Outre le fait qu'un certain nombre d'allégations ne sont établies par aucune pièce, l'analyse des quelques pièces versées par le demandeur au soutien de sa prétention, notamment le courriel du 30 septembre 2010 ou le planning établi par la société RED BEE MEDIA FRANCE, pour le site France 24, ne permettent pas d'établir que Monsieur X se trouvait dans un lien de subordination vis-à-vis de la société FRANCE MEDIA MONDE et que cette dernière organisait son travail ou disposait du pouvoir de sanction disciplinaire.

En regard, la société RED BEE MEDIA FRANCE conteste toute mise à disposition du personnel et soutient qu'elle est liée à la société FRANCE MEDIA MONDE par une prestation de service, licite, dans le cadre de laquelle interviennent ses salariés, dont Monsieur X. Elle souligne que l'objet de sa prestation a un objet défini plus large que la seule mise à disposition de personnel, avec des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs, et des pénalités en cas de non atteinte de ces objectifs. Elle expose avoir un savoir-faire complet dans la production, la post-production et la diffusion de programmes. Elle ajoute avoir également procédé à la modernisation des outils de production au sein de la chaîne France 24 et précise que sa prestation de mise en image est d'ordre technique et se distingue de la dimension éditoriale qui incombe à la chaîne de télévision. Elle fait enfin valoir qu'elle demeure le seul employeur du personnel affecté à la prestation délivrée à FRANCE MEDIA MONDE et qu'elle assure son recrutement, son encadrement, sa planification, sa formation et sa paie. La défenderesse relève enfin que le mode de facturation dans le cadre de la prestation de service est forfaitaire.

Elle verse notamment:

o   l'accord cadre diffusé en 2019 pour la procédure de dialogue compétitif de la société FRANCE MEDIA MONDE pour des prestations de « production, de post-production et d'infographies pour les programmes de France 24»;

o   le cahier des clauses administratives afférent à cet accord-cadre;

o   des articles, communiqués de presse et propositions commerciales sur les prestations techniques et le savoir-faire de la société, ainsi que les technologies utilisées;

o   l'organigramme de la société, montrant le rattachement de l'ensemble des salariés affectés à la prestation à destination de France 24 à la Direction des Opérations;

o   le livret d'adaptation individuel remis aux salariés après une période de trois semaines.

Il est établi par ces éléments que la société RED BEE MEDIA FRANCE intervient pour la société FRANCE MEDIA MONDE dans le cadre de l'exécution d'une prestation particulière et technique, pour la mise en œuvre d'un savoir-faire spécifique dont ne dispose pas la société FRANCE MEDIA MONDE, prestation pour laquelle elle est rémunérée forfaitairement, avec une obligation de résultat, et que les salariés mis à disposition de la société FRANCE MEDIA MONDE demeurent dans un lien de subordination vis-à-vis d'elle.

En conséquence, Monsieur X a été mis à disposition dans le cadre d'une prestation de service et sera débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du prêt de main d'œuvre illicite.

2.2) Sur la requalification de l'emploi de Monsieur X et la demande de rappel de salaire afférente

La qualification d'un salarié doit s'apprécier au regard des fonctions réellement exercées par le salarié et non à partir des seules mentions du contrat de travail.

En cas de contestation sur la catégorie professionnelle dont relève le salarié, il appartient au juge de rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par ce dernier et la qualification qu'il requiert (Soc., 19 décembre 1979, Bull. V, n° 1019).

En outre, la charge de la preuve pèse sur le salarié qui revendique une classification autre que celle qui lui a été attribuée, les juges du fond appréciant souverainement les éléments qui leur sont soumis (Soc., 10 juin 1992, pourvoi n° 88-40701, Bull. civ., V, nº 377; Soc., 31 mars 2016, pourvoi n° 14-22.569).

En l'espèce, Monsieur X soutient avoir exercé les fonctions de réalisateur et non l'emploi de « truquiste AV » qui figure sur ses contrats de travail.

Il est établi par les pièces versées aux débats que la Convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et de l'événement du 21 juillet 2008 (ETSCE) définit les métiers de truquiste et réalisateur de la manière suivante:

o   Truquiste AV: « Prépare et configure les éléments et équipements techniques du mélangeur en lien direct avec la réalisation des émissions. Au cours d'un programme il prépare les effets, les habillages et trucages demandés, affecte les sources vers les différents départs d'un mélangeur. Il affecte les divers éléments sur les consignes d'un réalisateur » ;

o   Réalisateur AV: « Assure la responsabilité de l'exécution d'un tournage, notamment dans sa dimension artistique, depuis sa préparation jusqu'à sa parfaite réalisation. Il est responsable des aspects créatifs du programme ainsi que de la gestion de l'équipe qu'il va diriger. »

La société RED BEE MEDIA FRANCE expose qu'un référentiel de fonctions a été adopté au sein de l'entreprise et définit les missions de chacun des métiers suivants:

o   Réalisateur: « Définit, met en place et coordonne l'ensemble des moyens techniques et humains (équipes, plateaux, lieux de tournages) nécessaires à la réalisation d'un programme direct ou enregistré en conformité avec le cahier des charges »

o   Cadre Technique de Réalisation (ci-après CTR): « coordonne les postes techniques de la régie (technicien vision prise de vue et/ou cadreurs, technicien d'exploitation de régie de production, opérateur son) et exploite le mélangeur vidéo pour assurer le bon déroulement d'un programme direct ou enregistré dans le respect de la charte de réalisation prédéfinie sous l'autorité éditoriale du client... »

La société RED BEE MEDIA FRANCE rappelle que le l'intitulé de CTR adopté en son sein correspond à la fonction de truquiste, afin de permettre aux salariés de bénéficier des dispositions conventionnelles plus avantageuses.

Par ailleurs, Monsieur X produit une fiche métier sur les fonctions de réalisateur d'émission de télévision qui expose notamment : « D'une part, le réalisateur a sous ses ordres, ou à ses côtés, un certain nombre d'équipiers avec lesquels il travaille pour mener à bien l'œuvre audiovisuelle. D'autre part, c'est son inspiration qui donne forme au projet ; son savoir-faire, ses capacités techniques et artistiques. Il est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la composante industrielle la plus importante - l'équipe. »

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que, quelle que soit la source de la définition des fonctions de truquiste, ou CTR, et de réalisateur, les deux principaux critères de différenciation sont d'une part, l'implication dans la conception et la préparation d'un tournage, et d'autre part, la dimension artistique, qui concernent uniquement les fonctions de réalisateur.

Il convient en premier lieu de constater, comme le relève la société RED BEE MEDIA FRANCE que Monsieur X intervenait dans le cadre d'une prestation de service qui n'incluait pas la réalisation des émissions de France 24 mais uniquement des « prestations de production, de post- production et d'infographies pour les programmes de France 24 », tel que cela résulte du document de consultation pour le dialogue compétitif de 2019, ainsi que des différentes pièces produites par la société attestant du rôle de Monsieur Y en qualité de réalisateur conseil pour la chaîne France 24.

Monsieur X soutient avoir été réalisateur. Il décrit dans ses conclusions ce qu'il estime avoir été ses missions à savoir: « mettre en forme visuelle et sonore un contenu préexistant dans un lieu donné ; réaliser la captation des images avec plusieurs caméras; demander à l'opérateur de prise de vue de modifier ses cadrages ou de les corriger pour mieux raccorder avec les plans à suivre ; faire rectifier les réglages de l'image en direct; décider du moment de la diffusion d'une image transmise en direct par le biais d'une caméra ou d'une source extérieure ; demander à l'opérateur vidéo d'ajouter ou de rechercher des sources en vue de les incorporer dans son mélange d'images ; coordonner avec l'ingénieur du son la mise à l'antenne des bonnes sources sonores comme des jingles qui rythment l'enchainement des images ; coordonner les actions des techniciens de l'équipe, les mouvements des caméras et le son décider du type de cadre souhaité sur les émissions de débat notamment. » Il s'agit d'une série de missions dont il convient de relever qu'aucune n'a un caractère artistique ou créatif, mais bien des missions techniques, de mise en œuvre et de coordination conformément aux définitions préalablement données.

En outre, s'il verse de nombreuses attestations faisant état de ses fonctions de « réalisateur et de ses qualités professionnelles, il s'avère que peu décrivent les missions effectivement réalisées et que les celles qui le font mentionnent des missions de coordination et d'animation de l'équipe de réalisation:

o   Monsieur G, chef d'antenne au sein de FRANCE 24: « Je souligne que depuis 2007, Monsieur X dirige en bonne humeur et très professionnel son équipe de Productions.»;

o   Monsieur B, chef d'antenne: « je n'ai connu X que comme réalisateur en faisant exécuter ses ordres par ses différents techniciens à l'image, au son ou aux synthes»;

o   Monsieur C, chef d'antenne : « (...) Monsieur X qui avait comme responsabilité la réalisation des émissions. Ainsi, il était réalisateur et chef d'équipe avec la responsabilité de communication, médiation ainsi que s'assurer de la bonne circulation des informations destinées à l'équipe technique »;

o   Monsieur D, technicien vision prises de vue : « Mon travail consistait à effectuer les réglages colorimétriques des caméras, ainsi que l'éclairage et le cadre sur les émissions enregistrées et en direct. J'ai ainsi travaillé sous les ordres directs de X, réalisateur, qui me demandait le type de cadre qu'il souhaitait (sur les émissions de débat, en particulier avec la caméra mobile entièrement robotisée qui se déplace sur le plateau »;

o   Monsieur E, chef d'antenne : « Depuis 2010, date où j'ai intégré France 24 et jusqu'à nos jours, X est mon interlocuteur privilégié de la régie puisqu'il est le réalisateur et que je peux affirmer qu'il donnait les consignes nécessaires à son équipe (son, image, et autres opérateurs) pour le bon déroulement des programmes»;

o   Monsieur F, chef d'antenne: « (...) j'ai été témoin du fait que Monsieur X a effectué la mise en image de nombreuses émissions produites à France 24, œuvrant ainsi en tant que réalisateur ».

Le demandeur soutient que la qualification de CTR a été collectivement remise en cause en 2014 par les salariés occupant ces fonctions et soutient que cette qualification ne lui est pas opposable, et qu'il ne pouvait être truquiste et CTR en même temps.

La société RED BEE MEDIA rappelle que dans le cadre de sa prestation de service, elle ne bénéficiait pas d'une autonomie relativement à la réalisation et se contentait d'appliquer des chartes de réalisation fournies par la société FRANCE MEDIA MONDE et que des lors Monsieur X devait se contenter de la mise en œuvre de ces chartes sans autonomie sur les choix de réalisation.

En tout état de cause, Monsieur X à qui il incombe de démontrer les fonctions qu'il exerçait réellement, ne rapporte pas la preuve de son implication dans la préparation et la conception des programmes, ou d'une quelconque responsabilité dans leur dimension créative et artistique, conformément à la description des fonctions de réalisateur dans la convention collective qui lui est applicable.

Monsieur X sera donc débouté de sa demande de requalification de son emploi et de rappels de salaires et d'indemnité de congés payés afférentes.

2.3) Sur le travail dissimulé

Il résulte des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à la déclaration préalable à l'embauche ou à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail, ou de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires, ou aux cotisations sociales, auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale.

Il résulte de l'article L. 8223-1 du code du travail qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'infraction de travail dissimulé n'est caractérisée que si l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, Monsieur X soutient qu'en le déclarant dans l'emploi sous-qualifié de truquiste, la société RED BEE MEDIA s'est rendue coupable de dissimulation d'emploi.

Or, il résulte des énonciations que la demande de Monsieur X tendant à voir requalifier son emploi a été rejetée de sorte qu'il sera débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

2.4) Sur la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en contrat à durée indéterminée

L'article L. 1242-1 du code du travail prévoit qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

L'article L.1242-2 du code du travail permet le recours au contrat de travail à durée déterminée dits d'usage dans le cas d'emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère, par nature temporaire, de ces emplois. Les secteurs d'activité dans lesquels ces contrats sont conclus sont déterminés par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu.

L'article D.1242-1 6º du code du travail vise l'audiovisuel parmi les secteurs d'activité dans lesquels, en application de l'article précité, des contrats à durée déterminée peuvent être conclus.

Selon l'article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance notamment des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4 du code du travail.

Le titre VII de la Convention collective nationale des entreprises techniques de la création et de l'évènement du 21 février 2008 relatif à la liste des emplois, classification et salaires minima fait état de plusieurs catégories d'emploi, les emplois de catégorie B étant ceux pour lesquels le « recours au CDD d'usage est autorisé » et la fonction de « truquiste AV » figure parmi celles de la catégorie B.

Il est constant que le fait que le recours à un contrat d'usage soit prévu par des dispositions légales ou conventionnelles ne dispense pas le juge de vérifier que ce recours est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

Trois conditions doivent donc être réunies pour recourir au contrat à durée déterminée d'usage: une disposition légale ou conventionnelle étendue autorise le recours à un tel contrat, il existe un usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée et le recours au contrat à durée déterminée ou contrat de mission s'impose en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire des emplois.

En l'espèce, compte tenu de l'activité de la société RED BEE MEDIA FRANCE et des dispositions du titre VII de la Convention collective nationale des entreprises techniques de la création et de l'évènement du 21 février 2008 susmentionnées, la première condition n'est pas contestée.

Monsieur X conteste en premier lieu le fait qu'il existe un usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée pour l'emploi de truquiste. Il affirme que la liste des postes ouverts au sein de la société montre que certains salariés exerçant les mêmes fonctions que lui étaient en contrat à durée indéterminée. Il ajoute qu'il travaillait aux côtés d'autres salariés permanents.

La société RED BEE MEDIA FRANCE à qui incombe la preuve de l'existence de cet usage ne répond pas sur ce point.

En outre, il convient de s'attacher à vérifier que le recours à des contrats à durée déterminée d'usage successifs depuis 2006 était justifié par des circonstances précises et concrètes établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi de truquiste de Monsieur X, ce que ce dernier conteste en second lieu.

Il résulte des bulletins de paie produits par le demandeur et des contrats de travail produits par les deux parties, que le nombre de jours travaillés par X pour la société RED BEE MEDIA FRANCE s'établit de la manière suivante:

o   2007: 148 jours

o   2008: 81 jours

o   2009: 76 jours

o   2010: 71 jours

o   2011: 73 jours

o   2012: 73 jours

o   2013: 85 jours

o   2014: 142 jours

o   2015: 84 jours

o   2016: 110 jours

o   2017: 90 jours

o   2018: 81 jours

o   2019: 84 jours

o   2020: 83 jours

o   2021: 76 jours

o   2022: 72 jours

o   2023: 55 jours

o   2024: 13 jours

Il ressort de ces éléments que la relation de travail entre Monsieur X et la société RED BEE MEDIA FRANCE s'est étendue sur plus de dix-sept années; X a travaillé 1 497 jours sur cette période, soit en moyenne 7,1 jours par mois, avec des moyennes supérieures à 11 jours par mois durant deux années.

Par ailleurs, la lecture des contrats à durée déterminée d'usage permet de relever que X est uniquement intervenu auprès de la chaine France 24, sans que ses contrats ne fassent mention des émissions ou programmes précis sur lesquels il a travaillé. Il convient de noter que les plages horaires sur lesquelles il est intervenu ont été régulières:

o   5h35-12h55

o   5h45-17h45

o   12h45-21h

o   17h45-5h45

o   20h50-5h45

X expose avoir exercé ses fonctions de truquiste pour la production des émissions régulières de la chaîne France 24 (Journaux d'information France 24 jour et nuits, les matinales, information en continu, quotidiennes 6H-9H, les « midinales », information en continu, quotidiennes 13H-15H15, les « soirales », information en continu, quotidiennes 21H-0H15, le débat du soir quotidien 19 h-20H, des éditions spéciales suivant l'actualité avec prise d'antenne pouvant durer jusqu'à 4 heures en continu, des magazines économiques, sportifs, sociétaux, etc.), de sorte que le besoin lié à son emploi était pérenne car inhérent aux programmes habituels de la chaîne.

La société RED BEE MEDIA FRANCE n'apporte aucun élément de nature à démontrer le caractère par nature temporaire de l'emploi de truquiste du demandeur, et le moyen tenant à l'absence de démonstration d'un préjudice est inopérant concernant le principe de la requalification.

Ainsi, l'examen concret des circonstances particulières des engagements de X par la société RED BEE MEDIA FRANCE, intervenus de manière continue durant 17 ans, en vue de mettre ses compétences de truquiste au service de la production des programmes quotidiens ou réguliers diffusés par la chaîne France 24, n'ayant dès lors aucun caractère temporaire, démontrent que son emploi par le biais de contrats à durée déterminée d'usage successifs correspondait à un besoin continu et permanent de son employeur, dans le cadre de la prestation de service assurée auprès de la société FRANCE MEDIAS MONDE.

En conséquence, il convient de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à compter du 30 octobre 2006, date du premier contrat à durée déterminée d'usage irrégulier.

 

Sur la rupture de la relation contractuelle

La relation de travail entre Monsieur X et la société RED BEE MEDIA FRANCE s'inscrivant dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, sa rupture ne peut se matérialiser, à défaut de rupture amiable entre les parties, que par une prise d'acte ou une démission claire et non équivoque du salarié ou par un licenciement de l'employeur.

Or la rupture de la relation contractuelle est intervenue à l'initiative de l'employeur, qui a rompu la collaboration de Monsieur X en ne lui fournissant plus de travail après le 23 avril 2024 sans motif réel et sérieux.

Suite à la requalification en contrat à durée indéterminée de la relation de travail, l'arrêt définitif de fourniture de travail et de paiement corrélatif de salaire rend la rupture imputable à l'employeur, et est constitutif, en l'absence de motif et de lettre de licenciement, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société RED BEE MEDIA FRANCE n'ayant pas adressé à Monsieur X de lettre de rupture énonçant le motif du licenciement, celui-ci est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

2.5) Sur les demandes financières

2.5.1) Sur le salaire mensuel de référence

L'article R.1234-4 du code du travail dispose que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

En l'espèce, en application des dispositions qui précédent, la rémunération de Monsieur X s'établit de la manière suivante au vu des bulletins de paie versés aux débats:

avril 2023

1 475,18 euros

mai 2023

juin 2023

1723,89 euros

2 230,59 euros

juillet 2023

1178,95 euros

août 2023

1 916,54 euros

septembre 2023

2426,24 euros

octobre 2023

1104,70 euros

novembre 2023

1916,54 euros

décembre 2023

2 467,39 euros

janvier 2024

1729,8 euros

février 2024

2 426,24 euros

mars 2024

864,9 euros

Moyenne des trois derniers mois

1 673,65 bibelots

Moyenne des douze derniers mois

1788,41 euros

 

En conséquence, le salaire de référence de Monsieur X est fixé à la somme de 1 788,41 euros.

2.5.2) Sur l'indemnité de requalification

L'article L.1245-2 du code du travail dispose que lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande de requalification en contrat à durée indéterminée du salarié, il doit accorder au salarié concerné une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Cette indemnité a pour objet de sanctionner l'employeur qui recourt abusivement aux contrats de travail à durée déterminée afin de pourvoir un poste permanent et est destinée à compenser le préjudice résultant de la précarité subie par le salarié.

En l'espèce, Monsieur X soutient que le recours abusif aux contrats à durée déterminée d'usage a engendré pour lui un préjudice tenant à la précarité de son statut pendant plus de 17 ans, le privant d'accéder aux droits dont disposent les salariés en contrat à durée indéterminée (protection sociale, retraite, primes). Il sollicite la condamnation de la société RED BEE MEDIA FRANCE à lui verser la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité de requalification.

La défenderesse conteste l'existence d'un préjudice allégué par Monsieur X exposant que ce dernier n'a jamais postulé pour obtenir un contrat å durée indéterminée et qu'il se satisfaisait de son statut d'intermittent. Elle ajoute que le demandeur a bénéficié d'un salaire plus élevé que s'il avait été embauché en contrat à durée indéterminée, qu'il a bénéficié du régime d'assurance chômage propre aux intermittents du spectacle et que ses ressources étaient importantes compte tenu de son temps de travail.

Cependant, même si Monsieur X pouvait, de par son statut, bénéficier de ressources complémentaires, il n'est pas contestable qu'il a vécu une certaine précarité durant 17 années.

Compte tenu de la requalification de ses contrats à durée déterminée d'usage, la société RED BEE MEDIA FRANCE sera condamnée à lui verser la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité de requalification.

2.5.3) Sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L.1234-5 du code du travail, l'indemnité compensatrice de préavis doit correspondre à la rémunération brute que la salariée aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du préavis.

L'article 4.1.3 de la Convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et de l'événement du 21 juillet 2008 (ETSCE) prévoit un préavis de deux mois pour les salariés non cadres justifiant d'une ancienneté de plus de deux ans, majoré d'un mois lorsque le salarié est âgé de plus de 50 ans au jour de la rupture.

En l'espèce, du fait de la requalification en contrat à durée indéterminée, l'employeur ne pouvait rompre la relation de travail au terme du dernier contrat conclu.

Dès lors, le défaut d'exécution du préavis résulte de l'action fautive de l'employeur et celui-ci est tenu de payer une indemnité compensatrice de préavis.

Par conséquent, il convient de condamner la société RED BEE MEDIA FRANCE à verser à Monsieur X la somme de 5 365.24 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 536,52 euros au titre des congés payés afférents.

2.5.4) Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

L'article 4.1.3 de la Convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et de l'événement du 21 juillet 2008 (ETSCE) prévoit que l'indemnité conventionnelle de licenciement est calculée par tranche d'ancienneté, appréciée à la date de fin du préavis:

o   3/10 de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans d'ancienneté;

o   5/10 de mois de salaire par année au-delà de 10 ans d'ancienneté.

Il n'est pas contesté que Monsieur X possédait au jour de la rupture du contrat une ancienneté de 17 ans et 6 mois.

En conséquence, la société RED BEE MEDIA FRANCE sera condamnée à lui verser la somme de 11 624,67 euros (=[1 788.41 x 3/10 x 10]+[1 788,41 x 5/10 x 7] +[1 788,41 x 5/10 x 6/12]).

2.5.5) Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l'absence de réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié dont l'ancienneté est de 17 ans une indemnité dont le montant est compris entre trois et quatorze mois de salaire.

En l'espèce, Monsieur X prétend que la rupture lui cause un préjudice moral et économique important.

La société RED BEE MEDIA FRANCE conteste le quantum de sa demande en exposant que Monsieur X a liquidé ses droits à la retraite, qu'il perçoit une pension de retraite, qu'il ne justifie pas de sa situation financière et de ses revenus pour 2023.

Compte tenu de l'ancienneté de Monsieur X, et du fait qu'il perçoit une pension de retraite, le préjudice de la rupture sera compensé par l'allocation d'une indemnité de 14 307,28 euros.

***

 

En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter de la présente décision s'agissant des créances indemnitaires.

Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, en application de l'article 1343-2 du code civil.

 

2.6) Sur la remise des documents sous astreinte

Compte tenu des développements qui précédent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif.

Il résulte de l'article L131-1 du code des procédures civiles d'exécution que tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

En l'espèce, aucun élément ne permet de laisser penser que la société ne s'exécutera pas spontanément, de sorte que la demande d'astreinte n'apparait pas justifiée.

 

2.7) Sur le remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur X

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la SAS RED BEE MEDIA FRANCE aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées à Monsieur X à compter du jour de son licenciement jusqu'au jour de la présente décision, à concurrence de six mois.

2.8) Sur les frais du procès et l'exécution provisoire

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SAS RED BEE MEDIA FRANCE, partie perdante, sera condamnée aux dépens de l'instance.

La SAS RED BEE MEDIA FRANCE, condamnée aux dépens, devra payer à Monsieur X une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité commande de fixer à 1 500 euros.

L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire et justifiée par l'objet du litige, sera ordonnée sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile.

 

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300

.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644

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A propos de l'auteur
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CHHUM AVOCATS conseille et accompagne des salariés, intermittents du spectacles, journalistes, pigistes, artistes, cadres, cadres dirigeants dans le cadre de litige avec leur employeur et/ou négociations de départs.

Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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